L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE : VERS UNE NOUVELLE RÉVOLUTION INDUSTRIELLE ?

Jean MOREAU
9 min readAug 9, 2018

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L’épisode multi-caniculaire, l’enchaînement de signaux faibles et la prise de conscience collective autour d’un nécessaire changement de modèle m’incitent à reposter cet article initialement publié dans le magazine Silex ID numéro 1 (mars 2014).

L’illustre Antoine Laurent de Lavoisier compte parmi ces délicieux personnages du XVIIème siècle auxquels Wikipedia prête la plus grande aptitude à la pluridisciplinarité. Notre ami Lavrouste est ainsi présenté comme chimiste, botaniste, philosophe, économiste, agronome et mathématicien.
Rien que ça. Gageons qu’il était aussi astrophysicien, pilote de chasse, violoncelliste et recordman du monde du 400 mètres haies. Et super-héros, la nuit.

Mais le mythe s’effondre lorsque l’on poursuit sa biographie en ligne pour apprendre qu’il se muait par ailleurs en bon vieux plagiaire des familles. La fameuse maxime lui ayant permis d’inscrire son nom dans l’Histoire « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. » ne serait en réalité que la pâle reformulation d’une citation de son confrère le philosophe grec Anaxagore : « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau. ».
Anyway, quel que soit celui à qui en revient la paternité, cette phrase n’en demeure pas moins emblématique et fondatrice de ce nouveau paradigme que l’on nomme “l’économie circulaire.”.

Le biomimétisme à l’origine du concept

Partons en balade en forêt. Et réalisons à quel point cet écosystème naturel s’avère exemplaire en matière de réemploi des ressources, et constitue une véritable source d’inspiration. Il n’y a qu’à voir comment ses multiples composantes (animales, végétales, bactériologiques…) s’auto-organisent pour que les déchets des uns se muent en ressources pour les autres. Le recyclage et la réutilisation forment ainsi la logique fondamentale d’un système qui atteint l’autosuffisance. Et au sein de cet écosystème, l’action combinée des animaux, des bactéries et des champignons crée et entretient la décomposition de la matière organique, générant l’humus, la couche supérieure du sol, fondamentale de par sa capacité à retenir l’eau et les nutriments.

Ce processus et repris et illustré dans un schéma très clair, proposé par nos amis de Withaa, une agence de design spécialisée dans l’économie circulaire.

Source: Withaa©, http://wiithaa.com/ressources-upcycling/biomimetisme-fonctionnement-foret-sequoia/

En d’autres termes, dans la forêt, Dame Nature:

- transforme les déchets (les feuilles mortes) en ressources via ses champignons et autres micro-organismes,

- facilite une gestion raisonnée et optimisée des ressources existantes,

- favorise une logique de coopération entre les différentes parties prenantes,

- privilégie les gisements locaux et les circuits courts.

Prenez ce mode de fonctionnement et appliquez-le à notre façon d’exploiter les ressources naturelles (selon la logique dite de « biomimétisme »), vous verrez qu’il y a là un vecteur de mutation qui peut véritablement changer la société et nous guider vers une transition énergétique, sociale et écologique.

3R : reduce, reuse, recycle…

« Le meilleur déchet reste celui qu’on ne produit pas », dirait Flore Berlingen, Directrice du mouvement Zero Waste France, association qui impulse une démarche positive pour tendre vers une société #ZéroDéchet et zéro gaspillage, et œuvre pour la participation de toutes les composantes de la société. La réduction de déchets en amont par l’écoconception des produits et le management environnemental est primordiale. En aval, l’écologie industrielle promeut l’échange de ressources secondaires entre des entreprises d’une même filière ou de filières différentes. À Dunkerque, l’hydrogène émis par l’usine sidérurgique Sollac est brûlé en produisant de l’électricité pour EDF et de la chaleur pour le réseau GDF local. Vient ensuite l’économie de fonctionnalité, qui vise à vendre un service plutôt qu’un produit, pour lutter notamment contre le principe d’obsolescence programmée. Le fabricant d’imprimantes Ricoh, par exemple, commence ainsi à faire payer l’usage (un coût à l’impression) plutôt que l’achat de la machine.

