Le manga Kingdom et l’art de convaincre — Episode 1 — La proposition d’alliance d’Ei Sei

Yasratcha
7 min readJan 12, 2022

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Intro

Kingdom est un des rares mangas qui sait donner des frissons à travers les discours et déclarations de ses personnages.

On y suit Shin et Hyou en l’an 245 av. J.⁠-⁠C., deux jeunes esclaves qui veulent échapper à leur condition et rêvent de s’engager dans l’armée chinoise de Qin afin d’atteindre le titre de “Grand Général sous les Cieux”. Cependant Hyou se fait assassiner très tôt dans l’histoire, ce qui laisse Shin s’engager à porter seul ce rêve.

Que ce soit sur un champ de bataille ou dans une situation de crise, les protagonistes ont une capacité exceptionnelle pour convaincre avec des mots à tel point que cela emporte aussi le lecteur.

Pour cette raison je me suis mis à relire cette oeuvre (qui n’est pas terminée) pour tenter de comprendre les mécaniques utilisées par les personnages et poser par écrit mon ressenti.

Contexte de l’épisode (ch. 21 & 22)

Ei Sei, 13 ans, roi héritier du trône de Qin est victime d’un complot par son frère et se fait détrôner. Il fuit le palais royal et rencontre Shin avec qui il va rechercher de l’aide du peuple des montagnes qui, historiquement, a conclu un pacte de paix avec son ancêtre. A noter que Hyou, l’ami de Shin, était le sosie parfait d’Ei Sei et a joué un rôle majeur dans la fuite mais en est décédé. C’est ce qui provoque leur rencontre. Avec une poignée de soldats fidèles, Ei Sei et Shin décident de gravir les montagnes à la recherche de Yotanwa, le leader des tribus des montagnes. Néanmoins le pacte n’a duré que pendant la période du règne, les tribus ont ensuite été victimes de discrimination par Qin après la fin du règne. Il doit donc trouver un moyen de les convaincre.

Le dialogue

Yotanwa, visage masqué, accueille Ei Sei en décrivant son statut :

Un jeune roi sans pouvoir ni autorité, dont le trône a été volé par son frère, peu de loyaux serviteurs pour l’assister, contraint de fuir et se cacher, et pour me rencontrer tu es même venu jusqu’ici. Pourquoi ?

Ei Sei indique venir demander de l’aide pour récupérer son trône. Tous les témoins de la scène rient. Yotanwa réplique qu’il se méprend et qu’il est face à une audience dans le cadre d’une condamnation, puis raconte le racisme et la discrimination subie par le peuple des montagnes après la mort de l’ancêtre d’Ei Sei. Il est donc nécessaire selon Yotanwa que celui-ci meure, afin d’apaiser les esprits des ancêtres et les laisser reposer en paix.

Ei Sei assume la responsabilité du royaume de Qin et présente ses excuses pour les atrocités commises tout en répondant que ce n’est pas une raison suffisante pour l’exécuter. Il explique que la haine et le mépris accumulés au fil des générations ne peuvent pas s’éteindre instantanément :

En regardant notre histoire il est évident que réussir une chose pareille était impossible. Croire qu’il soit réalisable d’instaurer la paix après des siècles de conflits aurait été très naïf.

Yotanwa :

Es-tu en train de dire que nos ancêtres ont été stupides de croire en ce rêve, au point d’être trahis ?

Ei Sei :

Ce n’est pas ce que je voulais dire. Mon point de vue, c’est que cette profonde rancoeur entre nos peuples ne se résoudra pas simplement en me décapitant.

Yotanwa s’exclame qu’il faudrait alors massacrer tout le pays de Qin. Ei Sei propose une autre direction :

Plutôt que de se venger, il y a bien d’autres choses plus importantes à accomplir.

Ô roi de la montagne, si la haine seulement devait conduire les rois à tirer l’épée, alors leurs pays seraient détruits par une spirale de violence. Si vous êtes réellement un roi, alors vous utiliserez votre épée pour ouvrir un chemin qui permettra plutôt à votre peuple de vivre.

Il explique ensuite que les conflits sont liés en partie à la distinction entre le peuple des montagnes et ceux des plaines depuis des centaines d’années. Et que c’est la même chose pour la Chine et ses royaumes :

Des frontières ont été construites pour renforcer l’idée que tous ceux qui sont à l’intérieur sont des alliés, et tous ceux à l’extérieur des ennemis.

Le pacte de paix n’était qu’une mesure temporaire et insuffisante selon lui. Il précise que récupérer le trône est seulement la première étape et affiche ses ambitions : supprimer la totalité des frontières dans toute la Chine. Mais Yotanwa ne se laisse pas convaincre si facilement :

Regarde bien autour de toi, penses-tu vraiment qu’un seul état se soumettrait à cette idée ?

