Réduire l’impact environnemental du développement et de la consommation de jeux PC
Dans le contexte climatique actuel, il devient urgent pour toutes les industries, sans exception, de tout mettre en œuvre pour réduire leur impact environnemental.
Il y a plus de 3 milliards de gamers dans le monde(1). Rien qu’aux Etats Unis, le gaming représenterait une consommation de 34 TWh/an (2.4% de l’usage électrique résidentiel) et 24 Mégatonnes/an d’émissions carbone. Soit l’équivalent de 85 millions de réfrigérateurs ou plus de 5 millions de voitures(2).
A cela s’ajoute l’impact matériel, de la production de consoles, aux écrans, cartes graphiques, jeux en format physique, etc.
Nous traiterons ici uniquement de la consommation individuelle des gamers PC et des mesures que les studios de développement peuvent prendre pour réduire cette consommation. Le gaming sur PC concerne plus de 1,7 milliards de joueurs(3), avec des temps de jeux longs, et avec la consommation locale la plus importante(4).
Nous nous baserons sur la rigoureuse étude: “Vers un gaming plus vert: Estimer l’usage d’énergie national et le potentiel d’efficacité énergétique”(5) ainsi que nos propres mesures, à notre échelle, pour dériver des actions concrètes, qui peuvent être entreprises dès maintenant par les joueurs et les studios de développement, quelle que soit leur taille.
I. Le coût du gaming
Un ordinateur gaming est une machine gourmande en électricité, même si cette consommation varie beaucoup d’une configuration à l’autre, et selon les usages.
En ce qui concerne une tour gaming, la consommation en jeu évolue entre 100W et 400W voire plus (jusqu’à 700W).
Sur PC portable, la consommation est souvent inférieure, mais notons que ces appareils ont une durée de vie beaucoup plus courte que les tours (et contrairement aux tours, ils incluent écran, clavier et souris). Nous nous concentrerons majoritairement sur un usage avec une tour dans cet article.
Comparé à d’autres appareils ménagers, c’est peut-être autant que votre frigo (300W à 780W), beaucoup plus que votre ventilateur (10W à 100W), et autant que 80 lampes LED (5W à 20W).
A titre de comparaison:
- Consommation moyenne mensuelle par foyer français: 390 kWh(6)
- Laisser une tour de bureau gaming allumée 24/7 pendant un an: 850 kWh*
- Jouer sur une tour de bureau 2h par jour pendant un mois: 8 à 30 kWh*
*Consommation présupposée de 100W en veille et entre 130W et 450W en activité
Mais n’y a-t-il pas une grosse différence entre les 100W et 400W mentionnés plus haut?
C’est l’heure de sortir le wattmètre. Nous avons tenté de nous faire une idée sur la consommation de nos machines à pixels. Les résultats de cet article ont un scope réduit mais leur validité a été vérifiée à l’aide de notre étude de référence(7).
Cette étude identifie plusieurs facteurs de variabilité pour la consommation de nos machines. Nos résultats sont mesurés sur notre machine personnelle, labellée “PC 01”:
PC 01 : specs
Intel Core i7–6700K @4GHz + BeQuiet Pure Rock 2 fan
16Gb RAM
Nvidia GeForce GTX 1080
SSD x 3
HDD x 3
Alimentation: Corsair C750M
1. Variation par jeu
Sur PC 01, et en testant une dizaine de jeux (en incluant notre propre jeu Tandem: a Tale of Shadows), nous observons d’importantes variations de consommation selon le jeu qui tourne. Les résultats sont listés ci-dessous, en comparaison avec des charges de travail diverses:
*Logiciel 3D: Blender
Charge de travail moyenne simulée
On peut observer que même certains jeux en 3D comme Obra Dinn et Inside peuvent être plutôt efficaces dans leur consommation (environ 120W), tandis que les jeux next-gen comme Control utilisent toutes les ressources de la carte graphique, résultant en une consommation bien plus importante (presque 300W).
Nous observons également que la consommation est importante y compris lorsque le PC est inactif, booté sur le bureau Windows. Certains jeux ne consomment que 25% voire 5% d’énergie supplémentaire. (La consommation inactive est identique mesurée sur linux (Ubuntu)).
Mais bien sûr, tout gamer qui se respecte ne s’arrête pas là, et se dirige immédiatement vers les options graphiques.
