« La société à mission » change-t-elle le cours de l’Histoire ?
« On a l’habitude d’être policés dans nos entreprises, à la Story Room, l’approche est osée, décalée. C’est une expérience constructive pour soi et d’ouverture aux autres qui nous emmène vers une prise de conscience des enjeux et de l’impact de nos décisions que l’on matérialise beaucoup mieux ensuite »
— Guillaume Gazaignes, directeur innovation et RSE chez SNCF Logistics
« C’était un vrai challenge de se mettre dans la peau d’autres parties prenantes, de les comprendre, et de construire avec elles ce qui sera utile pour la pérennité de l’entreprise »
— Marcela Mantilla Martinez, responsable RSE chez Rte
« On se lâche, on sort de ce qui est concret pour jouer avec des postures, une ambiance, de l’intangible : petit à petit je commence à comprendre la méthode, il y a plus en plus de choses que je découvre, j’ai beaucoup appris et je reviendrai »
— Alicia Bogouslavsky Responsable Pôle Design chez Air France
Lundi 7 octobre, seulement quelques semaines après l’annonce par Bruno Le Maire que toutes les entreprises dans lequel l’État a des participations devraient se doter d’une raison d’être, et pendant que l’Assemblée nationale[1] finalise les décrets d’application, Choregraphy accueillait, avec le Cabinet LE PLAY, une expédition créative exceptionnelle.
« Toutes les entreprises dans lequel l’État a des participations devront se doter d’une raison d’être »
Ce jour-là donc, des entreprises françaises comme Air France, la SNCF, La Poste ou encore Rte (Réseaux de transport d’électricité) s’essayaient à l’utilisation d’outils tels que « la mission et raison d’être », le « comité de mission » ou « la triple opposabilité », approfondis par Errol Cohen[2] dans son livre La société à mission.
Outre son sens religieux ou militaire, la mission est « le but, la tâche que l’on considère comme un devoir ; but auquel un homme, ou un collectif semble destiné »[3]. « La mission de l’art n’est pas de copier la nature, mais de l’exprimer » disait Balzac dans Chef-d’œuvre en 1831.
Que seraient alors une entreprise, une société avec une mission ?
- À la fin du XIXème siècle, l’idée de l’entreprise est née comme « collectif dédié à l’activité inventive »[4]. Mais ni cette activité inventive, ni ce collectif ne sont fondés en droit, car dans le code civil, seule la société l’est
- Dès 2012, une expérimentation juridique, la SOSE (société à objet social étendu) tente de combler ce manque en élargissant le contenu des statuts d’une entreprise classiquement composé du pacte d’actionnaires à des objectifs sociaux, sociétaux, environnementaux et d’innovation scientifique. Choregraphy fait figure de pionnière en étant la 1ère société crée en tant que SOSE en 2016 par Mr Errol Cohen
- En 2019, dans le cadre du vote de la loi Pacte, et après des allers-retours entre l’Assemblée et le Sénat, le législateur adopte la raison d’être et la société à mission, accompagnée d’une déclinaison d’outils pratiques associés
Et le design d’expérience dans tout ça ?
L’expédition créative exceptionnelle d‘octobre se prête donc au jeu de l’expérimentation d’outils pour la SAM (société à mission) :
1/ Faire découvrir la SAM à mon entreprise (et la boîte à outils) 2/ Faire vivre la SAM dans mon entreprise
Transformer son entreprise en société à mission requiert en effet de bien la connaître et la comprendre, afin de poser les bases et la matière de sa colonne vertébrale : sa raison d’être et sa future mission. C’est la pratique quotidienne du cabinet LE PLAY.
Faire découvrir cette mission à son entreprise, la faire vivre, nécessite d’impulser une démarche créatrice d’une cohésion collective auprès des parties prenantes pour qu’elles s’approprient ces messages, les co-décident et les co-incarnent. C’est là que le design d’expérience intervient : un peu comme un chorégraphe créerait à partir du corps de ses danseurs ce qui va être joué, le design d’expérience apporte la capacité à engager le collectif, les hommes et les femmes, et la nécessité de faire émerger le scénario des parties prenantes.
Transformer les entreprises dans lesquelles nous travaillons et faire les choix qui nous engagent, voici une situation complexe et ambigüe auxquelles les trois groupes de l’expédition créative ont dû faire face.
- Les membres du premier groupe ont incarné les salariés de l’entreprise Zamark[5], cette entreprise de textile dont l’activité de production est implantée au Bengladesh et qui souhaite, après le traumatisme de l’accident de l’usine du Rana Plaza, s’implanter dans un site de production considéré par les organismes de contrôle comme « aux normes ». Mais comment faire confiance à ces organismes qui sont en contradictions permanentes avec les expertises locales, et la BSCI (business social compliance initiative), un gros syndicat de la région ? Comment faire en sorte que l’entreprise ne soit pas vulnérable face à des difficultés d’analyse ? Comment rendre accessible la mode mondiale à tous de manière responsable ?
