Illustration par @pioldes

Le modèle AEIOU pour les conversations 1-on-1

GWU Montreal

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Il sera toujours difficile d’amener par vous même les changements nécessaires à l’amélioration de vos conditions de travail, surtout si les changements requis menacent les profits des investisseurs du studio.

En tant qu’employé·e isolé·e, vous avez peu de leviers pour faire vos demandes et êtes exposé·e aux représailles des patrons, mais si vous et vos collègues vous rassemblez, il devient possible d’exiger beaucoup plus.
Pour bâtir ce pouvoir collectif, il faut d’abord ouvrir la conversation avec vos collègues, discuter de vos problèmes, trouver des solutions ensemble et enfin, agir collectivement, de façon planifiée et coordonnée.

Une méthode essentielle pour établir la solidarité au travail est ce que l’on appelle les conversations “1-on-1” (juste à deux, en tête à tête), qui ont plusieurs fonctions:

  • Établir une relation de confiance. Faites comprendre à vos collègues que vous êtes à leur côté, que leurs frustrations sont comprises voire partagées.
  • Identifier la cause de leurs problèmes au travail. Aidez les à trouver d'où viennent leurs ennuis.
  • Transporter vos collègues d’une position d’inaction, vers un chemin qui offre des solutions. Ensemble, vous voulez quitter cette conversation avec des idées et un plan pour arranger les choses.

Faire des 1-on-1 réguliers sera utile à tout le monde. Pour vos collègues, savoir que leur situation peut s’améliorer et que vous êtes à leur côté est une source de motivation considérable, et réduit le sentiment d’isolation au travail. Pour vous, les 1-on-1 sont une façon d’obtenir une meilleure perspective sur les problèmes de vos collègues, de planifier de futures actions et créer une relation de confiance, indispensable pour établir un sentiment de solidarité.

À quoi sert le modèle AEIOU?

Pour garantir l’efficacité de ces conversations, plusieurs modèles vous aideront à structurer vos 1-on-1: AEIOU est l’un de ces modèles, utilisé et enseigné par les membres du syndicat IWW. Cet article ne cherche pas à prétendre qu’il s’agit du seule modèle existant (nous en mentionnons d’autres en conclusion), mais plutôt à attirer votre attention sur le fait que les syndicalistes ont longtemps cherché à rendre ces conversations efficaces, et qu’il peut vous être utile d’apprendre leurs méthodes.

AEIOU correspond à Agitate/Educate/Inoculate/Organize/Union et décrit 5 étapes simples à traverser pour établir la confiance avec un collègue, identifier leurs problèmes et commencer le travail vers une solution.

Même si vous n’estimez pas encore être en mesure de débuter le travail de syndicalisation, vous pouvez tout de même bénéficier d’apprendre et pratiquer AEIOU, car les occasions de mener des 1-on-1s avec vos collègues finiront par arriver. Pour des raisons de sécurité, nous vous encourageons à tenir ces conversations de préférence en face à face (ou par chat vidéo) et en dehors du travail.

Dans l’article ci-dessous, nous allons détailler les 5 étapes d’AEIOU, et donner des exemples de la façon dont elles pourraient s’exprimer dans le contexte d’une boîte de jeu vidéo. Nous vous recommandons d’apprendre ces étapes et de les pratiquer!

Agitate (Agiter)

La première étape consiste à aider votre collègue à exprimer quels sont les problèmes qu’iels rencontrent au travail. Cette conversation pourrait être provoquée parce qu’iels décident de se plaindre de quelque chose qui les tracasse (dans ce cas, commencez à réfléchir à d’éventuelles solutions, pour que la conversation ne se termine pas de façon frustrante), mais vous pourriez aussi simplement commencer par leur demander gentiment si tout se passe bien au travail, et prêter une oreille attentive.

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas à vous de leur dire quel est leur problème, à ce stade vous n’êtes ici que pour écouter. En plus de comprendre quel est l’aspect matériel de leur problème, il faut en trouver l’aspect émotionnel: si les horaires de travail sont trop longs, quelles sont les conséquences, est-ce que votre collègue est fatigué·e? Si les salaires sont trop bas, est-ce que cela cause du stress à cause de factures qu’iels ne peuvent pas payer?