2. Variabilité selon les options graphiques
Nous avons passé plusieurs soirées à manipuler les options graphiques d’une dizaine de jeux, y compris la résolution et les FPS (Frames Per Second ou Images Par Seconde), pour mesurer les variations dans la consommation électrique.
Sans surprise, les deux facteurs les plus importants sont de loin la résolution et le framerate.
Par exemple, dans notre jeu le plus gourmand, Control, nous pouvons réduire la consommation par presque 90 Watts en passant de la résolution WQHD (5M pixels) à HD (2M pixels):
Réduire la résolution a un impact bien moindre sur les jeux moins gourmands, en particulier les jeux 2D comme Celeste ou Spelunky.
3. Les FPS sont (parfois) importantes
En ce qui concerne le framerate, nous avons seulement pu tester 60 et 30 FPS, et observons qu’il a un impact significatif, mais qui varie selon le jeu:
De plus, nous pouvons conjecturer que la consommation augmente de manière similaire en passant de 60 à 120 FPS, malheureusement nous ne sommes pas en capacité de directement tester cette hypothèse.
4. La config joue un rôle
Votre superbe carte graphique toute neuve a une capacité de consommation plus élevée que la précédente, ce n’est pas un secret. Mais les constructeurs insistent beaucoup sur l’efficacité. Comment cela se traduit-il dans les faits? Nous avons comparé notre PC 01 à une config plus récente, PC 02, équipé d’une RTX 3070:
PC 01: Intel core i7 7700k, GTX 1080
PC 02: Ryzen 5, RTX 3070
Comme on peut l’observer, la machine plus puissante consomme beaucoup plus que notre machine de référence, mais seulement dans les situations les plus demandeuses. Pour les jeux plus économes, la consommation est équivalente, voire même beaucoup plus basse dans certains cas.
5. DLSS
DLSS (Deep Learning Super Sampling) est une technologie propriétaire de Nvidia, implémentée sur les cartes graphiques RTX, qui calcule les images en basse résolution, et les agrandit avec une interpolation lissée, assistée par une AI spécifique au matériel de la carte graphique. Le résultat n’est pas indistinguable d’un rendu haute résolution pour un œil exercé, mais il est néanmoins très convaincant, et d’autant plus lorsque l’on prend en compte les observations ci-dessous.
Comme notre machine neuve incorpore DLSS, nous pouvons tester celle-ci sur le jeu Control, en observant des réductions significatives de la consommation énergétique:
De fait, sur notre machine moins puissante (PC 01), Control consommait 215 watts, même en 720p. Ici, faire tourner le jeu en HD avec DLSS à 58% (ce qui correspond à un rendu 720p), nous utilisons 173W, soit 40W de moins! Même si ce n’est qu’un résultat isolé, il démontre bien que jouer sur une config plus récente peut être plus économe dans certains cas.
6. Ultra, High, Medium, Low
Pour ce qui est des réglages graphiques, le résultat varie énormément en fonction du jeu.
Par exemple, dans Control, nous pouvons observer un impact significatif, qui nous économise entre 36 et 75 watts (en gardant à l’esprit que notre consommation en inactivité est environ 100W):
En revanche, dans Doom Eternal par exemple, les résultats ne varient que par 15W à peine entre les réglages Ultra et Bas.
Le cas le plus intéressant reste cependant Fortnite, avec non moins de 185W de différence entre les réglages les plus hauts et les plus bas sur le PC 02:
La raison d’une telle différence est probablement que Fortnite utilise la mise à l’échelle du rendu 3D (“Screen Percentage” dans Unreal Engine) dans ses réglages graphiques. En bref, sans changer la résolution finale du jeu, le moteur effectue le rendu de la scène 3D à une résolution plus basse, et fait une mise à l’échelle avec un filtrage bilinéaire (le DLSS du pauvre pour ainsi dire).
Le résultat est une réduction notable de netteté de l’image, avec cependant un grand avantage: l’interface n’est pas affectée (les menus, le HUD, ni même le réticule). Gardons cela à l’esprit pour nos recommandations pour les développeurs plus loin.
7. Des watts pour les yeux: l’écran
N’ignorons pas la consommation de nos écrans.
