Le coucher de lune

Hadrien Brune
4 min readSep 24, 2017

--

J’avais déjà vu des couchers de soleil. Plein. Du moins, plus que je ne pouvais en compter. Mais je n’avais encore jamais vu de coucher de lune.

— Tu ne m’as toujours pas répondu, dit-elle en passant sa main dans sa longue chevelure bouclée.

Je bus une gorgée de bière, ma troisième de la soirée. Elle n’avait plus aucun goût.

— On ne peut rien te cacher, hein ?

— Rien, tu sais que je vois tout.

Mais je n’étais pas prêt à répondre pour le moment. Pas encore. Le sable était froid entre mes orteils. J’avais enfoui mes deux pieds sous un monticule de fraîcheur qui m’aidait à garder les idées claires. Le bruit de la mer berçait la dernière part de moi qui voulait rester éveillé. Mais au loin, la lune était encore visible.

— Tu sais, commençai-je, si on m’avait dit il y a un mois de cela que je regarderais un coucher de lune assis sur une dune avec ma belle-sœur…

— Moi non plus je n’y aurais pas cru, si ça peut te rassurer.

— Ah ? Tu as prévu d’inviter ta belle-sœur ?

— Mais non, soupira-t-elle. Je parle de toi.

J’avais réussi à lui décrocher un sourire.

— J’ai bien compris que tu as besoin de réfléchir, soupira-t-elle, mais de là à m’arroser de ton humour pour gagner du temps…

— L’humour a parfois du bon, répondis-je en lançant ma bouteille le plus loin possible. Après tout, c’est grâce à lui que nous sommes assis ici et maintenant.

— Pardon ? pouffa-t-elle. Tu veux parler de ton numéro de tout à l’heure ?

Incompréhension.

— Attends… Tu penses vraiment que c’est ça qui a attiré mon attention ?

Je me sentais un peu bête. Devant mon silence gêné, elle éclata de rire. Il était clair comme une nuit sans étoiles.

— Non, repris-je. Je sais que tu es venue de ton plein gré. Mais j’ai juste essayé de faciliter les choses. De toute façon, il fallait qu’on se parle. Pour lui.

— Oui, répondit-elle en s’essuyant les yeux. Pour lui.

La lune flottait sur l’eau juste devant nous. Elle se baignait dans la mer, très loin de notre plage de sable froid. Plus que quelques minutes et elle partirait se coucher une bonne fois pour toutes. J’espérais en faire autant.

— J’ai bien réfléchi, dis-je pour briser le bruit des vagues. Je pense avoir ta réponse.

— Je suis toute ouïe, dit-elle en lançant sa bouteille le plus loin possible. Elle atterrit plus loin que la mienne, presque au niveau de l’eau.

Je pris une grande respiration. J’avais assez tourné et retourné le problème dans ma tête.

— J’accepte, lançais-je sans hésiter.

Elle me fixa droit dans les yeux. Ses tâches de rousseur encadraient ses grands yeux bleus d’un air sévère que ne lui connaissais pas. Ses boucles volaient au gré du vent et du sable qui filait à nos côtés.

— Tu m’en vois ravie. Mais j’ai besoin de rajouter une dernière condition.

— Encore une ?

— Je ne veux pas qu’il sache quoi que ce soit.

Un papillon dans le ventre.

— Quoi !? Mais c’est de la folie ! Et si jamais il finit par l’apprendre ?

Elle baissa les yeux et fixa le sable un instant.

— J’en prendrai la responsabilité.

— Écoute, je suis désolé, mais ça change tout. Je ne peux pas vivre avec quelque chose d’aussi lourd à porter.

Le silence se fit une petite place entre nous, les pieds dans le sable.

— C’est ma seule issue, murmura-t-elle.

— Je sais. Mais moi aussi j’ai ma part de responsabilité là-dedans.

— Il ne verra rien, c’est promis.

— Mais comment tu peux le savoir ?

— Vous avez le même patrimoine génétique.

Elle avait parfaitement raison. Lui et moi étions identiques en tous points. C’était physique. Scellé depuis notre naissance. Rien ne pouvait changer cela.

— Oui, soupirais-je. Le même patrimoine génétique. À une différence près.

— Et j’ai choisi celui qui est stérile.

— Comment tu comptes lui annoncer ?

— Il ne le saura jamais non plus. Il ne doit rien savoir de tout cela, que ce soit à propos de sa stérilité ou de notre arrangement.

— Mais on n’a pas le droit de lui cacher ça. Je sais qu’il est un peu con sur les bords, mais quand même. Mets-toi à sa place, ça le concerne directement. Tu aimerais qu’on te fasse un coup pareil ?

— Non, bien sûr que non…

— Alors pourquoi ?

— Tu le connais. Tu sais ce qui arrivera s’il l’apprend.

— Quoi, tu as peur qu’il perde les pédales ? Qu’il ne sache plus où sont ses limites ? Qu’il…

Au fond de moi, j’avais déjà compris la nature du problème. Il était incapable de s’arrêter. Il avait toujours été comme ça.

— Qu’il aille voir ailleurs ? murmurai-je.

Elle acquiesça en silence.

— S’il l’apprend, il va partir.

— Et tu penses qu’il va rester si tu lui annonce que tu es enceinte ?

Ses grands yeux étaient brillants. Les derniers rayons de lune dessinaient des reflets pâles sur ses cheveux bouclés.

— Tu l’aimes, n’est-ce pas ?

Son sourire fut le plus beau souvenir que je gardai de cette soirée. Quand nous quittâmes la plage, la lune était couchée depuis longtemps déjà.

--

--