De la diversité en agences

HELLOFDP
8 min readNov 14, 2016

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Elle c’est Aïssa. Imagine c’est ta future boss.

Qu’est ce que la diversité ? Franchement, impossible de vous en donner une définition précise. Pour autant, ça ne nous empêche pas de réfléchir au sujet. (Après tout, c’est un peu notre daily-job, en tant que gens d’agence, de parler de ce qu’on ne connait pas vraiment)

Si cette question de la diversité et de la représentativité dans nos agences nous interroge régulièrement, nous n’avions jamais vraiment cramé plus qu’une pause déj en y réfléchissant. Enfin, ça c’était avant d’avoir lu cet excellent post de Zoe Scaman sur le sujet.

Madmen, vous avez aimé ? Nous aussi. Les cigares, le whisky, les coupes au gel, les aventures de Don… Le monde de la publicité dans les années 60, ça avait l’air d’être autre chose que le top 10 des tweets entre Carrefour et CDiscount sur Piwee. Cela dit, il nous reste quand même un solide héritage de cette époque. On pourrait citer, en vrac ; les charrettes, les bashs des clients ou encore les managers un peu pervers.
Mais ce n’est pas tout. Les agences d’aujourd’hui ont aussi hérité d’une diversité quasiment dérisoire dans nos open spaces, à l’instar de chez Sterling Cooper. 70 ans plus tard.

Le problème, c’est que ça devient trop visible. Trop évident. Cette industrie dont la présence, le rôle et la place accordée aux ‘people of color’ (POC), aux femmes (et plus largement aux profils atypiques) reste, depuis des décennies, toujours remarquablement anecdotique. Si vous n’avez, volontairement ou non, pas vu le problème arriver, certains l’ont bien noté. HP a recadré ses agences, General Mills également. General Mills (+18Md$ de CA) a gentiment demandé à ses agences d’inclure au moins 50% de femmes et 20% de POC dans leurs équipes créatives. Le CMO&CCO de HP a envoyé un recommandé à ses 5 agences en précisant qu’il attendait leurs plans et propositions allant dans ce sens pour lundi matin sans faute.

Au cas où vous en doutiez, nos agences sont encore peuplées de blancs parisiens, généralement des hommes. Ou pire : de blancs provinciaux néo-parisiens. Ceux qui évitent d’évoquer d’où ils viennent sauf pour parler terroir et fêtes de Noel. Les mêmes qui arrivent à se créer des occasions de vous expliquer que leur arrondissement d’adoption est mieux que le votre alors que rien ne s’y prête. C’est gratuit mais il fallait que ça sorte. L’idée du début, celle qu’il faut retenir, c’est que niveau représentation et diversité, y’a du boulot.

Là c’est le moment où certains vont sûrement avoir envie de lever le doigt et dire “Oui mais moi dans mon agence c’est pas comme ça” car vous avez un créa antillais et que vous venez de recruter un planner straight from Casablanca. Si vous n’arrivez pas à voir plus loin que votre propre cas et prendre un peu de recul, vous pouvez disposer.

Revenons en à notre sujet. Forcément, tout ça est encore en cours de réflexion. Mais voici quelques points de plus en plus dérangeants auxquels nous avons songé.

Quelques chiffres pour commencer

Zoe est parfaite et nous offre des chiffres, UK certes, pour nous dresser le tableau du bazar.

According to an IPA survey, in 2015, women made up 32% of those in senior positions in agencies but still only 26% of those in creative departments.

According to The Drum’s Diversity Census, 86% of our industry identify as white.

Back in the real world, women make up 51% of the UK population and minorities have almost doubled, accounting for 80% of population growth.

C’est assez parlant. Si les chiffres ne sont probablement pas exactement identiques en France (en mieux ou en pire), nous devons pas en être très éloignés.

Commençons.

