1. Une guerre de siège hors des murs

3 erreurs de stratégie militaire dans la Bataille de Winterfell (S8, E3 de Game of Thrones)

HistOuRien
8 min readMay 10, 2019

Tout d’abord, il me faut vous prévenir que cet article contient des spoilers sur la saison 8 de la série Game of Thrones. Si vous désirez vous conserver la surprise, je vous invite à passer votre chemin.

Cela étant dit et maintenant que nous sommes entre gens de bonne compagnie, je peux me plonger dans le vif du sujet. Tout le monde parle de la fameuse charge des Dothrakis au début de ce troisième épisode et, effectivement, je vais en parler dans le deuxième point abordé dans un prochain article. Toutefois, il me semble que ce n’est pas le problème majeur de représentation d’une stratégie militaire médiévale dans cet épisode. Je veux, en tout premier lieu, vous signaler que je suis un réel fan de la série et des livres. J’ai donc, dans un premier temps, regardé cet épisode capital avec toute l’excitation et le stress que cela pouvait supposer. J’ai, évidemment, un peu tiqué lors de l’attaque frontale des Dothrakis mais sans que cela n’ait influé, plus que de raison, sur mon immersion dans le récit. L’épisode est, à mon sens, narrativement bon et propose une ambiance apocalyptique désespérante dés le début de l’action. Son coté sombre nous offre à vivre le chaos des combats au plus proche de la bataille et surtout des héros, assaillis de toute part et sans points de repères, perdus dans la tourmente. La mise en scène très esthétique dépeint une véritable fresque épique. Vous aurez donc compris que j’ai beaucoup apprécié cet épisode, même la fin du roi de la nuit qui ne pouvait que faire intervenir un deus ex machina afin de maintenir la tension jusqu’au dernier moment. Cependant, certains éléments m’ont quelque peu interpellé. J’ai donc visionné une deuxième fois l’épisode et y ai constaté un problème de taille (déjà annoncé dans l’épisode précédent) dans la mise en scène de la défense de Winterfell. Bien-sûr, ce problème n’est gênant que si l’on connait un peu les pratiques militaires du Moyen Âge et ne remet pas en cause la qualité de la narration.

Une guerre de siège hors des murs

Toutes les incohérences stratégiques de l’épisode 3 découlent de ce seul point qui, pour moi, est plus incompréhensible que la charge frontale de la cavalerie légère. Nos héros rassemblent une grande armée pour pouvoir faire face à une vague de morts-vivants qu’ils savent supérieur en nombre. Ils se rassemblent sur le site d’une place forte qu’ils estiment capable de résister à l’assaut d’une telle horde d’assaillants et … placent le gros des troupes hors des murs pour subir le choc frontalement ? Ce choix de rassembler une grande partie de l’armée de Daenerys et Jon à l’extérieur de Winterfell reste, pour moi, le plus incompréhensible stratégiquement et historiquement. En effet, de ce fait, les défenseurs perdent tout l’avantage que confère la position fortifiée, déforçant les murailles au profit d’une bataille rangée. Or, historiquement, au contraire, les combattants médiévaux évitaient le plus possible les batailles rangées (de ce fait, plus rares) et, la plupart du temps, essayaient de se replier vers une place forte (réflexe obsidional) afin de tirer profit de l’avantage stratégique que permettait le lieu surtout face à une armée supérieure en nombre. La guerre de siège donnait la possibilité aux défenseurs de gagner du temps pour permettre l’arrivée de renforts ou épuiser l’ennemi jusqu’à ce qu’il renonce en faisant payer chèrement à l’assaillant toute tentative menée pour prendre la place. On considère que l’assiégeant devait posséder 5 à 8 fois plus de combattants que le défenseur pour espérer remporter la victoire en assaut direct. Cela dépendant aussi de la taille de la forteresse, de l’état des défenses et des réserves en eau et en nourriture des deux partis.

Dans cet épisode, les showrunners ont opté pour une configuration en bataille rangée alors que les protagonistes avaient à leur disposition l’une des plus formidables places fortes du Nord. Et pourtant, dans les livres, Winterfell est décrite comme une forteresse imprenable sans user de traîtrise. Construite, dans la légende, par Bran le Bâtisseur (le même maître d’oeuvre que le Mur), elle possède deux rangées de murailles séparées par une douve, la deuxième surplombant la première pour permettre de continuer à harceler l’ennemi s’il arrive à prendre pied sur le premier mur. La deuxième muraille est présentée dans les bouquins comme mesurant 100 pieds de haut, donc plus ou moins 30 mètres. Nous sommes loin de la représentation qu’en fait la série. Qui plus est, en réalité, vu l’ampleur de l’armée des morts, les troupes positionnées hors de la forteresse auraient dû être submergées beaucoup plus rapidement que les 20 minutes consacrées à la première partie de la bataille (avant la retraite). La vague de morts se serait refermée sur les flancs et l’arrière des troupes, ne laissant aucune chance aux vivants. A noter que, c’est, d’ailleurs, très fair-play de la part du Roi de la Nuit de ne pas avoir lancé ses troupes pour attaquer Winterfell de tous côtés et d’avoir concentré son assaut sur l’avant de la forteresse (seule partie défendue). C’est ce genre de pensées qui ont fait s’écrouler ma “suspension volontaire de l’incrédulité” lors de mon deuxième visionnage.