- Les membres du deuxième groupe ont joué les parties prenantes de l’entreprise General Electric, avant le démantèlement, à un moment clé où tout aurait pu se passer différemment. Que ce serait-il passé si avant l’arrivée de Trian Partners détenant moins de 1% du capital, l’entreprise avait assumé en droit la stratégie d’innovation de long terme ? Comment aurait-on pu préserver la mission d’une des plus grosses sociétés de notre économie ? Et si la raison d’être « Mettre l’énergie au service des citoyens en respectant les salariés sur toute la chaine de valeur, influencer tous les comportements pour sauver l’environnement, et capitaliser sur l’histoire d’inventeur et d’innovateur » avait pu empêcher les stratégies financières court-termistes ?
- Les membres du troisième groupe se sont essayés à imaginer comment un comité de mission aurait pu modifier le destin de Theranos, qui promettait de révolutionner le marché des tests sanguins en proposant d’établir en 30 minutes un diagnostic à partir de quelques gouttes de sang, de son illustre fondatrice Elizabeth Holmes et de ses investisseurs… Alors que des milliards de dollars ont été investis dans la start-up, en 2015, des journalistes contestent la fiabilité scientifique de la technologie et remettent en question l’authenticité des preuves. Est-ce qu’une raison d’être, un dialogue entre les parties prenantes, des réunions du comité de mission aurait pu permettre d’anticiper ces troublantes conclusions ?
Détaillons ce troisième cas :
Et si Theranos s’était fixé avec ses parties prenantes d’améliorer la santé publique en démocratisant l’accès aux examens sanguins, tout en diminuant l’impact environnemental causé par les activités traditionnelles (plastique des seringues, envoi des résultats papier…) et celui de ses employés ? La suite de l’histoire aurait peut-être été différente… Lorsque le scandale a éclaté, les membres du comité de mission se sont -fictivement- réunis pour faire éclater la vérité et établir de nouvelles règles, alors même que les co-fondateurs de Theranos, dont Elisabeth Holmes, étaient injoignables depuis plusieurs semaines. Médecin représentant de la communauté scientifique, député et investisseur ont suggéré, voire imposé, à E.Holmes d’ici 3 mois : un examen du produit et des résultats par un comité scientifique indépendant, une déclaration publique afin d’exposer clairement et honnêtement les faits au grand public, dans l’espoir de calmer le déchaînement médiatique, l’envoi des rapports financiers, qui ont cessé d’être transmis aux investisseurs il y a quelques semaines, et enfin, une réunion hebdomadaire du comité, pouvant inviter ponctuellement des experts pour creuser certains sujets délicats
Félicitations aux trois groupes d’avoir tous pris en compte le rôle des parties prenantes de l’entreprise et d’avoir agi comme un comité de mission !
Errol Cohen rappelle que la SAM est un signal fort qui permet de répondre aux risques du capitalisme contemporain : structures qui mettent en danger la vie humaine, pouvoirs publics qui choisissent des organismes de contrôle en raison de leurs attitudes commerciales, court-termisme d’entreprises dont l’appareil industriel innovant a besoin de temps long, de décloisonnement et de dialogue entre les salariés et la direction
Dans de telles circonstances, la raison d’être et la SAM sont alors des outils de préservation tels un bouclier pour l’entreprise.
Qu’est-ce qu’une « expédition créative » by Scenary ?
C’est une thématique sectorielle ou sociale introduite par un invité d’honneur :
18h30–19h00 : visite guidée expérientielle de la Story Room
19h00–19h15 : rappels de la communauté Scenary
19h15–19h30 : présentation de la thématique, des outils, et de l’histoire inspirante de l’invité d’honneur
19h30–20h10 : 2 sessions créatives
20h10–20h30 : 1 préparation chorégraphique
20h30–20h50 : saynètes
20h50- ++ : surprise et apéro
[1] vote de la loi Pacte en 2019
[2] Errol Cohen, est avocat associé au Cabinet LE PLAY. Depuis 2011, et avec Mines ParisTech au sein du collège des Bernardins , il a collaboré aux travaux de création de la « Société à mission » et a suivi toute la phase législative avec les députés Coralie Dubosq et Stanislas Guérini. Il est aujourd’hui Membre de la Chaire Théorie de l’Entreprise de Mines ParisTech, et il a publié son ouvrage en juin 2019 dans le but de refonder l’entreprise, en droit, mais pas que.
[3] In CNTRL (Centre national de ressources textuelles et lexicales)
[4] Armand Hatchuel et Blanche Segrestin dans leur livre « Refonder l’entreprise » (La République des idées, Seuil, 2012)
[5] Contraction imaginaire entre Zara et Primark