J’ai interviewé les dirigeants de 10 licornes françaises, voici ce que j’ai appris.
Dans la start-up nation, les licornes se distinguent comme des créatures légendaires, symboles d’entreprises valorisées à plus d’un milliard de dollars. Et si je vous disais que j’ai eu le privilège de m’entretenir avec les dirigeants de dix de ces licornes made in France ?
Être l’hôte d’un podcast sur la tech et l’entrepreneuriat, ça implique forcément de faire un tas de rencontres et de participer à des conversations privilégiées avec des dirigeants visionnaires, audacieux et persévérants, toujours prêts à repousser les limites de l’innovation.
Aujourd’hui, mon podcast Innovation Leaders compte 63 épisodes. Je vous propose de plonger dans l’univers des licornes que j’ai reçues. Au programme : idées novatrice, stratégies téméraires et défis à relever. Et les défis, dans ce contexte économique très différent des années 2020–2022 sont nombreux. Ce qui était vrai à l’époque, ne l’est peut-être plus tant que ça aujourd’hui, mais malgré tout, il y a des éléments qui expliquent leur réussite, et je vais essayer de vous mettre en avant ce qui m’a le plus marqué.
Alan : ne faire aucun compromis sur le fit culturel
C’est en étant ferme sur la culture de l’entreprise que l’assurance santé nouvelle génération s’est faite remarquer et a pu croître aussi rapidement. C’est Charles Gorintin, co-fondateur et CTO, qui me l’a expliqué : dans leur process de recrutement, la compétence des candidats compte moins que l’adhésion aux valeurs et au fonctionnement de l’entreprise. Dans cette vision, si une personne recrutée est excellente mais pas en phase, elle doit partir. D’un œil extérieur, cela paraît évident, mais croyez-moi, c’est compliqué à mettre en place.
Surtout lorsque l’on regarde la culture d’entreprise d’Alan de plus près. Premier point : tout se fait à l’écrit, ils ne font jamais de réunion. Atypique, mais efficace ! Et second point : ils ne recrutent que des profils senior et experts, parce qu’ils veulent aller vite et ne pas perdre de temps avec la formation de leurs collaborateurs. Comme Charles me le disait, “c’est à eux de nous expliquer ce qu’on doit faire, pas l’inverse”.
Ankorstore : un scaling préparé est un scaling réussi
Lachlan Laycock, CTO d’Ankorstore, a été extrêmement généreux en partage d’expérience et d’apprentissage tout en restant humble. Grâce à notre échange, j’ai appris l’importance d’organiser ses équipes lorsque l’on entame une phase de scale. Cela nécessite une méthode, un cadre et surtout une structure à appliquer.
En plus, il y a un travail colossal de process, de recrutement et d’onboarding à effectuer en amont ! Il faut anticiper les aspects humains et tech, parce que recruter 300 personnes en un an, ça va vite et ça donne le tournis. Et la plateforme retail en sait quelque chose. En bref, le scaling, ça ne s’improvise pas !
Bla Bla Car : s’organiser pour faire face aux situations de crise
Invité impressionnant de par son engagement dans de multiples startups, je me souviens très bien de mon échange avec Olivier Bonnet, CTO de la plus ancienne licorne française. C’est le genre de personne qui arrive à être là où il faut, quand il faut. Un flair d’exception, c’est l’expression qui convient pour décrire ce personnage qui se retrouve CTO de Bla Bla Car quand la boite explose.
Mais ce n’est pas le seul point qui m’a laissé une marque : il a une organisation personnelle qui force le respect et il s’y tient avec une discipline de fer. Je me rappelle notamment qu’il ne programme ses réunions que le lundi et le mardi. Lors de l’enregistrement du podcast, je l’avais trouvé d’un calme presque affolant pour quelqu’un qui a dû gérer une pandémie qui empêche toute possibilité de trajet (partagé ou non), puis une guerre en Ukraine qui met en danger 85 de ses salariés.
J’en ai conclu que l’organisation est la clé de la sérénité lorsqu’il s’agit de gérer des problématiques à la fois tech, humaines et logistiques. Olivier m’a redonné la motivation de devenir maître de mon agenda.