Ce choix de transformer la défense de Winterfell en bataille rangée de la part des scénaristes est d’autant plus étrange que, de leur propre aveu, ils se sont inspirés de la Bataille du Gouffre de Helm dans le film “Le Seigneur des Anneaux : Les Deux Tours” de Peter Jackson pour leur propre écriture. Effectivement, la situation des protagonistes est similaire : le camps du bien doit faire face à une armée beaucoup plus puissante et nombreuse dans un affrontement désespéré. Or, la bataille du Gouffre de Helm est bien une guerre de siège, rapide certes, du fait du très grand nombre d’assaillants et, donc, de la non nécessité de mener une guerre d’usure de la part des troupes ennemies. En effet, l’armée du mal peut se permettre d’envoyer continuellement des vagues de combattants sur les remparts sans crainte de déforcer ses rangs. La question est alors pourquoi de la part des showrunners de Game of Thrones avoir pris le total contre-pied en en représentant une bataille rangée au détriment de la logique militaire. Qui plus est, même dans la deuxième partie de la Bataille de Winterfell, quand les troupes se replient sur la forteresse et décident, enfin, de tenir les murs, on a la fâcheuse impression qu’aucun dispositif réel de défense n’a été prévu pour repousser l’armée ennemie : pas de pierre à lancer sur les ennemis aux pieds des remparts ou d’archerie efficace et systématique.

On peut remarquer que ce choix de transformer une potentielle guerre de siège en bataille rangée avait déjà été fait lors de la Bataille des Bâtards (et sera certainement renouvelé, au vue du trailer de l’épisode 5). Lors de la Bataille des Bâtards, alors qu’il tenait Winterfell, au lieu de placer en défense la forteresse, Ramsay Bolton a décidé de conduire son armée à la rencontre de celle de Jon Snow. Cependant, ce choix peut s’expliquer par le contexte et la psychologie du personnage en question. L’armée de Bolton est supérieure en nombre et Ramsay, sûre de sa victoire, se moque de perdre des hommes bêtement. Voilà, toutefois, une trace de l’aversion des scénaristes pour les guerres de siège qui ont souvent été évitées ou éludées dans la série.

Je vois trois causes possibles à cette décision systématique de mettre en scène des batailles rangées. Il y’a, en premier lieu, probablement, une méconnaissance des tactiques et stratégies militaires médiévales et, notamment du “réflexe obsidional” dont je parlais plus haut. Il existe certainement aussi une volonté de privilégier les aspects dynamiques, spectaculaires et esthétiques d’une bataille rangée face à une guerre de siège plus longue, lente et statique. De plus, dans le cas de Winterfell, il faut aussi souligner la distance entre l’aspect de la forteresse à l’écran et celui plus imprenable, aux murs cyclopéens, décrit dans les livres. Cela pourrait s’expliquer, d’une part, par le fait qu’elle apparaît à la toute première saison, à un moment ou le budget de la série n’était pas celui qu’il est aujourd’hui. Probablement que, à ce moment, les scénaristes et les personnes chargées des décors n’avaient pas encore conscience du rôle primordial qu’allait jouer cette place forte dans la suite des événements. Sa représentation ne pouvant pas changer au fil de l’histoire, l’équipe à certainement dû concilier avec cet aspect visuel de la forteresse qui parait alors moins “inexpugnable” que son pendant littéraire.

Je vous propose de nous pencher dans un prochain article sur l’absurdité et sur, peut-être une explication, de la charge des Dothrakis au début de l’épisode. Le troisième écrit de cette série s’intéressera, quant à lui, au positionnement de l’infanterie lors de cette même bataille. Au final, ces incohérences militaires ne peuvent guère perturber que les pinailleurs comme moi et n’enlèvent rien à la qualité de la série et de cet épisode.

Et vous? Quelle est votre opinion sur le sujet? Pensez-vous que la représentation de la guerre médiévale comme elle est faite dans cet épisode est réaliste ? Connaissez-vous des sources qui pourraient changer notre vision? N’hésitez pas à faire vos commentaires et à en débattre. Si vous avez aimé cet article, vous pouvez le partager, l’applaudir, le liker et allez faire un tour sur ma page facebook.

Si, comme moi, vous êtes passionné d’Histoire militaire médiévale, vous pouvez aussi aller voir cette bibliographie non-exhaustive d’Histoire militaire médiévale.

Vous pouvez aussi acquérir cet ouvrage de référence dans le domaine :

CONTAMINE Ph., La guerre au Moyen Âge, Paris, 1980, 1992, réédité en 2003.

Illustrations : La table de stratégie (Game of Thrones, saison 1, épisode 8) ; Le plan de défense de Winterfell (Game of Thrones, saison 8, épisode 2) ; Winterfell (Game of Thrones, saison 1, épisode 1) ; Charge de la cavalerie Bolton face à Jon (Game of Thrones, saison 6, épisode 9).

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