En mesurant notre moniteur Phillips IPS WQHD (Display 01), nous atteignons presque 60 watts à 100% de luminosité, et 28 watts sur un moniteur plus courant, un LG IPS en HD (Display 02).
La consommation du moniteur évolue de manière quasi linéaire avec le réglage de la luminosité, permettant de potentiellement réduire la consommation de deux tiers:
Nous pouvons trouver une courbe similaire pour les écrans OLED dans l’étude “Gestion de la consommation de manière dynamique pour les jeux mobiles”(7).
8. Le jeu ailleurs que sur PC
Nous pouvons nous référer une fois encore à “Vers un gaming plus vert: Estimer l’usage d’énergie national et le potentiel d’efficacité énergétique”
Et les mesures suivantes:
“Cout énergétique de la PS5” pour conclure qu’avec une consommation maximale de 200W, même les consoles de nouvelle génération sont bien plus efficaces que les tours gamer haut de gamme. Les consoles de la génération précédente (PS4) sont plus efficaces que la plupart des tours, avec quelques exceptions dans les tours en bas de gamme. Elles sont même plus efficaces que certains laptops haut de gamme. Avec une consommation en écran d’accueil de 50W, elles consomment sensiblement moins qu’une tour de gaming en inactivité.
Encore plus important, les consoles portables comme la Switch ont une consommation presque négligeable comparé aux PC de bureau ou consoles de salon.
Il en va de même pour le jeu sur mobile, qui ne consomme qu’une poignée de watts.
Ironiquement, nos smartphones sont de loin nos outils de jeu (contemporains) les plus économes et écologiques, si l’on prend en compte que la plupart d’entre nous ayant déjà un smartphone, leur impact hardware est quasi nul (pour le gaming).
II. Gamers: que faire?
Nous avons à ce stade quelques pistes qui nous pointent vers des changements immédiats grâce auxquels les gamers peuvent réduire leur consommation.
1. Réglages graphiques
- La majorité des gamers n’ont pas un écran plus haute résolution que HD, mais pour ceux qui sont concernés, il faut considérer faire tourner le jeu en HD, et sur un écran HD, peut-être même en 720p selon le jeu.
- Limiter ses FPS à 60, ou même 30 selon le jeu. Faire un rendu de plus de frames que le taux de rafraîchissement de l’écran est du pur gaspillage.
- Ne pas jouer en réglages Ultra. Plus précisément, considérer jouer avec un réglage en deçà de ce que le PC peut faire tourner.
- Utiliser DLSS le cas échéant.
- Bien choisir sa machine. Plus de pixels et plus de frames ont un impact significatif non seulement sur l’impact de la fabrication du matériel, mais aussi sur le coût énergétique de faire tourner le jeu.
- Garder à l’esprit que chaque watt économisé se traduit aussi en économies sur la facture d’électricité.
2. Moins jouer, jouer mieux
Tout comme les populations réalisent qu’elles doivent changer leurs habitudes de voyage, d’alimentation, et plus généralement leur addiction à la consommation, considérons réduire notre quantité de temps passé à jouer, et en augmenter la qualité.
J’ai personnellement pu trouver une amélioration significative de mon bien-être et de mon humeur en contrôlant mieux mon temps de jeu. Beaucoup de jeux contemporains sont étudiés pour happer le joueur et récompenser des heures de jeu en état semi-conscient, quoiqu’en disent les occasionnels messages “Il est temps de faire une pause!”.
3. Choisir sa plateforme
- La Nintendo Switch, ou osons le dire, nos smartphones, ont une consommation minimale — si ce n’est négligeable — tout en offrant dans certains cas une expérience de première classe.
- Si nous avons besoin d’une plateforme pour le gaming exclusivement, considérons une console plutôt qu’un ordinateur de bureau, et considérons acheter d’occasion les consoles des générations précédentes.
III. Réduire l’impact environnemental lors de la production de jeux
Tout ceci étant dit, il serait vain de demander aux gamers de changer leurs habitudes sur le long terme, si on leur demande d’aller à contre-sens de la manière dont les jeux sont conçus.
1. Développeurs: Eco mode, éco mode +
Il est courant désormais d’inclure toute une variété de réglages dans les jeux PC, et même maintenant les jeux consoles. Ultra, Haut, Moyen et une pléthore d’options sont proposées.
Nous proposons deux nouveaux réglages:
Eco, et Eco +.
