Les Tunisiennes, meilleures au bac que les Tunisiens ?

Institut Afkar
6 min readJun 13, 2017

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Dans quelques semaines, l’Institut Afkar va publier un rapport détaillé sur un sujet d’actualité : l’orientation post-bac en Tunisie.

Au-delà des questions d’orientation, les données analysées pour cette étude sont extrêmement instructives en ce qui concerne nos lycéennes, nos lycéens et nos lycées (publics et privés du système tunisien). Elles nous permettent de nous prononcer sur des idées reçues, en les confirmant ou en les infirmant.

Alors que les épreuves du baccalauréat viennent de débuter, beaucoup ont été surpris de voir que 76.633 filles passent cet examen, contre seulement 53.647 garçons.

Les lycéennes auraient-elles un meilleur niveau que les lycéens ? Que nous disent les chiffres ?
Est-ce la seule raison qui explique le déficit de garçons parmi les candidats au bac ?

Nota bene : lorsque ce billet qualifie un niveau scolaire de moyen ou de faible, cela ne doit pas être pris comme un jugement de valeur de l’élève. Le niveau scolaire concerne le parcours scolaire. Il dépend certes de l’élève mais aussi de son environnement, de son milieu et du système éducatif lui-même, comme cela a été évoqué dans notre précédent article.

Oui, les lycéennes ont un meilleur niveau scolaire que les lycéens

Commençons par un graphique simple présentant les proportions de candidates et candidats au bac selon leurs moyennes à cet examen :

Proportion des candidates et des candidats au baccalauréat 2014 selon la moyenne obtenue au bac, section Maths (sources : Institut Afkar, Ministère de l’éducation nationale)

Que nous dit ce graphique ? Du point de vue des chiffres, on constate que :

  1. pour les meilleures moyennes, en l’occurrence au-dessus de 15,5/20, la différence est négligeable ;
  2. entre 7,5 et 15,5/20, les filles sont en proportion plus nombreuses que les garçons. Entre 8 et 11/20 cet écart est encore plus marqué ;
  3. en dessous de 7/20, les garçons sont proportionnellement plus nombreux.

Que faut-il déduire de ces chiffres ?

La distribution des élèves met en évidence une différence statistique nette entre les deux courbes pour les moyennes de 0 à 11/20, qui démontre que oui, pour la section Maths, les filles ont un meilleur niveau que les garçons.

Ce constat n’est pas spécifique à cette section. Il en va de même du bac Lettres, où l’écart est plus net encore.

Proportion de candidates et de candidats au baccalauréat 2014 selon la moyenne obtenue au bac, section Lettres (sources : Institut Afkar, Ministère de l’éducation nationale)

En réalité, ce constat s’étend à toutes les années du lycée. Aux quatre niveaux du lycée, les filles ont de meilleurs résultats que les garçons. En conséquence, ces derniers redoublent et abandonnent plus souvent leurs études.

Au final, moins de garçons arrivent au bac, comme le montre le tableau suivant :

Répartition des candidats au baccalauréat 2014 selon le sexe et le type d’établissement (sources : Institut Afkar, Ministère de l’éducation nationale)

Mais cette différence claire de niveau scolaire est-elle la seule raison du déficit de garçons au bac ? Il semble bien que non !

À niveau égal, les filles sont mieux notées en cours d’année

Quand on se plonge dans les chiffres, on observe parfois des phénomènes dont l’explication n’est pas intuitive. Le graphique suivant illustre parfaitement cela. Cette figure compare, pour les candidats au bac Lettres, la moyenne en cours d’année (échelle de gauche) à la moyenne au bac (échelle du bas).

Moyennes obtenues en cours d’année par les candidates et les candidats selon la moyenne obtenue au bac, section Lettres, lycées publics (sources : Institut Afkar, Ministère de l’éducation nationale)

Nous observons le même graphique pour la section Maths.

