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Ma nuit de chasse aux Pokemon entre ados !

7 min readAug 1, 2016

Comment mieux comprendre le phénomène PokemonGo qu’en partant — la nuit dernière — avec ma fille de 14 ans, Lucile, et son amie Eléonore marcher dans les rues, jusqu’à 3 heures du matin, pour apprendre à dompter des Pokemon à la belle étoile ?

Quel mécanique ludique peut donc pousser des joueurs marcher, bouger, courir entre amis, faisant parfois 10 kilomètres de jour comme de nuit, passant la nuit dehors autour de la tour du village habituellement dépeuplée, avec leurs amis, partageant des tactices de jeu, rivés sur leur téléphone, quel que soit le temps, l’heure ou la température ?

PokemonGo, c’est le premier succès grand public de la réalité augmentée, qui permet déjà d’évangéliser autour de cette (ancienne mais peu popularisée) technologie ludique.

A plusieurs reprises dans l’histoire du jeu vidéo, des game-designers ont imaginé des jeux pour nous inciter à jouer dans la rue. (cf Pac Manhattan inspiré à New York, inspiré du Pac Man). Dans ce jeu, les proies étaient des humains en costume de Pac Man ou de fantomes, désormais remplacés par des pokemons en réalité virtuelle.

D’ailleurs, les chiens, chats et autres animaux de compagnie de notre quotidien (Faut-il désormais préciser “de notre quotidien réel” ?) se rendent également compte qu’il se passe quelque chose de nouveau, tant nos habitudes de “chasseurs de pokemon” nous font passer par des chemins de promenade inhabituels ?

Pourquoi ce jeune garçon promène-t-il son chien en laisse en l’empéchant de suivre le parcours habituel ? Le chien s’interroge en voyant son maitre prendre un détour qu’il n’a jamais pris depuis des années.

“Je vais promener le chien, mais s’il tire ma laisse pour tourner à droite, il sentira bien que je n’écoute plus ses attentes sur le parcours puisque c’est le jeu qui m’indique la direction pour attraper des Pokemons”

Le rituel du parcours de promenade habituel est cassé, et le “chasseur de Pokemon” et son animal de compagnie vont décrouvrir une nouvelle partie de la ville, des endroits où ils n’étaient jamais allé jusqu’à présent.

Heureusement que Felix, le chat de ma fille Lucile, ne l’a pas entendu évoquer l’idée de le rebaptiser “Miaous” (prononcer “Miaou-sse”), du nom du Pokemon en forme de chat !

Marketing touristique

La première force de PokemonGo est touristique : Pour jouer, il faut se déplacer vers des lieux touristiques, qui recèlent les “Pokestop” et les “leurres” qui facilitent la chasse aux Pokemons, et la rencontre.

A peine arrivé à Oudon — un petit village à quelques kilomètres de Nantes — , ma fille s’est mise à sillonner ce petit village avec ses amies. Au bout de 3 jours, elles connaissaient toutes les rues, ruelles et coins perdus mieux que certains de leurs habitants, tellement le “jeu” l’avait amené à visiter toutes les rues et sentiers peuplés d’animaux à attraper. Elle a passé d’excellentes vacances, délaissant la piscine pour la marche à pied et le tourisme.

Le dimanche matin, lorsque je suis allé jeter nos bouteilles en verre dans les casiers prévus à cet effet à la sortie du village, je n’ai pu chasser qu’une chauve-souris Pokemon sur le chemin, car la poubelle n’est pas vraiment un lieu touristique propice au jeu. A l’avenir, je préférerai aller chercher le pain au centre ville !

Marketing de la Santé

L’autre force de ce jeu après le tourisme, c’est la santé de nos enfants : La marche. De nombreux autres jeux ont déjà essayé d’inciter les enfants à faire une activité sportive sans jamais vraiment y réussir. Quel plaisir d’entendre ma fille se réjouir d’avoir marché 14000 pas depuis ce matin, et repartir de plus belle sur les sentiers, sans aucune incitation initiale de ma part.

Marketing de la Distribution / Retail

Au japon, 3000 restaurants Mc Donald’s payent pour devenir des Pokestop ou des arènes, c’est à dire des aimants à joueurs… donc à jeunes consommateurs, susceptibles d’être accompagnés de leur famille dans cette découverte de la ville “Pokemo-guidée” !

Les commerçants ont vite compris que la présence d’un Pokestop ou d’une arène de jeu devant leur magasin provoquaient une hausse de fréquentation évidente.

Tant pis pour les centre commercial, car le GPS ne fonctionne pas “indoor”. Il faut être en plein air.
C’est donc idéal pour une association de commercants de quartier. De plus, si elle pense à s’organiser pour lancer des leurres durant les heures d’ouverture de leurs magasins, c’est bon pour le chiffre d’affaires.

Créer des communautés

Les joueurs se reconnaissent dans la rue. Le jeu favorise donc — à moyen terme — les rencontres, car au début, les joueurs restent entre amis mais la mécanique des “leurres” pousse tous les joueurs d’une ville à se retrouver au même endroit pour chasser ensemble les mêmes Pokemons.