Ces modes limiteraient les réglages les plus importants pour la consommation d’énergie. Eco mode proposerait un message expliquant les réglages recommandés, et n’irait pas au-delà des compromis de qualité que les développeurs jugent acceptables.
Eco mode + serait un monde plus agressif en économies, et altérerait l’expérience dans une certaine mesure.
Eco mode et Eco mode + limiteraient la résolution, le frame rate et les réglages concernés, en plus d’utiliser les solutions que nous proposons plus bas.
Ils servent également d’outil de sensibilisation, étant donné que la plupart des gamers ne n’ont pas conscience de la consommation énergétique de leurs jeux.
Les modes éco servent également de mode économie de batterie sur les laptops, un avantage tangible et immédiat pour les utilisateurs.
Nous pouvons aisément imaginer ajouter des succès Steam débloqués en jouant au jeu avec le mode éco ou “réglages moyens ou moins”
“Eco-économe: finissez le jeu avec des réglages moyens ou plus bas”
2. Tech artists: pas de petites économies
- Réduire les FPS et réglages de manière sélective
Tous les moteurs de jeux modernes permettent de manière aisée de limiter les FPS à la volée. Cela peut être utilisé avantageusement de plusieurs manières:
- limiter les FPS dans les menus (beaucoup de menus et lobbies sont maintenant en 3D)
- limiter les FPS pendant les cinématiques, durant les parties du gameplay les plus statiques
- limiter de manière agressive les FPS lorsque l’utilisateur est inactif pendant plusieurs secondes…
Escape from Tarkov par exemple, permet de limiter le jeu à 30fps en dehors des matchs (ou “raids”). Les mesures ci-dessous illustrent comment les performances du menu et du lobby peuvent économiser de l’énergie sans affecter le gameplay:
Note: l’inventaire est principalement rendu en 2D, alors que la “planque’ (hideout), bien que servant d’interface, est un environnement 3D complet.
- Mise à l’échelle de la résolution 3D
La mise à l’échelle de la résolution utilisée par Fortnite et disponible dans Unreal Engine est un outil de premier choix pour réduire la consommation énergétique de n’importe quel jeu 3D. La résolution peut être réduite de manière sélective, à nouveau dans les menus, lors de l’inactivité du joueur, dans les cinématiques, etc.
Nous pouvons voir clairement ci-dessous l’effet de la réduction de résolution 3D par rapport à la réduction de résolution globale, sur l’interface de Fortnite:
Nous pensons que beaucoup de jeux pourraient tourner avec 10 ou 30% de résolution en moins, sans grand impact sur la qualité perçue par le joueur moyen, surtout si utilisée de manière sélective.
- Quels réglages comptent?
Nous avons lancé des tests dans le moteur Unreal Engine 4 pour déterminer quels réglages graphiques impactent le plus la consommation d’énergie. Même si les tests sont effectués dans Unreal, la plupart des réglages proposés sont présents dans tous les moteurs de jeux contemporains.
Nous concluons que la plupart des réglages, individuellement, ne permettent pas d’améliorer la consommation, dans la limite de notre marge d’erreur. Avec quelques exceptions notables:
La consommation énergétique varie clairement avec le réglage ShadowQuality (qualité des ombres), sur nos deux machines:
Individuellement, les réglages de post-process ne font pas de différence mesurable, ni l’anti-aliasing de manière significative, ni la distance d’affichage ou la qualité du rendu de la végétation.
Sans surprise, les optimisations qui visent les économies de mémoire vive comme la qualité des textures n’ont pas d’impact significatif sur la consommation.
Comme décrit plus haut, et d’après nos mesures en jeu, la mise à l’échelle de la résolution (screen percentage) fait de loin la plus grande différence.
Il est intéressant de noter que les gains en énergie dus au Screen Percentage et à la qualité des ombres se combinent. Nous avons bien une consommation inférieure lorsque le Screen Percentage est bas et la qualité des ombres basse, comparé à une réduction du Screen Percentage seul.
3. Devs: Continuer à publier pour le vieux matériel
Même si nous n’avons pas traité l’impact environnemental du hardware dans cet article, c’est bien entendu une des plus importantes problématiques du gaming. Il est vital de prendre en charge le matériel plus ancien, et d’autant plus d’éviter les jeux exclusifs à un certain matériel (les cartes avec Ray Tracing par exemple). D’autant plus que le matériel ancien, même moins efficace, tend à avoir une consommation plus faible.