Moyennes obtenues en cours d’année par les candidates et les candidats selon la moyenne obtenue au bac, section Maths, lycées publics (sources : Institut Afkar, Ministère de l’éducation nationale)

Voici quelques clés de lecture des graphiques ci-dessus, qui peuvent paraître quelque peu compliqués :

  1. lorsque les courbes rouges et bleues sont situées au-dessus de la droite noire (la bissectrice), cela veut dire que les moyennes obtenues en cours d’année sont supérieures aux moyennes obtenues au bac.
    En l’occurrence, pour les sections Lettres et Maths, les moyennes obtenues en cours d’année sont effectivement supérieures aux moyennes obtenues au bac, sauf pour les meilleurs élèves de la section Maths (moyennes supérieures à 15,5/20) ;
  2. la note obtenue au bac à l’issue d’une correction anonyme étant neutre vis-à-vis du candidat, elle représente selon nous une mesure plus objective du niveau scolaire des candidats, indépendamment de leur sexe.
    Ainsi, pour les élèves moyens ou faibles, les garçons ont tendance à être moins bien notés en cours d’année que les filles à niveau scolaire égal (les courbes rouges étant presque toujours au-dessus des courbes bleues).

Si les filles ne sont évidemment pas responsables des moins bonnes notes données aux garçons en cours d’années, ce dernier point nous interpelle et les données chiffrées ne permettent pas de l’expliquer. Cette situation n’est toutefois pas spécifique à la Tunisie. D’autres pays, comme la Suède et les États-Unis, observent le même phénomène et plusieurs études ont été menées sur le sujet.

Ainsi, comme le suggère une étude publiée en 2004 dans une Revue d’économie de l’éducation, un garçon aux résultats moyens voit ses résultats augmenter de 15 % en étant évalué dans une école qu’il ne fréquente pas.

L’OCDE formule, dans l’un de ses rapports (page 287), deux causes possibles à cet écart :

  1. la première est liée à la féminisation du corps professoral : “les professeurs voient leurs élèves plus positivement s’ils sont du même sexe et de la même minorité/ethnie […] Les élèves ont de meilleurs résultats académiques quand ils ont des professeurs du même sexe et de la même minorité/ethnie” ;
  2. la seconde est liée au comportement des garçons, qui inciterait les professeurs à être plus sévères avec eux dans leur notation : “les professeurs pourraient favoriser les filles, peut-être en raison de leur meilleur comportement à l’école”.

Le biais négatif contre les garçons semble relativement faible (de l’ordre de 0,5 point de moyenne en cours d’année). Mais si la barre du redoublement est à 10/20, nos données indiquent qu’en section Maths, les garçons qui ont entre 8 et 11/20 de moyenne auraient 3 fois plus de risques de redoubler que les filles du même niveau à cause de ce biais. Ce qui expliquerait un constat que nous faisions plus haut : il y a proportionnellement beaucoup moins de candidats que de candidates entre 8 et 11/20 de moyenne au bac.

Conclusion

Ce court billet accrédite une nouvelle fois une idée reçue, celle selon laquelle les lycéennes s’en sortent mieux au bac que les lycéens. Mais il invite à regarder cette situation de plus près.

Les données à notre disposition ne permettent d’observer que l’année du baccalauréat. Mais plusieurs observations nous permettent d’expliquer le fait que les filles sont plus nombreuses à atteindre le niveau du bac :

  1. d’une part, le fait qu’elles obtiennent de meilleures notes au bac laisse penser que les filles ont un meilleur niveau scolaire général que les garçons ;
  2. d’autre part, les enseignants auraient tendance à noter moins favorablement les garçons en cours d’année par rapport à leur niveau “objectif” (évalué lors d’épreuves où les copies sont anonymes), ce qui diminuerait les chances des garçons d’atteindre le bac.

Dans tous les cas, l’écart de niveau scolaire mis en évidence entre les garçons et les filles pose un problème de société alarmant. Il rappelle que les garçons décrochent plus souvent que les filles. Certains ne restent qu’artificiellement dans le système éducatif général, en rejoignant des lycées privés qui n’amélioreront pas leur niveau (ce sera l’objet de notre prochain billet, bientôt disponible). Tout cela pose la question de l’encadrement et de la prévention du décrochage des garçons, ainsi que celle de l’efficacité de la formation professionnelle. La politique éducative a aussi pour objet de rattraper les décrocheurs et de leur donner les qualifications nécessaires à un parcours professionnel a minima décent.

Au sujet de l’Institut Afkar

L’Institut Afkar est un groupe de réflexion qui travaille sur les politiques publiques tunisiennes. Il s’intéresse notamment à leur conception et à leur évaluation, par l’analyse de faits et de données et par la comparaison internationale.

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