Une hypocrisie culturelle

Le monde de la publicité et de la communication a toujours flirté avec la culture. Les agences développent des expertises de création de “contenu”, bien décidées à contribuer à l’entertainment et/ou la culture. Elles ont également toutes une vocation créative, quelque soit l’intitulé du poste de leurs employés (eh oui, il existe des strategists plus “créatifs” que des DA).
Si je n’ai aucun problème avec l’envie des agences d’inspirer le monde à travers leurs réalisations, je me pose souvent la question d’où celles-ci trouvent leur(s) inspiration(s).

En fait, je lisais un énième papier sur la condition des noirs aux US, et ce passage m’avait marqué :

I’m exhausted with watching black culture be consumed, exploited, and appropriated by white people both civilian and celebrity, only to get radio silence when we declare that our lives matter and that our bodies need preservation.

Black matters when it creates a new dance for young white kids to learn and subsequently butcher in viral videos. Black matters when it returns to Cleveland to give a city its first NBA championship or rack up fantasy football points for your office league. Black matters when it creates and provides all the many facets of society, fashion, and popular culture that only the struggle and resilience of being black could create, just to be immediately repurposed and appropriated for mass white consumption. We are innovators. We are creators. We are doctors and lawyers and the president. We are magic. We are the manure that fertilizes the America that people all over the world know and love. In other words, black people are the shit.

Pas grand chose à voir avec le monde des agences à première vue. L’autre parle de #BlackLivesMatter et traite d’un sujet bien plus lourd, et nous ne comparons en aucun cas les deux sujets.
Cependant, ce passage, sorti du contexte prévu par l’autre, peut tout à fait être lu au prisme des industries culturelles et créatives : les afro-américains créent 3/4 de la culture underground ET populaire aux US, comprenez que l’auteur en ait un peu marre de voir sa communauté de faire piller sans reconnaissance (proportionnelle). Une forme de reconnaissance est, par exemple, la représentativité dans les embauches au sein de ces industries.
Dans notre monde à nous, comptez le nombre de publicités / opés moquées ou blâmées car elles utilisent / interprètent maladroitement des éléments culturels empruntés. Le monde des agences, au même titre que la musique ou la mode, récupère ce qui l’intéresse sans toujours comprendre ce dont il parle et sans non plus rendre à césar ce qui lui appartient. Une idée pour arrêter de passer pour des bouffons serait de recruter directement les gens qui participent à la création de ces cultures plutôt que de se servir grassement.

En gros, si les gens avec qui vous travaillez ne ressemblent en aucun cas aux gens qui vous inspirent (et qui inspirent les gens à qui vous souhaitez vous adresser), il y a sûrement un problème.

Diversité des profils = diversité des références

Nos socles culturels se ressemblent trop. Ou du moins, ils ne sont pas assez variés. Comment cela se manifeste dans notre milieu ? On écoute la même musique; house/electro chiante à mourir, groupes indés de mort et du hiphop aussi, mais que celui des 90’s (cependant on citera Kendrick et Beyoncé pour montrer qu’on sait être modernes, sans trop prendre de risques pour autant). On va aux mêmes endroits; nos feeds Instagram et 4square sont les mêmes. On regarde la même chose et on débrief des mêmes séries à la pause café.
Bref, la somme de nos références rend un truc un peu trop homogène.

Qui dit diversité dans les bureaux dit éducations différentes, cultures différentes, goûts différents, centres d’intérêts différents,parcours différents ou encore références différentes. Ce sont donc des tas de façons de penser et d’expériences différentes et inexploitées dont l’industrie se prive.
The Great British Diversity Experiment est une petite expérience en début d’année : 140 personnes issues de la diversité, organisées en 20 teams, ont été briefées par Tesco. Pendant qu’ils travaillaient sur leurs réponses, une étude ethnographique était conduite. Voici leurs 3 grandes leçons retenues :

1. Being in a diverse working group allows people to be their authentic self — being able to be yourself, and not play to type, means you can contribute more creatively and be much more effective in your job.

2. It dramatically increases the possibility of new connections between experiences, perspectives, and insights that lead to distinctive, powerful and new creative ideas.