L’économie circulaire existe aussi à la fois grâce au réemploi et à la réutilisation. La différence ? Le réemploi consiste à prolonger la durée de vie d’un produit ou d’une matière en le récupérant pour l’utiliser sans modification de sa forme ou de sa fonction, par exemple en réemployant le verso de papiers imprimés. La réutilisation, c’est l’utilisation d’un matériau récupéré pour un usage différent de sa fonction initiale. C’est notamment la mission de La Réserve des Arts, une association récupérant des chutes de matériaux d’entreprises (textiles, beaux arts, décoration…), pour les valoriser et les revendre aux professionnels de la création. Enfin, l’économie circulaire c’est la réparation, portée par des plateformes web comme oureparer.com et commentreparer.com, ou les Repair Cafés qui fleurissent un peu partout en Europe, et le recyclage, soit de faire du neuf avec du vieux. Le nouvel objet n’a souvent rien à voir avec l’ancien qui sert uniquement de matière première. À la différence de la réutilisation et du réemploi précédemment cités, le recyclage présente l’inconvénient de nécessiter de l’énergie pour la transformation du déchet en ressource. C’est ainsi que l’on produit de l’engrais à partir de compost, un composé riche en humus et en minéraux semblable à un terreau. On parle aussi d’upcycling, qui prône non pas la simple réutilisation des déchets mais leur valorisation créatrice, créant des produits dépassants de loin la valeur de l’objet initial.

Des enjeux économiques, sociaux et environnementaux

Selon les conclusions du dernier rapport McKinsey pour la Fondation Ellen MacArthur, l’adoption de modèles circulaires pourrait générer une économie nette de matières premières de sept cents milliards de dollars dans le monde. Par exemple, la collecte systématique des déchets alimentaires ménagers, leur utilisation dans la production de biogaz et le retour des nutriments aux terres agricoles représentent une réelle opportunité. Ainsi, une tonne de déchets alimentaires peut générer l’équivalent de 19,50 euros d’électricité, 13,50 euros de chaleur et 4,50 euros d’engrais. L’économie circulaire constitue par ailleurs un puissant vecteur d’aménagement du territoire et de création d’emplois, en invitant les acteurs à coopérer et en contribuant à re-dynamiser l’espace grâce à un développement économique local favorisant les circuits courts et donc le maintien et la création d’emplois non délocalisables.

Le principe de circularité, c’est le bon sens appliqué à l’économie. Une logique gagnant-gagnant où les uns réduisent leurs déchets et les frais qui vont avec, tandis que les autres s’approvisionnent à moindre coût. Un système dans lequel « le bonheur des uns fait le bonheur des autres ». Une pluralité de jeunes acteurs, majoritairement encore de taille modeste, et dont une bonne partie est réunie au sein de la récente mais prometteuse fédération RCube, commencent à déployer leurs activités. Tandis que les poids lourds du recyclage gardent un œil attentif sur ce marché naissant et se mettent à agiter la Tweetosphère à base de hashtag #economiecirculaire. Entre les deux figurent quelques acteurs pionniers historiques, comme Emmaüs, le groupe Vitamine T., ou le réseau Envie, présents depuis plus de 20 ans dans le paysage et forts de plusieurs milliers d’employés. L’économie circulaire n’est donc pas nouvelle, mais il reste relativement difficile de quantifier son poids dans l’économie française. On estime que le secteur de la gestion des déchets représente plus de cent trente-cinq mille emplois . L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) communique pour sa part sur un potentiel de trois cent à quatre cent mille emplois liés à ce nouveau paradigme. Sur le plan mondial, certains pays comme l’Allemagne, la Belgique, la Suisse, le Japon ou la Chine se placent en avant-gardistes de la tendance.

« CIRCULAIRE, Y’A RIEN À VOIR ! »

« Circulez, y a rien à jeter ! » titrait Libération en octobre 2013.

