L’entreprise et la théorie du skieur

Actionnaires de mon cœur

Alexandre Gorius
6 min readMar 28, 2017
To read an ENGLISH version, click on the image.

Personne ne sait ce qu’est une entreprise. Vous pouvez avoir l’impression de savoir, mais non.

Par exemple, vous pourriez penser à un lieu où une équipe de gestion emploie des fournisseurs et des travailleurs pour fabriquer des produits ou pour offrir des services, le tout vendu à des clients. D’ordinaire, on imagine à la fois le management et les travailleurs comme faisant partie de l’entreprise, qui elle-même fait affaire avec une autre compagnie : le fournisseur. Mais ce n’est que le choix légal d’une définition : en fin de compte, l’équipe de gestion s’emploie à payer les deux parties prenantes, alors comment choisir qui placer à l’intérieur de l’entreprise ?

Cette question n’est que la partie émergée de l’iceberg. De nombreux chercheurs en gestion (Coase (1937), March&Simon (1958), Segrestin&Hatchuel (2015), etc.) ont travaillé sur cette définition, mais il n’en existe aucune pour les gouverner toutes. Par conséquent, rien n’est figé et il y a de la place pour de nouvelles propositions. Le sujet est fondamental, car il peut avoir un impact important sur les entreprises elle-même. En effet, une définition offre une lentille à travers laquelle nous voyons le monde sur lequel nous agissons par la suite.

Bref, voyons comment nous allons sauver le monde en définissant une entreprise comme un skieur.

Business report: comment est la neige aujourd’hui ?

Prenons un skieur (une entreprise) qui descend une piste. Les conditions météos peuvent être variables: ce sont les conditions générales de l’économie. La piste elle-même (le secteur d’activité ou une industrie donnée) a ses propres particularités : la quantité de neige damée ou de poudreuse, de cailloux, d’arbres, et de glace. Cet environnement est aussi plus ou moins compétitif, car la piste peut-être vide ou chargée d’autres skieurs, snowboarders, monoskis (qui sont d’autres types d’organisations, comme les ONG). Il y a aussi un grand nombre de skieurs différents: enfants (start-ups) et séniors, petits (PME) et grands (Total ou BNP), faibles (Blackberry, Twitter) et forts (Google), prudents et impudents, etc.

Notre skieur évolue dans une station de ski (l’Etat). Pour pratiquer, il doit payer un forfait (une taxe) qui finance la construction et la maintenance des remontées mécaniques (les infrastructures), les systèmes de sécurité (les normes professionnelles), et l’assistance publique (l’aide aux entreprises en difficulté).

Avant d’aller plus loin, retournons à notre entreprise.

Les entreprises sont addictes en dopamine.

Notre skieur produit un stimulus pour son diencéphale (le client), qui, en retour, le rémunère en dopamine (en gros, par récompense en sensations de plaisir). Il est dirigé par le cerveau (le directeur général), qui est à la fois rationnel (globalement et généralement, le cerveau gauche) et influencé par l’instinct et les émotions (le cerveau droit). En ce sens, le cerveau est motivé à la fois par ses perceptions et ses interprétations de l’environnement. Son objectif est de prévoir, planifier et implémenter les bons mouvements du corps, permettant de maximiser le plaisir que le skieur tire de son activité.

Pilotés par le cerveau, les membres sont les différentes fonctions de l’entreprise. Comme dans une organisation, tout dans votre corps peut être développé en y apportant de l’attention, de l’exercice (pratiquer pour devenir compétent), et la bonne quantité de ressources à ce qui nécessite d’être nourri. Mais l’intense solicitation d’un muscle peut rapidement mener à des fatigues et des crampes qui ralentiront bientôt le corps entier. Parce que ces choses sont douloureuses, le système neuronal est un levier très efficace pour forcer le cerveau à “mettre les individus au premier plan”. Il n’existe aucun système d’incitations comparable dans les entreprises actuelles pour prévenir aux excès du management: si une déchirure musculaire vous met à terre, l’épuisement des employés d’une chaîne de montage n’a pas d’impact substantiel sur la stratégie d’une organisation. Définir les entreprises comme des humains pourrait permettre de résoudre ce problème.

Si vous respirez trop vite, c’est financièrement inquiétant.

