Le bac tunisien, plusieurs lignes de départs ?

Institut Afkar
5 min readJun 5, 2017

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Pour son premier article, l’Institut Afkar veut parler d’un sujet d’actualité, qui fera l’objet dans quelques temps d’une publication spécifique : l’orientation post-bac en Tunisie.

Alors que nos jeunes sont en train de consacrer leurs journées aux révisions, il est en effet légitime — et ô combien instructif ! — de jeter un œil sur leurs résultats et les choix d’orientations qui sont les leurs. À partir des éléments factuels dont disposent nos équipes, il sera possible de tirer des enseignements de politiques publiques et de confirmer ou tordre le cou à certaines idées reçues.

Mais avant cela, nous avons voulu nous poser une question, qui ne fera pas à proprement parler l’objet de développement dans notre étude sur l’orientation post-bac en Tunisie, mais qui mérite que l’on s’y arrête : le système éducatif tunisien accentue-t-il ou réduit-il les inégalités socio-économiques ?

Pour le dire autrement, un enfant issu d’une famille d’ouvriers s’en sort-il moins bien ou aussi bien (voire mieux) qu’un enfant issu d’une famille de cadres supérieurs ? Un enfant qui a grandi dans un milieu modeste a-t-il moins, autant ou plus de chances qu’un enfant qui a grandi dans un cadre plus aisé ?

Selon les données à notre disposition (moyennes obtenues par l’ensemble des élèves de la section Mathématiques lors de la session 2014 du baccalauréat tunisien), il apparaît que le système éducatif ne réduit pas les inégalités socio-économiques (voir graphique ci-dessous).

Distributions des moyennes obtenues au bac 2014 par les élèves de la section Mathématiques selon la catégorie socio-professionnelle du père (source : Institut Afkar, Ministère de l’éducation nationale)

Ainsi, ce graphique soulève plusieurs observations :

  1. De manière générale, un enfant aurait plus de chances d’avoir un résultat moyen qu’un résultat très bon ou très mauvais. Cela semble accréditer l’idée que le baccalauréat tunisien s’apparente plus à un concours (compétition pour un nombre limité de places) qu’à un examen (obtention d’un diplôme ouvert à tous, sous réserve de dépasser un score donné).
    Mais quand on y regarde de plus près, cette observation s’applique bien plus aux enfants d’ouvriers qu’à ceux des cadres supérieurs.
  2. Ainsi, la distribution des moyennes des enfants d’ouvriers (courbe rouge) ressemble à une courbe de Gauss. Autrement dit, pour un enfant d’ouvrier, arriver jusqu’à l’année du bac et le réussir, cela ressemble à une succession de “pile ou face”.
  3. La distribution des moyennes des enfants de cadres supérieurs (courbe bleue) ressemble quant à elle davantage à un créneau. Très peu d’élèves se trouvent entre 2/20 et 9/20. Entre 9/20 et 18/20, les élèves sont à peu près équitablement répartis : ils ont autant de chances d’être moyens que très bons.
  4. Les élèves issus des catégories socio-professionnelles intermédiaires sont distribués de manière intermédiaire.

Le même profil est observé pour la section Sciences expérimentales.

Les sections Lettres et Economie et gestion apparaissent quant à elles beaucoup plus égalitaires.

Distributions des moyennes obtenues au bac 2014 par les élèves de la section Lettres selon la catégorie socio-professionnelle du père (source : Institut Afkar, Ministère de l’éducation nationale)

Mais cette égalité de façade cache en réalité une autre inégalité.

Comme l’indique le rapport annuel du ministère de l’éducation (p.39), ces sections ont les taux de réussite les plus bas et n’arrivent pas à attirer les bons élèves. La cause de cette égalité est donc à trouver dans cette désaffection des bons élèves; en effet, très peu d’élèves issus de catégories favorisées se dirigent vers ces sections (cf. tableau ci-dessous), les meilleurs d’entre eux leur préférant les sections mathématiques et sciences expérimentales.

Répartitions des élèves dans les différentes sections du bac 2014 en fonction de la catégorie socio-professionnelle du père (source : Institut Afkar, Ministère de l’éducation nationale)

Ces inégalités ne sont pas réservées à la Tunisie. Dans la plupart des pays, ce constat est, malheureusement, tout aussi intuitif. Plusieurs systèmes éducatifs, dont le système éducatif français, sont souvent pointés du doigt à ce sujet.

Pour autant, le graphique ci-dessus démontre également qu’il est possible de réformer le système éducatif pour qu’il améliore la situation des enfants issus de milieux modestes et qu’il réduise les inégalités : l’Italie, la Suisse, les Etats-Unis et la Norvège en montrent l’exemple. C’est possible, c’est souhaitable et c’est même nécessaire. Car en l’absence de mesures correctives, les inégalités ont tendances à s’amplifier comme le résume le graphique ci-dessous.

Conclusion

Ce court billet accrédite une idée reçue, celle qui veut que le système éducatif tunisien ne réduit pas les inégalités socio-économiques.

Les données à notre disposition ne permettent d’observer que l’année du baccalauréat. Or ces inégalités sont largement répandues à toutes les étapes de la scolarité. Les enfants d’ouvriers sont ainsi beaucoup plus susceptibles d’interrompre leurs études avant le baccalauréat que les enfants de cadres supérieurs. La situation réelle est donc encore plus dégradée que ne semble le montrer le premier graphique.

L’ascenseur social est un élément essentiel du lien moral et social qui cimente la citoyenneté et la confiance dans les institutions. En Tunisie, cet ascenseur montre de graves signes de faiblesse.

Au sujet de l’Institut Afkar

L’Institut Afkar est un groupe de réflexion qui travaille sur les politiques publiques tunisiennes. Il s’intéresse notamment à leur conception et à leur évaluation, par l’analyse de faits et de données et par la comparaison internationale.
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