3. Diversity means ideas develop via meritocracy, and not quick buy-in from the dominant cultural voice. It forces us to be truthful about creative merit rather fall prey to cultural consensus.

Le point numéro 2 est probablement le plus évident à concevoir, du moins ça l’est pour nous. Combien de brainstos tournent en rond, combien d’idées et références reviennent à chaque fois, tout ça car on met des personnes plus ou moins semblables autour de la table ? Une équipe un peu plus diverse, aux références et aux expériences plus larges ne permettrait-elle pas de proposer des solutions un peu plus variées à des problèmes un peu mieux compris ?

Justement, à propos de mieux comprendre les problèmes…

L’empathie

Plus le champ de références d’un groupe de personne est large, plus les problématiques auxquelles ils pourront répondre sera étendu.
En effet, plus les agences sont remplies de personnes dont les références, les éducations et les expériences sont homogènes, plus il sera compliqué de travailler pour / de s’adresser à des gens qui ne nous ressemblent pas.
Le risque pris, complètement assumé malheureusement, est de contribuer à construire une industrie dans laquelle on conçoit des solutions pour des interlocuteurs que l’on ne comprend pas. Certes, il existe des outils, des process et des frameworks permettant de comprendre nos cibles. Mais est-ce raisonnable d’en faire un prétexte pour ne pas recruter des profils différents ? “Si on doit recruter une personne similaire à chaque cible on n’est pas rendus” me direz-vous ? Vous aurez raison sur cette deuxième question, mais il existe probablement un juste milieu entre cette solution et le fait que nos agences ressemblent à une équipe de foot polonaise.

“So as contributors to culture and creators of ideas, do we really understand the people we’re trying to connect with? Or do we tend to rely on stereotypes and assumption?” Zoe Scamman.

Les brainstos entre gens identiques et les benchmarks ne vont pas nous rendre plus compréhensifs. Les agences aujourd’hui aspirent, ou prétendent, à créer autre chose que des campagnes et de la com’. Ces opés et campagnes que la population ignore un peu plus chaque jour et pire, cherche à esquiver. On, les hommes, galère déjà la plupart du temps quand il s’agit de s’adresser à UNE femme. Alors pourquoi a t’on encore des teams quasi exclusivement masculines sur des projets d’échelles nationales ou internationales qui s’adresseront à des milliers / millions de femmes ? Cette question fonctionne aussi avec les problématiques raciales ou géographiques.

De plus, aujourd’hui, les agences tendent à vouloir créer des expériences. Créer une expérience, c’est partir de l’humain à qui on souhaite s’adresser pour lui proposer quelque chose susceptible de l’intéresser, là où le marketing à papa se contente de bourriner un message descendant en espérant que l’humain trouve ça intéressant une fois devant lui.
Le propre de la création d’expériences, dans le design, c’est l’empathie : notre capacité à se mettre à la place de l’autre, à se projeter dans l’histoire et le contexte d’une personne afin d’en comprendre tous les aspects.
Je doute que toutes les expériences soient destinées à des hommes blancs. Je doute aussi que ces hommes blancs soient toujours aptes à se projeter à la place d’une femme noire ou d’un ado arabe.

Voila nos quelques éléments de réflexion s’arrêtent là pour aujourd’hui.
Pour ce qui est des solutions, nous n’y avons pas encore réfléchi assez. Ce sera probablement l’objet d’une suite.
- Cependant, Zoe donne de bonnes pistes dans la seconde partie de son post.
- The Great British Diversity Experiment a également une liste de 5 choses à mettre en place suite à leur étude.

PS : Votre agence ne sera pas meilleure que celle du voisin parce que vous êtes plus vegan qu’eux. Recrutez juste des gens vraiment différents. #GrandRemplacement.

Evidemment, la question de la diversité ne se limite surtout pas à ça. D’ailleurs, si le sujet vous intéresse n’hésitez pas à vous manifester si vous avez envie d’écrire sur le sujet (@hellofdp sur Twitter par exemple, ou directement l’auteur sur @mmmelk).

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