Sauvons Lingerie Indiscrète : fabrication française, un héritage à reconquérir.

Guillaume Gibault
8 min readSep 12, 2018

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Depuis lundi dernier, 5 semaines après le suicide de son patron Didier Degrand, la société Indiscrète fait appel à la générosité de ses clients au travers de l’opération #SauvonsLingerieIndiscrete. La manufacture poitevine, spécialisée dans la fabrication de lingerie fine, haut de gamme lance une «vente solidaire» pour lever «100.000 à 150.000 euros» de liquidités nécessaires à sa survie, a annoncé à l’AFP la co-gérante Béatrice Mongella.

Retour quelques semaines en arrière, courant Juillet, le téléphone sonne chez le Slip Français.

« Le Slip bonjour ! »

A l’autre bout du fil, Didier Degrand, patron d’un atelier de confection à Chauvigny dans la Vienne souhaite commencer à travailler avec nous.

Il est à la tête de la société Indiscrète, une PME d’une petite vingtaine de salariés, spécialisée dans la lingerie féminine qui fabrique à 80% pour sa propre marque, Indiscrète, vendue à domicile, mais aussi à 20% pour d’autres clients en sous-traitance.

Créé par Aubade, l’atelier compte jusqu’à 132 salariés en 2009, date à laquelle la décision de délocaliser est prise : toute la production de la marque part en Tunisie et plan de licenciement pour 104 personnes. Le site est destiné à des activités logistiques.

Trois anciens salariés refusent ce choix et courageusement, décident de reprendre la société : Christelle en sera la chef d’atelier, Béatrice la directrice commerciale et Didier le patron et directeur de production.

Ils risquent gros et misent leur prime de licenciement dans ce nouveau départ.

Pendant les premières années Indiscrète tient ses promesses et les ventes décollent de 300,000 euros à presque 1 millions d’euros en 2014.

« L’historie est belle! » annonce Didier à la presse fin 2013.

Mais à partir de 2015, la situation se complique, les ventes d’Indiscrète patinent et l’atelier commence à chercher de nouveaux clients pour occuper ses lignes.

L’équipe fait face, soudée. Des galères, dans le métier, on en a vu d’autres. On s’accroche et on tient bon. On y croit, on va s’en sortir.

Mais en 2017, les choses prennent une mauvaise tournure, un client laisse une ardoise importante et en 2018 un autre ne confirme finalement pas ses importantes commandes annoncées.

La sentence tombe : la société est mise en redressement judiciaire.

Didier tient la barre, cherche des solutions et des clients : ce matin, c’est la raison de son appel chez nous.

« Bonjour le Slip, nous sommes à la recherche de nouveaux clients, nous avons vu vos produits et pensons pouvoir vous les fabriquer, et si nous nous rencontrions ? »

On échange et coup de bol, le Slip cherche justement des capacités de production pour nos produits femmes qui démarrent fort. Ça tombe bien, c’est leur spécialité, on devrait bien s’entendre.

On lui dit que ça nous intéresse et on se donne rendez vous à la rentrée pour venir le voir et rencontrer son équipe.

Cette année le Slip fabrique 700,000 pièces auprès de 42 sous-traitants Français.

Si au début de l’aventure en 2011 il a fallu convaincre et prouver notre sérieux, aujourd’hui des appels comme celui ci, nous en recevons plusieurs par mois.

On prend le temps de comprendre, de se renseigner, de visiter souvent ces petites usines familiales aux 4 coins de la France.

La plupart du temps, au bout de quelques mois, nous leur confions des premiers volumes.

Nous ne travaillons pas avec tous bien sûr mais ces dernières années, dans le petit monde de la fabrication française, nous sentons un vent d’optimisme, un reel intérêt et engouement du grand public pour le savoir faire, les produits fabriqués localement et les carnets de commandes de tous nos partenaires sont pleins.

Lemahieu, Coglais, Broussaud, Chanteclair, Perrin, Histoire de Femme, 7 Fashion, St James, EMO, Stock Union… tous courent après le temps et se disent que le plus dur est plutôt derrière eux.

Pour tous ceux là, l’activité repart, les ateliers tournent à plein régime et profonde fierté, leur métier revient sur le devant de la scène.

On se rassure.

Car quand l’atelier ne tourne pas, ça se voit mais surtout, ça s’entend.

Ces derniers mois, ça tourne à fond, ça tourne rond et ça sonne juste.

Ils nous le disent, ils sont fiers de travailler avec de plus en plus de nouveaux clients, avec des jeunes, avec l’avenir.

De travailler pour demain, eux que l’ont avait fini par convaincre qu’ils étaient devenus hier.

De voir qu’on croit en eux. Qu’on a besoin d’eux.

Lors d’une visite de l’équipe du Slip chez Lemahieu en 2015, les ouvrières avaient demandé «quelle classe de Lycée était venue visiter l’usine ce matin ? »

Rencontres d’une époque.

Ce monde “d’hier” redécouvert par celui qui fera demain. Surement une très juste définition d’aujourd’hui.

Les équipes du Slip et de Lemahieu — Lille, Avril 2018

Ces ateliers, à force de travail et de détermination, ont su résister à la vague des délocalisations. Ils sont de ceux qui trouvent toujours des solutions. Les derniers irréductibles, encore et toujours.

Chacun le sait, le textile français en a vu d’autres.

Au début des années 1990, on comptait 460,000 emplois textiles en France.

Aujourd’hui 58,000. En à peine 30 ans, presque 9/10 ont disparu.

Et pour ceux qui sont encore debouts, la situation reste fragile.

Ces ateliers sont souvent des unités de quelques dizaines de salariés, gérés par la deuxième ou troisième génération familiale.