Article Libération (06/10/2013)

Cinq ans plus tard, il apparaît que l’économie circulaire mettra encore un certain temps à se développer. Pourquoi ? D’une part en raison des freins classiques inhérents à tout processus d’innovation : temps et évangélisation nécessaires à la mise en place d’usages nouveaux pour une activité nouvelle, résistances au changement, manque de financement des actions ; mais aussi des problématiques spécifiques au secteur, tenant notamment à la représentation que l’on se fait parfois des déchets, et aux aprioris sur la fiabilité et la qualité des produits issus de matières recyclées. L’autre constat partagé par un certain nombre d’acteurs de terrain réside dans le manque, à ce stade, de filières structurées de reprise : le problème ne se situerait pas du côté de l’offre, mais plutôt de celui de la demande. Un certain nombre de grosses structures semblent prêtes à jouer le jeu et à approvisionner les acteurs de la revalorisation en matériaux dont elles n’ont plus besoin, mais ces derniers ne paraissent pas encore suffisamment matures et dimensionnés pour pouvoir traiter les volumes en question. De ce fait, une bonne partie des surplus finit généralement à la benne puis passe dans le trou noir des gros poids lourds du recyclage, qui s’avèrent quant à eux équipés pour traiter de grosses quantités de matière.

Et ce problème de dimensionnement et de structuration des filières en aval se couple avec un souci de modèle économique, qui reste encore balbutiant. Là encore, disons que les entreprises émettrices se déclarent dans le meilleur des cas disposées à donner leur matière excédentaire et leurs chutes de production, mais pas forcément à payer des repreneurs pour les en débarrasser. L’équation économique n’est pas simple : le produit fini issu de la transformation doit être revendu à un prix couvrant à la fois l’activité de transformation elle-même, la collecte, le transport et le stockage, la distribution en aval, et parfois le rachat initial de la matière. Contrairement aux idées reçues, la récup’ et l’upcycling ne sont pas toujours bon marché, et les coûts de production peuvent parfois dépasser ceux du neuf. L’autre limite au déploiement de l’économie circulaire réside dans le manque de connexion entre les différents acteurs. Les entreprises sont plutôt centrées sur elles-mêmes et ne pensent pas encore à entamer le dialogue avec leurs alter egos. C’est l’une des raisons qui ont poussé à la création :

  • de PHENIX, plateforme servant d’interface entre l’offre et la demande, mais aussi entre des structures qui ne communiquent pas et n’ont pas de visibilité sur les gisements récupérables.
  • puis de notre incubateur le PHENIX Lab, laboratoire des projets antigaspi, ayant vocation à héberger des projets circulaires et à accompagner l’accélération de leur changement d’échelle.

C’est aussi le rôle d’acteurs plus institutionnels comme l’Institut de l’Économie Circulaire, impulsé par le député des Bouches-du-Rhône François-Michel Lambert (LREM), qui estime à juste titre que l’économie circulaire s’appuie par essence « sur un système d’interrelations, d’interdépendances, sur une approche systémique qui nécessite que tous les acteurs d’un territoire soient impliqués: les entreprises, les collectivités locales, les universités, les chercheurs, les associations, les consultants » et qui a fait le constat que « de nombreuses initiatives existaient sur les territoires, mais qu’il manquait à l’appel une structure fédérant toutes les strates de la société pour une mise en dynamique de cette économie circulaire ». En favorisant les échanges, les confrontations, les expérimentations et la promotion du concept, la création de l’Institut en février 2013 est venue en partie combler ce besoin, en attendant d’aller plus loin avec un projet de loi en 2017. L’Institut, qui est le pendant français de la Fondation Ellen MacArthur, a également pour but d’identifier les leviers pouvant accélérer la transition vers l’économie circulaire, que ce soit par le développement de politiques publiques (écotaxes, incitations fiscales), via la conjoncture économique (augmentation des coûts de l’énergie et des matières premières), la communication envers les professionnels et le grand public, ou les avancées technologiques : plateformes web, open data, travail collaboratif et développement de pièces détachées produites par imprimantes 3D.

Un concept en vogue et prometteur, qui, espérons-le, ne connaîtra pas le même sort que son père spirituel, le bon Lavoisier, stigmatisé comme traître et guillotiné lors de la Terreur à Paris le 8 mai 1794, à l’âge de 50 ans.

“Le meilleur d’entre nous”

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Jean MOREAU

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