En 2002, la présence de 16 candidats au 1er tour avait été vue comme un problème. Nous nous dirigeons pourtant vers la situation inverse, bien plus préoccupante: l’impossibilité de voir certaines options politiques représentées à l’élection la plus importante de notre système politique.

La loi de “modernisation” de la présidentielle est un grand bond en arrière

Il faut savoir dire “non” au verrouillage de la démocratie

Geoffroy Berson
4 min readMar 31, 2016

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Jeudi 24 mars, dans un relatif silence médiatique, la proposition de loi organique dite de “modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle”, a été adoptée par l’Assemblée nationale. Ou plutôt, par 11 députés contre 7, sur 577.

Initié par le groupe socialiste à l’Assemblée, ce texte vise à changer les conditions de participation à la présidentielle, et ce dès 2017. Mais sous couvert de “modernisation”, il s’agit ni plus ni moins d’un verrouillage pour limiter la participation à ce scrutin aux grands partis institués. En voici les mesures:

  • Fin de l’égalité de temps de parole entre les candidats dans les médias, qui était obligatoire pendant les 5 dernières semaines avant le scrutin. Désormais, pendant cette période, la règle de l’égalité sera remplacée par une notion d’équité, qui prend en compte l’importance relative des candidats dans le temps de parole qui leur est accordé. Il ne sera strictement également réparti entre eux que lors des 2 dernières semaines avant le scrutin. Résultat ? Jusqu’à 15 jours avant le vote, l’espace médiatique sera saturé par les gros candidats traditionnels: le trio PS-LR-FN. Il sera bien plus difficile d’entendre des voix divergentes, surtout si elles viennent d’un nouveau venu en politique, issu de la société civile par exemple.
  • Une collecte des 500 signatures rendue plus difficile. La récole de ces fameuses 500 signatures de maires était déjà une épreuve du combattant pour quiconque ne dispose pas des réseaux disciplinés des plus grands partis. Désormais, au lieu de les donner au candidat qui les dépose ensuite au Conseil constitutionnel, un élu devra devra les faire parvenir lui-même. Le risque: qu’une promesse de parrainage faite à un petit candidat qui ne dispose pas de moyen de pression sur les élus ne soit pas tenue le moment venu.
  • Un contrôle renforcé sur les maires décidant de parrainer un candidat. Auparavant, le Conseil constitutionnel publiait un échantillon choisi aléatoirement d’élus ayant parrainé un candidat. Désormais, toute la liste sera publiée. Sous couvert de transparence, bien inutile dans ce cas, il s’agit d’un moyen pour les partis de contrôler le comportement de leurs troupes, et d’empêcher les élus qui envisageaient de parrainer un autre candidat que celui de leur parti de le faire.
  • Davantage de moyens de campagne pour les élus sortants. Le contrôle des comptes de campagne sera effectué sur les 6 derniers mois avant le scrutin, contre 12 auparavant. Avant ce délai, le président en place pourra utiliser les moyens de l’État en toute légalité à des fins électorales, sans que cela ne soit inscrit dans ses comptes de campagne.

L’objectif derrière ces changement pas aussi légers qu’ils n’en ont l’air, c’est de limiter la participation à la présidentielle aux grands partis politiques, déjà médiatiques, et disposant d’un réseau important de militants et d’élus disciplinés. C’est l’absolu contraire des réformes nécessaires pour revitaliser notre démocratie. C’est l’opposé du renouvellement de la classe politique que souhaitent les Français.

Terrifiée par le rejet dont elle fait l’objet dans la population et qu’elle découvre peu à peu, l’élite politique cherche à tout prix à protéger la rente sur laquelle elle vit — quitte à ce que cela nécessite de changer les règles du jeu pour éviter l’entrée en politique de forces nouvelles et de visages neufs.

Preuve de cette panique: la proposition de loi passe en procédure accélérée, ce qui permet de limiter le nombre de votes sur un texte par les différentes Chambres, et de réduire le temps dédié au débat parlementaire.

Le pari, c’est que les électeurs ne seront plus confrontés qu’à deux choix: soit voter pour une grand parti institué (PS, LR, FN, Front de gauche s’il existe encore), soit s’abstenir. En l’absence d’un vote blanc reconnu et de possibilités de voir émerger de nouveaux partis ou mouvements citoyens, l’abstention devient alors l’unique canal d’expression du mécontentement des électeurs. Or, l’abstention ne contrarie pas les plans d’une élite politique très soucieuse de conserver le pouvoir: elle n’affecte pas le score des partis qui reste fonction des suffrages exprimés, et se voit systématiquement évacuée du débat en quelques minutes les soirs d’élection — écartée à la fois par les élus qui n’ont pas intérêt à s’y attarder, et par des commentateurs souvent bien trop fascinés par les jeux de pouvoir partisans pour pouvoir incarner la méfiance que les électeurs expriment.

Lancée le 28 mars, une pétition contre cette proposition de loi a recueilli plus de 30.000 signatures en 3 jours, sans réseaux, et sans aucune couverture médiatique. Elle intervient beaucoup trop tard dans le processus législatif, alors que l’Assemblée vient de la voter. Mais il était extrêmement difficile de mobiliser sur un texte passant aussi inaperçu, alors que le système médiatique est resté focalisé pendant 4 longs mois sur la question de la déchéance de nationalité — qui n’a d’ailleurs abouti sur rien.

Il n’est jamais complètement trop tard pour se mobiliser contre un texte de loi. Nous disposons encore peut-être d’une petite fenêtre de tir pour faire reculer le gouvernement sur sa volonté de verrouiller la participation citoyenne aux institutions de la République. Nous devons nous y engouffrer.

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