Ei Sei rétorque que s’ils ne le font pas, Qin utilisera la force parce qu’après tout, l’époque est propice à faire la guerre. Yotanwa rétorque alors que cela sonne comme l’exact opposé d’un “chemin qui permettra plutôt au peuple de vivre”.

La réponse :

Cette ère de guerres sans fin dure depuis maintenant 500 ans, il n’y a donc aucune raison qu’elles s’arrête dans les 500 prochaines années. Mais moi j’utiliserai mon épée afin que ceux qui devaient périr durant ces 500 prochaines années de guerres inutiles puissent vivre.

Il exprime ainsi son souhait d’anéantir tous les autres états et de faire de Qin le pays entier.

Si j’unifie la Chine sous un seul et même drapeau, alors toutes ces guerres entre états cesseront. Tous les citoyens pourront alors contempler un nouveau monde, plus vaste.

Yotanwa se remémore alors une discussion eue bien plus jeune avec les doyens, se demandant pourquoi le peuple des montagnes n’envahissaient pas Qin. Ils répondent manquer de temps et de moyens. Yotanwa propose donc de chercher à obtenir la paix mais les sages rappellent le mépris subi et le chemin de vengeance qu’ils doivent suivre. Cet échange se conclut :

Mais doyens, en fortifiant nos murs années après années, que ce soit par la guerre ou la paix, J’ai l’impression que notre monde devient de plus en plus petit. Tout ce que je veux, c’est élargir notre monde à de nouveaux horizons.

De retour dans le présent Shin qui assiste à cette audience intervient :

Ce que vos ancêtres doivent le plus regretter c’est que leur rêve n’ait été qu’illusion. Si vous pensiez vraiment à ceux qui sont morts… alors vous essaieriez de transformer leur rêve en réalité !

Cette initiative provoque un long silence. Ei Sei enchaine :

Ô chef de la montagne Yotanwa. Comme vous pouvez le voir, je suis un roi sans pouvoir ni autorité. Cependant unifier la Chine n’est pas qu’une parole en l’air, c’est mon objectif.

Joignez-vous à moi et je vous montrerai un monde encore plus vaste que celui dont vos ancêtres avaient rêvé.

Restaurons l’alliance d’il y a 400 ans entre les habitants de la montagne et Qin ! Prêtez-moi votre force !

Yotanwa réfléchit quelques secondes puis met fin à l’audience :

J’ai une question pour toi, roi de Qin. Nous sommes des sauvages et ne faisons pas les choses à moitié ! Dans ta reconquête du trône nous pourrions transformer ton palais en bain de sang, cela te convient-il ?

Tous comprennent la réponse positive de Yotanwa qui retire son masque et montre le visage d’une femme. Elle annonce ensuite à son peuple :

Ecoutez-moi tous ! Yotanwa de la tribu des montagnes se joint à Ei Sei, roi de Qin, pour une alliance sans précédent ! Nous partons immédiatement à la conquête du trône ! Rassemblez tous les soldats des montagnes des environs ! Préparez-vous pour une bataille jusqu’à la mort ! Notre objectif est la capitale royale !

Ressenti personnel

Ei Sei entame les discussions en demandant uniquement de l’aide pour reconquérir le trône, ce qui le place du point de vue des témoins dans une position initiale de faiblesse.

Face à la réponse violente, il explique les raisons du conflit entre le peuple des montagnes et Qin et avance même l’inutilité du jugement qui l’attend. C’est ce qui semble lui permettre de rattraper intellectuellement le niveau de Yotanwa : face à la menace qui pèse sur sa nuque il ne fuit pas, il n’implore pas, il ne se soumet pas.

Pour terminer il met en évidence le résultat éphémère des actions de son ancêtre pour ensuite afficher ses propres ambitions, plus fortes que son prédécesseur. Son discours se renforce davantage suite à sa déclaration.

Les objectifs d’Ei Sei et de Yotanwa se rejoignent et c’est ce qui permet ce dénouement positif :

  • Ei Sei souhaite mettre fin à des siècles de guerres et compte résoudre ce problème en anéantissant toutes les frontières qui parcourent la Chine.
  • Yotanwa rêve d’un monde plus grand au-delà des montagnes pour son peuple. L‘absence de frontières est un moyen d’atteindre son objectif.

Elle a désormais toutes les raisons de suivre Ei Sei puisqu’ils partagent des ambitions communes. Surtout que la trajectoire de son règne apparaitra à court terme, après récupération du trône. Probable qu’elle estime que son peuple a peu de choses à perdre ?

Pour la convaincre, Ei Sei connaissait-il les aspirations de Yotanwa ? Ou n’avait-il simplement pas le choix que de rallier le peuple des montagnes, armée indispensable dans sa future conquête du pays ?

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Yasratcha
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Je savais pas où mettre tout ça. Enjoy~