On&On&On_Krastev_Lam_Zagari

18.01.2023 / Arsenic / Lausanne/

Roberto Rocco Garieri
2 min readJan 19, 2023

“Et pourtant elle tourne”

©Cynthia-Mai-Ammann

S’ il y a des objets qui invitent naturellement à écrire, il en existe d’autres qui ne se laissent pas approcher facilement. Non pas qu’ils seraient inabordables, mais plutôt qu’ils s’adressent à une zone de soi qui n’est résolument pas celle de la tête. C’est dans une partie située quelque part autour du nombril que On&On&On nous parle le plus directement.

Sur un plateau plongé dans une semi-obscurité sublimée par une lumière caressante et subtile (Vincent Deblue), trois mats sont dressés, sur lesquels des corps tournent et tournent et tournent. La très bonne musique rythmique et hypnotique d’ Alexandra Bellon pourrait très brièvement nous donner l’impression d’entrer dans le club cyberpunk sous-terrain d’un film futuriste. Mais cette première impression s’estompe rapidement pour faire place à quelque chose de plus trouble.

Sans crier gare, le spectacle se met à chuchoter à notre oreille interne, une langue héritée des étoiles qui longtemps furent les seules alliées des marins. Se déploie devant nos yeux la carte infinie d’une route empruntée par les courants, rose des quatre vent permettant de traverser même les eaux les plus profondes. Dans les temps troublés que beaucoup reconnaissent vivre, ce navire ivre nous emmène vers des contrées insoupçonnées.

Il s’agit ici de se laisser guider par la transe shamanique que ces trois excellents danseur·euse·xs arrivent à créer grâce au travail et à l’abnégation que requiert pareille entreprise: à savoir la contraction abdominale et la lutte contre le mal de mer. Car comment ne pas saluer la grâce avec laquelle ielles arrivent à faire oublier les forces antagonistes (centrifuge et centripète) pour défier la gravité et ainsi nous rappeler que “et pourtant elle tourne”. Et si, après tout, Galilée n’a jamais eu peur de défier les dogmes, osons la comparaison: si le spectacle marche aussi bien c’est peut-être parce que la mécanique précise à laquelle il se réfère est plus quantique qu’horlogère.

Et c’est ça sa force: de n’avoir jamais la prétention de réinventer cette révolution copernicienne à laquelle, pourtant, on assiste ébahi à chaque tour de pole. Dans un espace-temps beaucoup plus court qu’il n’y paraît, nous sortons de la salle avec la sensation persistante de ce tourbillon qui nous englobe. Partout, toujours et simultanément. Nous rappelant l’humilité qu’il convient d’adopter face à tout ce qui nous dépasse.

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Roberto Rocco Garieri
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Comédien vivement intéressé par les formes contemporaines et classiques d’expressions artistiques.