La relaxe complète, cinq ans de prison et 636 000 euros de dommages et intérêts
Mercredi, le procès de Florent Curtet, ce français accusé d’avoir été le complice en France du gang de rançongiciel Everest — notamment et surtout dans la tentative d’extorsion visant le cabinet Le Bonnois, une structure juridique sensible au vu des dossiers traités -, s’est terminé après les réquisitions du parquet et les plaidoiries des parties civiles et de la défense.
Sans surprise, et c’est ce qui pimente l’affaire, les positions sont antagonistes. Les lourdes réquisitions du parquet (cinq ans d’emprisonnement dont deux ans avec sursis, l’interdiction d’exercer une activité en lien avec la cybersécurité et une amende de 35 000 euros), qui a comparé le prévenu à un pompier pyromane, ont fait face à la relaxe complète demandée par la défense. Les parties civiles ont elles présenté une facture de 636 000 euros au prévenu, qui sera vraisemblablement, si ce dernier est déclaré coupable, sérieusement revue à la baisse.
L’exercice était périlleux pour la défense. Si l’on suit son raisonnement, si Florent Curtet était bien en mission d’infiltration pour la DGSI, pourquoi n’a-t-il donc pas présenté la facture de ses services à son employeur officieux, le renseignement intérieur, et pas au cabinet d’avocats victime d’extorsion? “Que cela soit vrai ou faux, cela ne change rien pour mes clients, résumait la conseil de cette organisation, Me Eva Chambon. Tous les éléments dans le dossier nous démontrent le contraire, qu’il a usé de tous les stratagèmes quand il a découvert la nature des données volées pour se faire de l’argent sur ce vol.”
Plus intéressant juridiquement, les avocats de Florent Curtet, William Bourdon et Jim Villetard, ont insisté sur le thème de la provocation policière. Leur client aurait été incité à commettre l’infraction par son correspondant au cabinet d’avocats, en réalité un policier. Ils ont ainsi pointé ses nombreuses relances. Des arguments toutefois contrebalancés par le fait que c’est Everest qui avait renvoyé, sur la page de son site, vers Florent Curtet, et que c’est ce dernier qui a par exemple mis en scène son faux voyage en Russie pour aller récupérer les données.
La défense pourrait aussi faire mouche sur les infractions relatives aux atteintes à un système de traitement automatisé de données (les actes de piratage). L’attaque informatique initiale du cabinet date de la fin mai, alors que leur client n’entre en relation avec le gang qu’à la mi-juillet. “Il faut garder la qualification retenue dans l’ordonnance de renvoi, il a été complice par son action de toute la chaîne d’attaque”, avait demandé un peu plus tôt la vice-procureure Johanna Brousse. La magistrate avait également pointé ses “messages explicites” appelant à attaquer de nouvelles cibles.
“C’est l’un des hackers les plus talentueux de sa génération”, a conclu finalement William Bourdon, quelques minutes après que son collaborateur ait admis “un amateurisme flagrant”. Mais effectivement, Florent Curtet a des talents certains. Alors qu’au moment des faits il était “au RSA chez sa copine”, sa situation personnelle s’est spectaculairement améliorée. Grâce au récit de ses aventures, il a réussi à accéder à la notoriété. Et depuis peu, par ricochet, à un emploi bien payé dans l’entreprise d’Adrien Jannel, qui s’il dit travailler avec les gendarmes cyber de la Marne, s’est plaint que cette affaire ne lui ait fait perdre des contrats.
Une bonne fortune bâtie sur son récit du dossier jugé cette semaine et des bobards qui ont séduit les médias. Comme il l’a admis devant le tribunal, il n’a jamais fait un million d’euros de fraude, tandis que le parquet a rappelé qu’il n’avait jamais été traqué par la CIA. Au-delà du jugement attendu (délibéré le 16 décembre), il sera donc intéressant de voir si les organes de presse qui lui avaient tendu le micro en tirent une conclusion. A relire sur sujet l’excellent article écrit il y a huit ans par Yann Guégan: “L’info était bidon… mais elle est toujours en ligne sur ton site, coco”.