Doctolib : s’affirmer quitte à être à contre-courant
Doctolib est une des rares startups françaises à avoir lancé (et réussi) sa phase de méga-industrialisation, dont la mise en place a été très fine. Nicolas de Nayer, son ancien CTO qui a quitté la licorne depuis, m’a confié qu’au lancement de la partie tech, ils n’étaient que deux pendant un an. Au vu de l’hypercroissance de l’application, ils se sont vu dans l’obligation d’embaucher plus de monde, tout en sachant qu’ils perdraient en productivité. C’est le lot de toute structure qui prend de l’ampleur : les process prennent le pas sur l’agilité.
Cependant, les équipes de Doctolib font vivre et pérennisent un monolithe, ce qui constitue un véritable exploit et une exception qui dénote dans le paysage actuel des startups françaises.
Je retiens également de mon échange avec Nicolas la créativité dans leur organisation interne, construite à base de lunchs, d’académies, de rituels et de cadeaux. La culture tech en interne est très forte grâce au caractère affirmé de ses collaborateurs. Pour la maintenir à ce niveau, les recruteurs ont mis en place un processus qui porte une attention marquée à la personnalité des candidats, qui repère ceux qui ont confiance en leurs convictions, quitte à être à contre-courant.
Enfin, Nicolas m’a encouragé à contacter mes pairs. Il passe lui-même beaucoup de temps avec les siens pour progresser : le monde de la tech offre une énorme capacité d’entraide dont il faut s’inspirer. En plus, de ma propre expérience, les gens sont plus ouverts qu’on ne le croit. Alors foncez !
Exotec : ne jamais réduire sa valeur marchande
Exotec, c’est la licorne qui a réussi le pari ambitieux de devenir l’alternative à Amazon dans le domaine de la robotique. Pour en savoir plus sur cette boite, j’ai pu échanger avec son co-fondateur et CTO, Renaud Heitz. Une personne rigoureuse, sereine, structurée, brillante, pas le moins du monde impressionné par les chiffres, ambitieuse et, à l’instar d’Alan et de leur culture d’entreprise, sans compromis.
Renaud n’a jamais rien lâché dans son parcours d’entrepreneur. Même pas le prix de ses prestations. Il sait que la valeur du travail d’Exotec est énorme, donc lui et ses co-fondateurs n’ont jamais accepté de le vendre moins cher.
Personnellement, je trouve cet état d’esprit d’une maturité impressionnante pour de jeunes entrepreneurs. D’autant plus que moi, qui aie 10 ans de plus qu’eux, n’ose toujours pas l’appliquer dans mon business…
Lydia : débriefer autour d’une bière
“On se fait un Lydia ?” Cette simple question reflète le succès de cette entreprise. Si l’expression est rentrée dans notre vocabulaire au même titre que Kleenex, Coca ou Sopalin, cette renommée est à double-tranchant. Parce que Lydia, ce n’est pas qu’une application de paiement mobile : c’est une équipe qui ambitionne de devenir un grand groupe bancaire (mais on ne le sait pas toujours). Le but ? Offrir toujours plus de valeur à leurs utilisateurs.
J’ai reçu Alexandre Heimburger, à l’époque CTO de Lydia, pour un épisode plus qu’intéressant. C’est une personne très amicale, que j’ai sentie proche de ses équipes, issu d’un environnement geek mais accessible, une sorte de leader naturel. Ce qui m’a marqué, c’est qu’il m’a raconté qu’il avait pour habitude de débriefer des moments chauds autour d’une bière avec son équipe. Je trouve cette approche hyper efficace en termes de management, et j’essaye de m’en inspirer.
ManoMano : tenir ses ambitions internationales
ManoMano est une des seules licornes de cette liste à avoir tenté de s’exporter à l’extérieur de l’Hexagone. Ils sont parvenus à réaliser leurs ambitions internationales alors que tout était français, du personnel à la documentation ! Ils sont aussi un excellent exemple d’un business sauvé par la tech, puisqu’ils ont décidé de migrer vers un cloud tardivement, juste avant la crise du Covid-19. S’ils ne l’avaient pas fait à ce moment-là, la boite se serait sans aucun doute effondrée.