Les ouvrières, à 95% des femmes, ont souvent 20, 30 ou 40 ans d’ancienneté. Entrées à 17 ans à l’usine en apprentissage, certaines sont à 57 ans à quelques années de la retraite. Pour elles, l’usine est bien souvent une deuxième famille qu’elles sont parfois effrayées d’avoir à quitter demain.

L’activité dégage peu de marge et on a vécu des coups durs. On a connu le double ou le triple de personnel et les machines non utilisées sont toujours là, sous un drap, à nous regarder d’un coin de l’œil.

Alors malheureusement, il suffit de peu pour les déstabiliser :

Dans le cas d’Indiscrète, 100,000 euros d’impayés en 2017, 200,000 euros de pertes et des commandes 2018 qui on l’apprend, n’arriveront pas.

Le cauchemar devient réalité : redressement judiciaire.

La spirale terrible, le découragement, et l’épreuve, devenue trop lourde à porter, tourne au drame.

Le 11 août, Didier se donne la mort dans son entreprise.

Comment en arriver là ? On n’ose imaginer.

Comment trouver la force de reprendre le travail? De reprendre la vie ?

Alors au retour des vacances, la petite équipe du Slip a décidé qu’elle allait donner un coup de main.

Il y a deux semaines, Zoé et Lilas sont allées à Chauvigny rencontrer Béatrice et Christelle pour voir comment nous pouvions leur passer des commandes rapidement et les aider à renflouer les caisses.

Elles ont rencontré une équipe déboussolée bien sur, mais la tête sur les épaules, compétente et un grand savoir faire. Nous allons leur confier des volumes et nous espèrerons que cela les aidera à sortir de cette mauvaise passe.

Suite à notre visite, Christelle nous a répondu avec des mots qui vont droit au cœur :

«Je vous remercie de votre soutien dans ce moment difficile, vous m’avez donné envie de mener le combat. »

Nous ne pouvons pas travailler avec tout le monde.

Mais quand le destin s’invite dans votre métier, on peut décider d’en avoir quelquechose à foutre.

Face à des situations terribles on a simplement envie d’aider.

C’est tout simplement humain.

Par cette campagne solidaire, au delà d’acheter un produit, on donne de l’espoir à des gens qui en ont besoin, on leur permet un sursaut pour « mener le combat ».

Alors soutenons les et #SauvonsLingerieIndiscrete en passant commande sur le site d’Indiscrète.

Et au delà de ce soutien éphémère nous avons mûri ces dernières années une conviction profonde.

L’époque est aux entreprises engagées, impliquées dans une vraie vision long terme, dont le but ne peut plus être le simple bénéfice économique. C’est une condition nécessaire pour réaliser un sens plus profond mais elle ne peut, ne doit plus être suffisante.

Sans perdre de vue l’impératif des marques de créer, d’inventer du beau, de donner envie, de se démarquer, nous devons être plus exigeant avec elles, avec nos entreprises, avec nous mêmes, avec notre avenir.

C’est le débat de fond de l’entreprise à mission et nous ne devons pas manquer les tournants de notre temps.

En cette rentrée, l’heure est résolument à l’optimisme :

Pour la première fois, en 2017, l’emploi textile s’est maintenu en France, grande première depuis plus de 40 ans. C’est le signe d’une tendance de fond, d’un changement de mentalité, d’attentes nouvelles pour des produits locaux fabriqués durablement rendus possibles par l’incroyable vague d’innovation que nous vivons : impression 3D, outils numériques, réseaux sociaux et distribution web.

L’heure est à la révolution, aux changements profonds et hasard du calendrier, aux résolutions de rentrée.

En témoignent les transmissions dont nous sommes témoins ces derniers temps : Confection du Coglais, Chanteclair, St James, ou la toute récente reprise du filateur et tisseur Valrupt Industries par l’un de ses principaux clients, la jeune marque 1083 : à la tête de ces historiques, une nouvelle génération de dirigeants, formés, impliqués, engagés. Conscients des enjeux, ils mènent un difficile combat qu’ils savent inscrit dans le long terme.

Chacun de nous, en tant que client, en tant qu’être humain cherche du sens. Dans notre vie, dans nos choix.

Alors en cette rentrée où le trouver ?

La réponse est peut être dans ce qui justement définit la marque France. En 2013 le « rapport de la marque France » commandé par Bercy mettait à jour les caractéristiques essentielles de notre marque nationale. Ses trois valeurs, celles qui font notre différence, l’unicité de notre « récit économique » :

L’amour des gestes et des savoir faire, la capacité à penser et à initier, l’art de la surprise.

Un patrimoine qui pèse sur les épaules.

Il nous appartient de le préserver, de le faire vivre et de le transmettre.

Mais comme le disait le sociologue Raymond Aron :

«Les français sont des héritiers mais pour sauver un héritage il faut être capable de le conquérir à nouveau»

En cette semaine de rentrée, fidèles à nous mêmes, droits dans nos bottes, et prêts à défendre cet héritage, il nous semble que soutenir Lingerie Indiscrète est exactement ce que nous devons faire.

Devant nous, l’avenir de la fabrication française reste tout entier à reconquérir.

Le chemin est long, difficile et semé d’embûches mais avec envie, plaisir et toutes les blagues imaginables sur le Slip, c’est ce que notre joyeuse bande s’efforce de faire chaque jour.

Vous voulez changer le monde ? Commencez par changer de Slip.

Guillaume, Président du Slip.

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Guillaume Gibault

Happy Frenchy 🇫🇷. Président du Slip @leslipfrancais. Instagram / Snapchat : @ggibault www.leslipfrancais.fr