Couch Potato by ptooey (Flickr)

Réalité virtuelle : éloge de la paresse du spectateur

Les “nouvelles écritures” continuent de promettre au spectateur de prendre le contrôle de l’histoire. Mais en tant que public, est-ce vraiment ce que nous voulons ? Et les contenus en réalité virtuelle sont-ils vraiment prêts pour le prime time ?

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Cela fait des décennies que le storytelling interactif cherche son public, à coups de narrations non linéaires qui ont plus tendance à le désorienter qu‘à lui offrir un supplément de liberté.

Bien sûr, le jeu vidéo parvient plutôt à tirer son épingle du jeu lorsqu’il s’agit de mettre le joueur au cœur de l’histoire. Ou plutôt au cœur de l’action. Ces 10 dernières années, tout un pan des narrations digitales auto-baptisé ‘transmedia’ a bien tenté de convaincre les spectateurs que le récit était désormais entre leurs mains. En vain.

Les interactions et les choix sont des apports intéressants lorsque les préliminaires vous ont embarqué. Mais soyons honnêtes, la plupart du temps, vous vous en foutez de prendre la place du pilote. Vous voulez juste kiffer le voyage.

Détendez-vous, on s’occupe de tout.

Le moment est peut-être venu de jeter un œil à ce qui se trame du côté du secteur émergent de la VR & de la vidéo 360°.

On voit fleurir ici et là des accroches fumeuses comme “La VR va-t-elle tuer le cinéma ?” ou “La réalité virtuelle dépassera la télévision d’ici 10 ans”, qui ne font qu’alimenter la hype du moment. C’est exactement tout l’inverse dont a besoin la scène créative à l’œuvre dans ce nouveau média prometteur. Avant de céder aux vaines sirènes de la prévisionnite, nous serions peut-être plus inspirés de nous soucier de son présent. Surtout si nous espérons convaincre le grand public de s’y engouffrer.

Cela fait plus de 20 ans que je travaille dans l’entertainment — et suis plutôt un fervent défenseur des nouvelles écritures — mais je persiste à penser que le cinéma et les séries télévisées ont encore pas mal d’avance lorsqu’il s’agit d’embarquer le spectateur dans l’histoire.

L’effet waouh du divertissement immersif est bien réel. Quiconque a eu la chance de faire l’expérience récente de la réalité virtuelle est en mesure de confirmer son potentiel immense en tant que nouveau média. On entend régulièrement que la VR d’aujourd’hui rappelle les premières heures du cinéma. Si cette analogie sonne juste, elle est également trompeuse, car l’univers du divertissement digital se construit sur la préexistence du cinéma, de la radio, de la télévision et des jeux vidéo. En tant que spectateurs, il nous en faudra beaucoup plus que L’Arrivée d’un train en gare de la Ciotat.

Laissons de côté les considérations de prix, et concentrons-nous sur ce dont la VR a le plus besoin à l’heure actuelle : des contenus captivants et une expérience utilisateur convaincante, afin de lui permettre de faire la transition d’un média expérimental à un univers de divertissement à part entière.

L’expérience utilisateur ? Jusqu’ici, rien de très engageant

La vidéo 360° et la VR mobile seraient les armes d’une adoption de la réalité virtuelle par le grand public. Vraiment ? L’expérience actuelle de la VR sur smartphone est un parcours du combattant, en grande partie car ces appareils multi-tâches n’ont jamais été conçus pour fonctionner avec un casque immersif. Pour faire l’expérience des contenus immersifs disponibles pour casques de type Cardboard, il vous faudra vraisemblablement :

  • télécharger une appli par expérience (il paraît que ça se fait)
  • si l’appli est juste un contenant, il vous faudra également télécharger le contenu lui-même, si toutefois vous disposez de suffisamment d’espace libre
  • trouver les bons réglages pour chaque appli une fois une fois votre smartphone calé dans le casque (plus facile à dire qu’à faire)
  • se souvenir d’activer le mode avion, ou prendre le risque d’être bombardé de notifications en mode immersif
  • au fait, avez-vous pensé à bien charger votre téléphone ? La 3D en temps réel peut s’avérer gourmande, et vous obliger à brancher votre chargeur. Finie la mobilité.
  • Il vous faudra aussi sans doute des écouteurs. Vous voilà ficelé comme jamais.

Les systèmes de VR filaires haut de gamme offrent naturellement une expérience de bien meilleure qualité, les casques étant conçus pour une seule tâche, celle de vous immerger totalement. Mais le coût de cette première génération de systèmes sera vraisemblablement prohibitif pour une grande majorité de consommateurs désireux de faire l’expérience de la réalité virtuelle.

Attendons la sortie des premières versions commerciales de l’Oculus, du Vive et de la PlayStation VR pour savoir quel constructeur aura su proposer une expérience plug and play, un système de gestion de fichiers simple et un système d’exploitation intuitif. Les utilisateurs se laisseront tenter par un produit, pas par des promesses.

Contenus : à la recherche de metteurs en scène

Si l’expérience utilisateur est plutôt déconcertante, la grammaire des contenus immersifs en est, elle, à ses balbutiements. De trop nombreux contenus se contentent d’offrir le frisson expérientiel, sans parvenir à raconter une histoire. Il reste pas mal de chemin à parcourir en matière de narration et de mise en scène avant d‘imaginer pouvoir séduire de plus larges publics.

Si 2016 est “l’année de la VR”, ce sera vraisemblablement l’An Un en matière de contenus. A lire, cette intéressante tribune sur Sundance et les carences narratives des projets VR/360°.

“Une constante accablante commune à de nombreux films : l’obligation pour moi, spectateur, d’avoir à endosser le rôle de réalisateur et directeur de la photo.”

Le syndrome 360°

Allons-nous, spectateurs, devoir tordre nos nuques en permanence pour essayer de trouver un sens à l’histoire ? S’immerger dans la découverte d’un univers inconnu peut être une expérience fascinante. Mais la fascination sera de courte durée si l’on n’y est pas un tant soit peu guidés.

Des éléments de réponse sont peut-être à chercher du côté du jeu vidéo, qui a parfois réussi à produire de belles expériences à la croisée du jeu et du cinéma, en plongeant le public au cœur de l’histoire à l’aide de préliminaires très simples.

Journey fait partie de ces œuvres, où le joueur fait l’expérience d’un monde inconnu sans mode d’emploi, sans niveau d’introduction, juste des indications visuelles et musicales l’invitant à entamer un voyage de découverte tout au long duquel se fera sentir la présence subtile d’un metteur en scène.

Journey (thatgamecompany) — réalisé par Jenova Chen

Auteurs de VR, c’est votre rôle de nous prendre par la main pour nous faire pénétrer dans ces nouveaux mondes narratifs.

En ouvrant des portes, en posant des questions, en nous faisant rire, frissonner, transpirer, bondir sur nos sièges, réfléchir… quitte à brouiller les pistes. En un mot, divertissez-nous.

Le divertissement immersif a besoin de plus d’auteurs, de créateurs ayant une véritable vision du média, et prêts à accepter quelque chose qui ne changera jamais : nous serons toujours paresseux — du moins au départ. Pour nous stimuler, nous avons besoin de fond et de forme. D’une histoire et d’un conteur. De quoi nous convaincre d’enfiler un casque et vous offrir toute notre attention.

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