Leur CTO, Stéphane Priolet, s’est montré aussi disponible et généreux lors de notre échange qu’actif dans l’écosystème des startups françaises. Il peut se targuer d’avoir réussi le scaling des équipes de Cdiscount, puis de ManoMano (rien que ça !). Ce qui m’a frappé, c’est sa volonté de partager son expérience à des profils plus junior de par son parcours admirable.
Meero : avoir la patience de devenir incontournable
Malheureusement, Meero a connu quelques déconvenues pendant la crise du Covid-19 qui ont entraîné le départ de Thomas Rebaud, mon invité sur le podcast et CEO de la boite. Thomas est un jeune entrepreneur qui n’a pas froid aux yeux : il est cash, ambitieux et incarne chacun de ses projets pour lesquels il ambitionne d’être un incontournable mondial.
Les points que je retiens de mon échange avec lui sont très divers. D’abord, nous avons beaucoup parlé des techniques de levées de fonds et de la mentalité à avoir lors de ces périodes intenses et cruciales. J’ai été marqué par la valeur qu’il considère comme fondamentale : la patience. Et dernière chose, je me souviens avoir été surpris d’apprendre qu’il faisait son sport à 16h tous les jours. Culotté de s’octroyer une telle pause en plein milieu de l’après-midi !
PayFit : devenir un standard
PayFit, c’est la licorne qui ne fait pas les choses à moitié. Cette équipe a décidé de s’attaquer à un painpoint connu et non des moindres : les fiches de paie. Florian Fournier, CEO & co-fondateur de la boite, résume bien cette idée “trouvons un sujet de galère pour le résoudre.”
Non contents de s’occuper d’un des problèmes RH les plus complexes du moment, ils ont décidé d’inventer leur propre langage de programmation, Jetlang, afin de simplifier au maximum un des règlements les plus sibyllins, j’ai nommé le Droit du travail. En un mot : étourdissant.
En tant que CEO, l’aura de Payfit me rêver : leurs events, leur marketing et leur image de marque sont hyper attrayants. Mais dans le concret, parce ce qu’ils ont réussi à achever, ils deviennent un standard et inspirent les nouvelles générations d’entrepreneurs.
D’un point de vue un peu plus perso, je me souviens de cette phrase de Florian qui m’a beaucoup fait réfléchir et m’a soufflé : “j’espère rester à la hauteur de mon job.” Wow. Ça pousse à se poser la question de la légitimité et de la pertinence de rester dans son job.
Payfit rencontre depuis 2022 des difficultés, ce serait passionnant de discuter avec eux à nouveau pour comprendre comment ils affrontent ces challenges, et comment on gère les difficultés après avoir connu une telle explosion, ça nous ferait un beau prochain épisode... À suivre 😊
Qonto : investir sur l’image de marque
J’ai reçu Aymeric Augustin, CTO de Qonto, pour m’en apprendre plus sur la vision de la boite et sa partie tech, aussi indispensable que particulière. J’ai été très étonné par son niveau technique ! Il est d’ailleurs un contributeur reconnu au logiciel libre websockets, anciennement Django.
Qonto est une de mes boites préférées. Une mécanique ahurissante, une croissance rapide, un marketing plus qu’efficace, un nom qui claque et une identité graphique disruptive et risquée. Cette licorne est en passe de devenir elle aussi un incontournable de son secteur malgré son jeune âge. Ses fondateurs sont des machines et sont très bien entourés : la marque est inarrêtable et puissante.
C’est une entreprise qui a été une énorme inspiration lorsque mon équipe et moi avons décidé de refaire le branding d’Ekkiden. Tout comme Qonto, notre objectif a été d’accompagner la maturité de la boite et d’affirmer notre identité grâce à notre image de marque. Et croyez-moi, c’est un investissement qui vaut le coup !
J’ai la chance d’avoir reçu beaucoup d’invités aux personnalités très différentes, représentant une multitude d’entreprises, de secteurs et de types d’organisation. Interviewer des licornes, c’est utile, parce qu’on veut toujours s’inspirer des plus grands.
Mais ce n’est pas forcément d’elles que l’on apprend le plus, alors n’hésitez pas à écouter nos autres épisodes ici !
Auteur : Geoffrey Behaghel
