Numérique : Accompagnement humain ou nouvel eugénisme ?

François-Xavier Marquis
5 min readJan 18, 2018

Nous entrons, depuis une 20aine d’années, dans une nouvelle étape de l’assistance dématérialisée des actions humaines.

Cela fait plus de 100 ans que le processus est engagé mais il ne nous concerne dans nos actes quotidiens que depuis peu de temps. Ou plutôt nous avons perdu la mémoire des évolutions qu’ont vécus ceux qui nous précèdent : c’est dommage car à vouloir toujours se convaincre que notre génération est unique, on perd beaucoup de temps à réinventer ce qui avait déjà été mis en œuvre.

Si nous restons dans un environnement relativement récent, pour séquencer l’entrée de ces technologies dans les entreprises on verra 5 phases principales. Elles commencent par :

  • L’automatisation qui débute dans les années 60,
  • Suivie dans les années 80 de l’informatisation,
  • Puis de la numérisation en début 90 avec une première phase concomitante à l’arrivée d’internet,
  • Débouchant sur seconde phase (post 2001) qui s’appuie sur la gestion de la donnée,
  • Pour arriver en début des années 2010, à ce que certains nomment Intelligence Artificielle.

Cette évolution progressive se matérialise par des étapes significatives dans l’assistance de l’acte humain :

  • L’automatisation va substituer un acte unitaire par une action machine en général mécanique : de ce fait on est principalement dans le champ de l’accompagnement de l’opérateur.
  • L’informatisation, va mettre au poste de travail une capacité de calcul, d’écriture, … Dans ce sens, elle constitue un renforcement de l’automatisation. Mais l’informatisation va plus loin : elle va sortir de l’atelier pour entrer dans les bureaux, et surtout toucher la frange des employés et cadres de l’entreprise. Il faut se souvenir qu’à cette période, les « strates de cadres supérieurs des entreprise » ont mis beaucoup de temps à s’informatiser.
  • La numérisation première génération, que l’on va coupler avec l’arrivée des réseaux de communication, va permettre un saut significatif en intervenant sur la capacité à transférer les processus de supports physiques vers des applications dématérialisées. Le principe dans la numérisation (première génération) est le changement d’état : on part d’un élément physique (papier, objet, procédure, mouvement…) et on le transforme en données dématérialisées. Le principe de la numérisation reste relativement statique : dans un premier temps elle sert à reproduire ce qui se fait déjà, en cherchant à en améliorer l’efficience. Mais très vite, la capacité à transporter la donnée va générer de nouvelles perspectives : l’ouverture des réseaux, et surtout la prise de conscience que l’on a transformé un élément statique en un ensemble de données mobiles et exploitables par de nombreux moyens de calcul…, fait basculer dans la seconde génération
  • Le numérisation seconde génération (que l’on a tendance à appeler, fort mal à propos, du mot anglais digital) additionne l’acquisition des données au potentiel de l’informatique et à la vitesse des réseaux. On passe alors de l’ère de la simple dématérialisation de données physiques à la substitution de process : car les mêmes données peuvent servir à des usages différents. Pour les entreprises ou les compétiteurs, cette substitution de la donnée du champ où elle est collectée à celui dans lequel elle va être appliquée, font exploser les ouvertures concurrentielles (de plus en plus transversales), les modifications profondes de processus…. On entre, de façon presque permanente, dans la logique de l’innovation (nouveau dedans). Dans cette seconde phase qui fait intervenir toutes les fondamentaux des nouvelles technologies (temps, espace, taille et état) l’enjeu de la donnée, devient le « graal », car sa fluidité permet des usages de plus en plus vastes, ouvrant sur la troisième génération.
  • La troisième génération de la numérisation, va utiliser cette disponibilité de la donnée pour venir au secours des moteurs d’inférence qui balbutiaient depuis le début des années 60. L’intégration d’algorithmes pour simuler des phénomènes complexes peinent depuis près de 40 ans principalement à cause de la faible volumétrie des données disponibles et de la lenteur de traitement. Depuis la naissance des statistiques, on sait que la taille du panel est prépondérante pour la valeur du résultat. Avec les moyens anciens, la constitution du panel était une première approximation…. Aujourd’hui on est entrée dans une ère où la disponibilité de la donnée est quasi-exhaustive et, pour le moment, gratuite puisque tout opérateur peut se l’approprier. Les algorithmes peuvent ainsi fournir des aides de plus en plus précises, à l’accompagnement de l’intelligence humaine et toucher à des domaines que l’on pensait non modélisables….

Jusqu’à maintenant la technologie a permi de s’approcher de plus en plus près du besoin de chacun…, A ce stade nous sommes dans l’optimisation des fonctions d’aide des personnes : allant de l’acte unitaire jusqu’à la décision stratégique. La technologie joue son rôle au service des besoins humains.

Cependant une prochaine étape nous est annoncée : celle que portent les défenseurs du transhumanisme et du scientisme, et qui déboucherait sur deux voies porteuses de dérives graves :

  • La première nous ferait passer du panel à la création de normes universelles en éliminant progressivement les profils atypiques qui complexifient les modèles sans générer un profit supérieur… : au final, le mythe de la création de l’être humain standard. La notion d’« être augmenté »
  • La seconde voudrait normer l’intelligence : la course au QI (universel ou minimal suivant les théories) qui fait abstraction de toutes les autres formes humaines de l’intelligence.

Il est particulièrement grave est de voir renaitre l’eugénisme sous une forme numérique : si on se souvient des dérives de l’histoire sur ce thème, à commencer par celles du 20ème siècle, sous l’égide du nazisme, il y a de quoi frémir.

C’est en cela que la vigilance doit passer au stade de l’action : les outils qui devraient se contenter d’être une aide, risquent d’être utilisés pour contraindre tout un chacun à correspondre à un modèle standard, un QI normé. Les outils d’aide à la décision pourraient ainsi dévoyés pour s’imposer en une contrainte pour tous.

Vivre ensemble ce n’est pas obéir à une norme unique, mais de s’enrichir de la diversité.

L’objet de la technologie est de faire grandir l’humain et non de l’asservir dans la création d’un eugénisme numérique : c’est pour cela que nous devons nous poser d’urgence la question de la société dans laquelle nous souhaitons vivre.

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François-Xavier Marquis

Le numérique n’est pas révolutionnaire, il est systémique.