Le jeu étant assez stratégique, ils s’échangeront vite des astuces de jeu avec un vocabulaire de jeu qui forge la communauté, et une hierarchie et un respect qui se dessine dés que l’on entend la question : “Et toi, tu es arrivé à quel niveau ?”. Ainsi, l’enfant timide qui ne parle à personne gagnera peut-être le respect des autres enfants par ses tactiques et son avancement dans le jeu, rompant un certain isolement. Au départ, tout le monde est égal face au jeu de Pokemon.

Certains se partagent la connection Wi-fi de leur téléphone, et d’autres s’échangent les codes Wifi du café de la mairie. “Je me connecte au Wi-fi du café du village, qui est fermé, mais je connais le code. Tu le veux ?”

Certains se prêtent des batteries mobiles pour recharger les portables en l’absence de toute prise de courant. “Je n’ai plus de batterie. Il me faut un chargeur mobile” — “Tiens, je te prête le mien”.
Une autre occasion de partage.

Un jeu de stratégie

PokemonGo ressemble à un jeu de combat, à les graphismes d’un jeu de combat, le vocabulaire d’un jeu de combat (la “chasse”), mais seuls les joueurs les plus réfléchis arriveront à optimiser la forces de leurs Pokédex. Il y a plusieurs niveaux de jeu : L’idiot du village peut lancer des balles, et le stratége peut gagner les combats dans les arènes de jeu.

Des peurs irrationnelles

Certes, la concentration sur le jeu et sur l’écran peut provoquer quelques étourderies, comme ma fille qui a oublié son 2ème téléphone sur le bord de la route à 2 heures du matin… mais rien de grave comparé à des soirées alcolisées en boite de nuit de la génération précédente !

Régulièrement, des articles de presse font sensation en parlant du risque d’inattention réel, et d’accidents de joueurs qui traversaient la route sans regarder, ou de leurres servant à attirer des personnes innocentes dans de sombres recoins de la ville pour leur dérober leur téléphone ou les agresser.

Heureusement sur ce point, Nicolas Galita a très bien décrit le phénomène de peurs irrationnelles qui entourent le jeu.

Faut-il cependant que Predpol, les auteurs de l’algorithme de police predictive, intègre les emplacements des leurres et des connections Wi-fi en temps reel pour calculer les risques d’agressions géo-ciblées ? A eux de décider. Ca ferait surement rire Nicolas :)

Le déroulement du jeu

Le créateur du jeu étant un ancien de Google Maps, le jeu commence avec l’affichage de votre avatar sur une carte géolocalisée, à la façon des petites voitures sur Waze. Pour jouer, il faut commencer par marcher (dans la direction de votre choix) à la recherche de “Pokemons”, de “Leurres” ou de “Pokestop”.

Les “Pokestop” sont des lieux de rencontre entre joueurs dans la ville, puisqu’on y trouve des “Pokeballs”, ces gros ballons balles blancs et rouges indispensables pour attraper des “Pokemon”.
La carte affichée sur le smartphone indique clairement à chaque joueur où sont les Pokestop les plus proches. Il suffit généralement d’un lieu culturel (une statue, un musée) ou cultuel (tel que la facade de l’église du village). Chaque “Pokestop” permet de découvrir la photo et la description d’une statue, d’un bâtiment, ou d’un lieu touristique proche, et de déceler des lieux à visiter ultérieurement.

Ce soir là, nous retrouvons plusieurs jeunes assis (ou garés) en bas de l’église du village, lançant des “leurres”, une sorte de “pot de miel à Pokemons”, afin de (collectivement) attirer des Pokemons à attraper collectivement. Les concepteurs du jeu ont pensé à éviter tout combat “physique” puisque les joueurs ne sont pas en compétition entre eux : Chaque “Pokemon” attiré par un leurre pourra être attrapé par chacun des joueurs présents. Au contraire, le joueur qui aura dans son Pokédex beaucoup de “leurres” à partager se fera probablement un grand nombre d’amis, joueurs reconnaissants pour son aide. Un jeu de “peace & love” !

Une fois que l’on a attrapé beaucoup de Pokemon (ou d’oeufs de Pokemon), il faut les nourrir, les incuber, leur donner de la nourriture (des “bonbons”) pour qu’ils prennent des forces avant d’aller se battre dans l’arène. Là aussi, il ne s’agit pas d’un combat “entre joueurs” mais “entre chaque joueur et l’ordinateur”.

Ouf, la paix est sauve entre terriens du monde réel !

Le combat en équipe dans les arènes pousse à la collaboration et à une stratégie d’équipe, pour se donner des astuces, pour entrainer les Pokemons de ses amis à devenir plus puissants. Trois équipes combattent pour que la couleur de l’équipe obtienne le contrôle de l’arène. On combat collectivement pour le prestige (et le contrôle) de l’arène. La meilleure stratégie, c’est la collaboration. Peace !

Un impact sur la ville ?

Après les moments de découverte des monuments de la ville durant la journée, le jeu continue la nuit, même lorsque les lampadaires du village d’Oudon se sont éteintes pour économiser (comme chaque nuit) l’électricité de la ville. Mais cette fois-ci, un nombre inhabituel de jeunes ados marchaient encore dans les rues, ou stationnaient au centre ville.

Merci à Lucile, Eléonore et Léa de m’avoir fait découvrir la ville, et le jeu !

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J-Philippe CUNNIET
J-Philippe CUNNIET

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