4. Producteurs: Prendre en charge le mobile et la Switch
Comparé à un PC qui peut consommer des dizaines de kWh par mois avec un usage de quelques heures par jour, un smartphone ne consomme que 1 ou 2 kWh par an au total. La Nintendo Switch, qui utilise le même hardware que le mobile, a une consommation similaire.
Avec 2.2 milliards d’adeptes, le mobile regroupe la grande majorité des gamers. La transition vers le mobile est en route, pour le meilleur et pour le pire avec les franchises comme Fortnite, PUBG, Call of Duty, Diablo, Apex Legends, Battlefield, Pokemon, Valorant, GTA, etc.
Cependant, nombreux gamers PC et console, et nombre studios sont encore réticents à se diriger vers le gaming mobile. Cela pourrait être attribué à des pratiques de monétisations sans éthique, qui repoussent certains joueurs, et rendent la pénétration du marché impossible pour les petits studios
La nouvelle offre de Netflix qui propose des jeux mobiles monétisés par abonnement, et les plateformes comme itch.io, qui proposent des jeux mobiles (majoritairement indépendants) pour Android en téléchargement direct, parfois en parallèle d’une version PC, laissent présager une évolution de ces pratiques.
Nous encourageons les studios à étudier ces possibilités, et les plateformes comme Steam, GOG et Epic Games à se diriger vers le mobile pour encourager les gamers à consommer leurs jeux sur cette plateforme.
5. Plus de numérique, moins de physique
Plus d’un développeur rêve de voir le visuel de leur jeu sur une jolie boîte, ou bien en figurine ou peluche. Même chez Monochrome, nous avons succombé à la tentation (et au besoin financier) d’avoir une sortie physique.
Pour ceux qui peuvent se le permettre, gardons nos distances avec les boîtes plastiques, les t-shirts bon marché, etc. tous expédiés en conteneurs aux quatre coins de notre planète.
6. L’impact culturel des jeux
Une nouvelle génération est en train de grandir avec les jeux vidéo comme média de choix, et ce n’est même pas la première.
Tout comme Hollywood a conjuré un certain paysage culturel dans le monde occidental depuis les années 50, c’est au tour des jeux vidéo de donner au monde de nouveaux rêves, héros et idéaux.
De plus, les jeux vidéo ont tendance à façonner nos habitudes plus fortement que les autres médias, pour citer Michael W. Clune dans son mémoire Gamelife:
“Tout ce qui se passe dans un jeu vidéo se passe dix mille fois. Parce que les jeux vidéo miment les habitudes, ils nous atteignent émotionnellement. Ils nous enseignent de grandes leçons, mieux que toute autre chose. Ils nous apprennent la mort, la volonté, le destin, l’action et l’identité. Ils transforment ces leçons en habitudes. Ces habitudes transpercent nos défenses. Les jeux vidéo nous touchent profondément.”
Certainement, les jeux vidéo ont hérité de certaines particularités de notre mode de vie dépendant de la consommation.
On peut noter en particulier que le but implicite des jeux est très souvent la conquête et la domination d’un espace. De Mario à Age of Empires, le jeu se termine lorsque chaque recoin a été exploré, les ressources collectées, et les ennemis et la vie sauvage chassés jusqu’à leur extinction.
Il est plus que probable qu’en finissant The Witcher III, vous aviez dans vos poches virtuelles assez de pain et de poulet pour nourrir une petite armée, et assez de verdure pour ouvrir votre propre centre commercial sur le thème de la fleur séchée.
Une fois le jeu terminé, notre place dans ce monde virtuel maintenant conquis, est celle d’un demi-dieu las, qui a récolté, construit et/ou tué toute source de revenus ou menace sur notre passage, et nous finissons avec un amas de richesses incalculable (devenu inutile), et un pouvoir auquel plus rien ne se compare.
Et si, plutôt que d’acheter et d’échanger des milliers de chemises, pantalons, armures et épées durant un RPG, le marchand nous répondrait, surpris, qu’il lui semble que nous n’avons pas besoin d’une nouvelle chemise, étant donné que nous en portons une en ce moment même. Et si nous pouvions signifier la progression autrement qu’avec une garde-robe médiévale que même un atelier clandestin peuplé d’enfants hyperactifs formés chez Nike aurait du mal à fournir?
