RSE — ENTRE BULLSHIT COM’ ET VRAIS ENGAGEMENTS

Gaëtan Ekszterowicz
5 min readFeb 27, 2018

La Responsabilité Sociétale des Entreprises. Un concept pompeux derrière lequel se cacherait un ensemble des pratiques mises en place par les entreprises dans le but de respecter les principes du développement durable ? Un vrai fourre-tout de théories, normes, pratiques et communiqués ronflants qui dit tout et son contraire à qui veut bien l’entendre. Bienvenue dans la jungle de l’art éco-socio responsable.

A l’origine

Un concept américain datant des années 50 qui trouve ses fondements dans Social Responsibilities of the Businessman d’Howard Bowen. L’idée est que ceux qui ont du pouvoir ont aussi des responsabilités envers la société. Les voix s’élèvent donc pour demander plus d’éthique dans le comportement des entreprises jusqu’à les voir volontairement aborder les problèmes sociétaux. Cette vision du dépassement des préoccupations économiques et des responsabilités légales des entreprises prévaut encore aujourd’hui. Les consommateurs, de plus en plus critiques, y sont pour beaucoup. Ils veulent les voir agir avec une éthique irréprochable et une responsabilité générale plus importante.

C’est ce qui a conduit les gouvernements à poser les bases de la RSE moderne. La loi relative aux nouvelles régulations économiques de 2001, loi «NRE», impose aux sociétés cotées en bourse de communiquer sur la façon dont elles prennent en compte les conséquences sociales et environnementales de leur activité. La loi Grenelle, en 2010, a ajouté une dimension sociétale et a élargi le nombre de sociétés concernées.

De la poudre de perlimpinpin ?

« Difficile aujourd’hui de trouver une entreprise qui n’ait pas un rapport RSE, une équipe RSE, ou au moins une stratégie de communication dédiée à la RSE. »

Mais oui, bien évidemment ! Comment pourrait-on s’en passer ? En tout cas les fournisseurs d’outils pro-RSE et autres rapports creux en sont persuadés ; mais contrairement à ce qu’ils affirment, les actions #RSE ne concernent qu’une petite minorité de sociétés, les autres ne les ayant pas attendu pour prendre des engagements équivalents sinon plus efficients. Le problème est qu’aujourd’hui « la RSE est véritablement institutionnalisée dans le monde de l’entreprise » au point que l’on soit obligé d’inventer pléthore de « bullshit jobs ». Un rapide tour d’horizon sur linkedIn #RSE ou #CSR (Corporate Social Responsibility) a de quoi faire sourire : « CSR Strategy Consultant », « CSR coordinator », « CSR expert », « CSR Director », « CSR Growth Hacker », « Senior CSR Analyst », « CSR Officer », etc.

Rassurez-vous, demain, c’est grâce à eux que vous sauverez la planète en dégustant votre positive cup Nespresso !

« RSE, m’as-tu-vu ? »

Oui, mais pas que. Si l’omerta plane sur le nombre de capsules recyclées chaque année par Nespresso, l’entreprise fait figure de leader en termes d’engagements sociaux et de développement durable. Dans le classement 2017 des meilleurs élèves on retrouve Microsoft, Google, et LEGO Group ; ce dernier a notamment créé un Centre des Matériaux Durables dédié à la recherche, au développement et à la mise en œuvre de nouvelles matières premières durables. La crème de la RSE. Sauf que la RSE n’a jamais été leur objectif, ni même leur stratégie !

Faire de la Responsabilité Sociétale des Entreprises un objectif est une irresponsabilité. Le concept même de RSE tient plus d’une conduite philanthropique extérieure aux activités commerciales que de l’intégration de pratiques responsables bénéficiant à toutes les parties prenantes. Pour reprendre les mots de Michael Townsend :

« La responsabilité sociale des entreprises n’est, au mieux, qu’une solution partielle — une solution qui peut être utilisée à mauvais escient pour créer une illusion de responsabilité ».

« Mieux vaut une bullshit com’ assumée que des escrocs cachés »

Et des escrocs, il y en a ! Qui ne se souvient pas de l’affaire Volkswagen ? De l’intoxication au mercure dans une usine d’Unilever en Inde ? Ou encore de Findus et sa viande de cheval ? Ronflante, chimérique, fallacieuse, elle a bon dos la RSE.

Et puis il y a ceux qui refusent de voir le problème en face. Le marché des droits à polluer ne vous dit rien ? C’est un instrument imaginé à la suite du protocole de Kyoto pour aider les états à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Le prix de la tonne de CO2, un crédit-carbone, y est fixé et a chuté de 30 euros en 2006 aux alentours de 8 euros en ce début d’année. Un marché sûrement plus lucratif à l’heure actuelle que celui du Bitcoin puisque le volume annuel européen est fixé à l’avance et autorise donc la spéculation. Les investisseurs peu scrupuleux et prêts à faire de l’argent sur le carbone achètent même des carbon offsets plus intéressants à l’étranger, les échangent sur le marché européen et empochent au passage de belles commissions. Le système touche ses limites et ne répond absolument pas à la problématique du développement durable. Est-ce qu’on peut d’un côté se permettre de fermer les yeux sur des émissions de gaz nocifs sous prétexte qu’ailleurs dans le monde on les compense ?

Nespresso nous montre une nouvelle fois la voie : l’objectif n’est pas la séquestration du CO2 mais le soutien de leur communauté de caféiculteurs et la restauration de leur écosystème.

Make the RSE great again?

“CSR is dead. It’s over!” (La RSE est morte. C’est terminé !), a déclaré Peter Bakker, le président du World Business Council for Sustainable Development (WBCSD) ; une coalition de 190 entreprises internationales unies par un engagement commun de développement durable.

La RSE s’est suicidée #dieselgate #DeepwaterHorizon, les écrans de fumée tombent et c’est mieux ainsi. Il subsiste toujours une armée de consultants RSE que de nombreuses sociétés installeront à des postes aussi prestigieux que « Director », « Expert », « Officer » mais l’opinion publique n’est plus dupe. Ne dit-on pas que « Chercher à se justifier quand on n’est pas coupable, c’est s’accuser » ? Ce qui est d’autant plus vrai quand on est coupable.

Par ailleurs, cette notion reste étroitement liée au système vieillissant d’audit social ; perçue comme facultative et périphérique elle suffit tout juste à corriger les insuffisances relevées par ces audits ; les véritables réformes censées responsabiliser les activités commerciales des sociétés n’en font pas partie.

Les entreprises de premier rang vont déjà bien au-delà de la RSE traditionnelle. Elles intègrent le développement durable à tous points de vue de leurs activités commerciales et sont conscientes qu’elles ne peuvent pas réussir si la société échoue.

Si le terme RSE est enterré, les notions de responsabilité des entreprises et de développement durable sont plus que jamais d’actualité et doivent le rester éternellement !

Pour aller plus loin

CSR is dead! What’s next?

CSR Doesn’t Pay

Q&A: Will the reformed EU Emissions Trading System raise carbon prices?

Crunch time on Brexit and climate policy

Il faut un marché mondial des droits à polluer

Né en 2005, le marché du CO2 attire déjà les spéculateurs

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