Les problèmes auxquels vos collègues font face ne sont pas forcément aussi terribles qu’un salaire bas ou du crunch constant, il pourrait aussi simplement s’agir d’une chaise de bureau abîmée que la direction du studio refuse de remplacer, et qui finit par leur donner mal au dos. Même si vous estimez être “dans une bonne situation” dans la compagnie où vous travaillez, ne partez pas du principe que c’est le cas pour tout le monde, ou que les petits problèmes ne méritent pas d’être adressés.

Souvenez vous, durant cette partie de la conversation, votre job est principalement d’être attentif, d’écouter et poser des questions.

Educate (Éduquer)

La seconde partie de la conversation consiste à admettre que certains problèmes ne peuvent être affrontés qu’à plusieurs, que l’on est vulnérable quand on agit seul·e. À ce stade, vous n’êtes toujours pas là pour dire à vos collègues quoi faire, vous devez les encourager à proposer leurs propres solutions, et pointer du doigt comment il serait plus facile d’agir à plusieurs.

Si votre collègue comprend qu’iel n’est pas seul·e à faire face à un problème, il leur sera beaucoup moins intimidant d’imaginer comment changer la situation, même si cela implique de confronter les managers. Par exemple, si une employée se rend compte qu’elle n’est pas payée autant qu’un autre employé qui fait le même travail, et qu’elle suspecte qu’il s’agisse de discrimination sur la base de son genre, montrer que vous la croyez et seriez prêt·e à l’accompagner pour une demande d’augmentation pourrait rendre cette situation bien moins effrayante pour elle.

Un autre exemple serait celui d’un collègue agacé que la machine à café gratuite ait été remplacée par une payante. Il pourrait être dissuadé de s’en plaindre seul, mais si vous exprimez que vous pensez également que le studio devrait continuer de payer les cafés, et que d’autres employé·es partagent probablement cette opinion, et que vous pourriez demander à changer cette situation ensemble, ce petit problème devient maintenant un obstacle que vous pouvez essayer d’attaquer tous ensemble.

Inoculate (Inoculer)

Dès que vous entreprendrez la moindre action collective au travail, le management du studio lancera des représailles et essaiera toutes sortes de techniques visant à briser votre groupe. Dans les pires situations il peut s’agir de licencier ou menacer de discipliner des employé·e·s qui “causent des ennuis”, ou bien de tenir des meetings à “audience captive” visant à briser la confiance entre les travailleu·se·rs et les encourager à s’adresser au management du studio en privé plutôt que de discuter des problèmes du studio entre employé·e·s.

La peur des répercussions est le plus grand obstacle à tout travail de syndicalisation, et voir la réaction des RH ou managers à vos demandes pourrait suffir à instantanément démotiver vos collègues qui avaient trouvé le courage de demander mieux.

Pour les préparer à cela, vous devez “inoculer”, c’est à dire préparer vos collègues aux réactions des patrons. Si vous avez trouvé un solution ou listé des demandes pour les problèmes rencontrés au studio, et avez décidé d’essayer d’améliorer la situation ensemble, il est maintenant temps de préparer vos collègues à rester ancré·es dans leurs positions quand leurs demandes rencontreront de la résistance. Vous pouvez commencer cette partie de la conversation en leur demandant ce qu’iels pensent qu’il puisse se produire. Même si vous apportez votre propre savoir, le but à ce stade est de se préparer avec votre collègue en tant qu’équipe, ce qui signifie que vous devez aussi leur demander ce que serait à leurs yeux le pire cas de figure, et ce qu’iels pensent que vous devriez faire dans ce scénario.

Dans notre zine pour la GDC, nous avons mentionné plusieurs des techniques que les patrons essaieront de mettre en place pour décourager les employé·es de s’organiser, et tuer toute tentative de syndicalisation dans l’oeuf. Apprenez à reconnaître ces méthodes et utilisez les conversations avec vos collègues comme une opportunité pour les préparer, au cas où vous décidez de mener une action collective. Le Union Busting Playbook est une autre excellente resource pour en apprendre plus sur ces techniques anti-union et comment d’autres travailleu·se·rs les ont contrées.