Peut-on imaginer qu’à la place de notre jeu de gestion lambda basé sur une expansion infinie et l’exploitation de ressources, nous commencions un jeu avec une ville gigantesque, polluante, horrible, bourrée de produits chimiques, déprimante (en d’autres termes une ville moderne voiture-centrique parfaitement réaliste), et progressivement, nous repopulions la map de sa végétation et ressources naturelles, en réduisant les besoins et désirs de notre population? Un peu forcé peut-être?
Nos héros peuvent être végétariens, prendre le train, au lieu de conduire des camions, de manger des steaks et d’arpenter chaque recoin de la planète, mais surtout, ils pourraient voir leur propre monde différemment, sans essayer de le dominer par tous les moyens, ni de devenir leur maître inconditionnel, sans conquérir chaque animal, chaque caverne et forêt, sans retourner chaque pierre ni récolter chaque fleur et bibelot, mais plutôt, en trouvant une place dans un monde plus grand qu’eux.
Des jeux comme Undertale nous montrent que ces paradigmes ne sont pas seulement possibles, mais peuvent mener à de grands succès commerciaux et critiques.
Peut-on faire des jeux qui parlent de don, plutôt que de collecter comme des addicts à la dopamine?
Peut-on récompenser “un peu c’est assez”? Peut-on rendre la sobriété fun? Sinon, peut-on la rendre belle?
IV. Action globale
1. Une note énergétique pour les jeux vidéo
Notre étude de référence souligne que la mise en place d’une note énergétique pour un jeu vidéo est une tâche ardue, considérant le nombre de variables à prendre en compte et la vitesse à laquelle le média évolue.
Cela est visible avec les chiffres obtenus sur Fortnite, qui a une forte consommation en réglages Ultra, mais qui tombe dans le bas du panier une fois les réglages réduits.
Mais même s’il est vrai que les jeux ont des consommations très diverses selon leur plateforme, il semble certain qu’il devrait être possible de classer Control et Démineur, sur PC, dans deux catégories respectives. Ou entre un jeu physique et un jeu en dématérialisé, même si le label n’est que comparatif.
Même si le problème est complexe, nous pensons qu’une notation énergétique sous une forme ou une autre est possible et nécessaire.
2. Consommer moins, consommer démat’
Être un gamer est maintenant acceptable socialement, mais lorsqu’on nous a ouvert la porte du cool guys club (offre soumise à conditions), il y avait un hic: nous sommes devenus consommateurs en premier lieu. T-shirts, posters, figurines, éditions collector, cartes à collectionner, boîtes à pique-nique, jouets plastiques, tout RGB de la souris aux claviers en passant par la RAM et les casques audio à oreilles de chat, mugs, manettes collector, étuis de consoles marketing, porte-clefs, peluches, coussins…
Le jeu vidéo n’est pas synonyme de consommation, et lorsque nous consommons, consommons peu, et consommons dématérialisé.
Pour conclure
Si les studios et les gamers peuvent individuellement mettre en route une évolution des usages, nous souhaitons encourager également la presse et plus globalement les influenceurs jeu vidéo, streamers, testeurs et journalistes tech à prendre en compte l’impact environnemental des jeux et du matériel informatique. A l’heure actuelle, nous en sommes bien loin, lorsque la plupart des sujets traitent des cartes graphiques les plus puissantes, des configurations au coût obscène, de la course aux graphismes ultra et de la compétition de FPS.
Ce n’est qu’au travers de la démocratisation de ces idées que les usages peuvent évoluer de manière globale, et que des régulations sérieuses peuvent émerger.
Nous sommes convaincus que le rôle culturel et social du gaming peut être très positif, et qu’il est également un outil artistique puissant pour alerter sur l’état de notre planète. Cependant, même si notre rôle peut sembler minime, nous devons en premier lieu faire le ménage devant notre propre porte.
Tout comme nous n’avons pas d’excuse pour rester inactifs dans une crise globale, changer notre industrie pour le mieux ne fera que mettre d’autant plus en avant ceux qui refusent de changer, maintenant.
Remerciements: Emma Philippeau, pour sa précieuse relecture et ses encouragements.