Coeur et poumons sont les apporteurs de capitaux.

Les poumons sont les créditeurs: ils prêtent de l’oxygène venant de l’extérieur en échange d’un intérêt payé en carbone. Le cœur renvoie aux actionnaires: il reçoit les résultats et réinvestit le sang. Les ressources sont ainsi allouées aux membres et au cerveau. Il peut paniquer ou se relaxer, alarmer ou calmer le système, et a besoin que le corps soit performant et s’exerce pour se renforcer (comme les actionnaires). Le cerveau a alors différents leviers de pouvoir à actionner contre le cœur. Il peut retenir l’information (subconscient), le rassurer et l’influencer en usant de l’abstraction ou par relativisation.

Cette vision implique des financeurs:

  • D’être partiellement transparents: le corps connaît l’état de ses poumons et réagit en conséquence.
  • D’être à l’intérieur et non à l’extérieur de l’entreprise: tout le monde est dans le même bateau.
  • D’avoir une information incomplète mais tout de même très importante: le cerveau peut cacher ou reformuler l’information mais il est compliqué pour lui de trop cacher, car dans le corps tout est connecté. Par exemple, tentez de cacher à vos poumons et votre cœur que vous allez sauter d’une falaise: si elle est suffisamment haute, c’est impossible, ils savent.

Le second point est sans doute le plus important, car dans de trop nombreux cas en management, des responsabilités sont trop facilement délaissées lorsque personne n’est directement en charge de quelque chose.

Too fast too furious —l’inertie est clé

Installés dans vos fixations, vous descendez à toute vitesse, et tentez de une fois de plus de repousser vos limites. A chaque fois vous cherchez cette petite accélération: comme beaucoup, c’est là que vous tirez votre plaisir. Mais il y en a d’autres comme vous sur la piste: les plus lents ne vous gênent pas: il est facile de prévoir leur trajectoire et de les éviter. En revanche, plus les autres sont rapides, plus ils vous forcent à faire attention, ralentir, et limiter votre plaisir. Pourtant aujourd’hui tout va bien, et vous êtes définitivement des plus rapides sur cette piste que vous connaissez si bien. 70km/h est une bonne vitesse, vous commencez à vous ancrer profondément dans votre trajectoire, c’est confortable.

Tout à coup, tout s’effondre. Vous n’avez pas manqué de remarquer que la piste se divisait en deux, plus bas. Vous commencez à douter des conditions de la piste qui soudainement révèle une neige usée où quelques cailloux ont émergé. Mais à cause de votre vitesse et votre poids, votre inertie, vous n’avez pas le temps de penser, vous reposez sur l’idée que la trajectoire que vous entreprenez a toujours été parfaite pour vous. Vous ne prenez pas le virage, et vous écrasez violemment sur la piste rocailleuse.

En fait, vous venez juste de réaliser à quel point il a pu être difficile pour Kodak ou Blackberry de prendre les virages stratégiques qui ont causé leur perte. Jamais nous n’étudions l’inertie en management, alors qu’il semble crucial de la maîtriser.

Conclusion - J’ai menti

Nous n’avons pas défini l’entreprise comme un skieur, j’ai forcé une comparaison qui tient à peine. Notons qu’une organisation ne peut tomber amoureuse d’une autre, agissant d’une manière si folle qu’elle rendrait malade ses actionnaires.

Encore que, que dire des fusions et acquisitions ?

Mais ce n’est en rien scientifique, rien n’est tangible. Pourtant, cette comparaison ouvre notre esprit sur trois sujets importants de management qui pourraient inspirer notre manière de les adresser et changer nos lentilles :

  • Le corps place les individus avant tout.
  • Il place les apporteurs de capitaux dans le même bateau que toutes les autres fonctions de l’entreprise.
  • La métaphore du skieur souligne le concept d’inertie, rarement adressé en éducation des sciences des organisations.

En fin de compte, c’est peut-être un exercice que nous devrions pratiquer plus souvent. Disons qu’une entreprise est une abeille, d’accord ?

Contributeur: Madé Neumair

--

--

Alexandre Gorius

Founder of Nationall & TEDxDauphine. I'm writing to propose a different understanding of our selves and environment for anybody to feel better and optimistic.