Organize (Organiser)

O et U, les deux dernières lettres de la formule AEIOU, varient en interprétation et fonctionnent comme des objectifs à long terme pour votre campagne, allant bien au delà des objectifs d’une conversation 1-on-1 isolée.

Organiser signifie structurer le travail qui reste à accomplir, habituellement en délégant des tâches. Si vous êtes arrivé·es à la conclusion que vos demandes nécessitent davantage de soutien, ce peut être un bon moment pour demander à votre collègue si iel connaît d’autres employé·es qui seraient prêt·es à aider votre cause. Si c’est le cas, partagez vous le travail et donnez vous chacun une liste de collègues à contacter.

Si vous avez décidé d’écrire une demande formelle, il est temps de décider qui devrait l’écrire, qui devrait faire les recherches d’arguments légaux nécessaires, etc. Évitez de prendre tout le travail sur vos épaules, souvenez vous que le but est 1-on-1 est d’établir de la solidarité, et que vous ne pouvez pas transformer un lieu de travail par vous même. Laissez votre collègue faire sa moitié du travail, mais soyez prêt à offrir votre aide si iel est coincé·e.

Enfin, n’oubliez pas d’établir une date pour votre prochain 1-on-1, l’occasion de faire le compte rendu du travail accompli.

Unionize (former une Union)

Enfin, le U dans AEIOU signifie généralement Unionize (syndiquer) ou Uplift (Motiver). Il sert à se souvenir de vos objectifs à long-terme.

Si vous lisez cet article, vous pensez peut être à syndiquer votre lieu de travail. Même si ce guide peut vous aider à entamer le dialogue avec vos collègues, vous estimez peut être que vos collègues ne sont pas prêt·es à discuter l’idée d’un syndicat, ou que les risques sont trop grands. Cependant, si vous commencez par vous attaquer ensemble à de petits problèmes rencontrés au travail, vous pouvez commencer par viser de petits succès, ensemble.
Si vous parvenez à changer vos conditions de travail par le biais d’une action collective, vos collègues auront été témoins de l’impact du pouvoir que vous avez ensemble. Cela pourra leur donner une meilleure compréhension des bénéfices associés à un syndicat, qui est essentiellement un groupe de travailleu·se·rs utilisant leur pouvoir collectif comme levier pour faire des demandes et améliorer leurs conditions de travail.

Même si vos demandes ne sont pas immédiatement respectées, vous avez probablement, à ce stade, créé un espace dans lequel vous pouvez nommer la source de vos plaintes au travail et chercher des solutions ensemble. C’est ici que l’interprétation du U en Uplift (Motiver) intervient: il est difficile d’obtenir du changement, et la motivation de vos collègues risque de s’affaiblir après les premiers 1-on-1. Il est facile de perdre espoir. Aider vos collègues à voir les bons côtés de la situation et garder à l’oeil les options qui sont maintenant à leur disposition fait partie du travail d’organisation.

AEIOU n’est qu’un seul exemple de modèle pour les 1-on-1, il en existe d’autres tels que:

Ces modèles visent à porter la conversation d’une situation de frustration, vers une dynamique d’action. Nous vous recommandons de pratiquer ces échanges, idéalement avec un·e partenaire (ou un·e autre membre de GWU!), avec une personne jouant le rôle de l’organisatrice·eur, et l’autre de leur collègue. Réfléchissez à comment démarrer la conversation, le type de questions que vous devez poser, et le type de question auquel vous pourriez vous attendre de la part de vos collègues.

Que vous preniez l’initiative de planifier un 1-on-1 ou que l’occasion se présente d’elle même, mener des conversations de cette manière sera l’une des clefs pour gagner les changements que vous méritez au travail.

Écrit par Tom de GWU Montreal, avec la précieuse aide et relecture d’autres membres!
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Game Workers Unite Montréal is a democratic workers’ organization advocating for workers’ rights and supporting union organizing in the games industry.