Le véganisme ne vise pas la protection de l’environnement.

Il est l’application concrète de la lutte politique pour la reconnaissance des droits fondamentaux des animaux non humains et l’abolition de leur domination.

Jean C. Gilbert
7 min readOct 3, 2017

Note : La lutte contre les changements climatiques est d’une grande importance, tout comme la lutte pour la reconnaissance des droits fondamentaux des animaux non humains. Ce sont deux luttes qui doivent être présentées de façon distinctes. Le texte qui suit en explique les raisons et surtout traite de la problématique d’utiliser l’une pour tenter de justifier l’autre.

Il serait maladroit de justifier le véganisme pour des raisons environnementales, tout comme il serait maladroit de justifier une opposition à des violences commises à l’endroit d’êtres humains pour des raisons autres que la défense des victimes. Pourtant, l’environnement est souvent présenté comme une justification au véganisme.

Le véganisme est d’abord l’application concrète de la lutte politique pour la reconnaissance des droits fondamentaux des autres animaux. Évoquer des arguments environnementaux pour justifier de cesser de les utiliser comme ressources occulte les victimes et les oppressions qu’elles subissent et renforce l’idée que leurs intérêts sont inférieurs aux nôtres. Ça détourne en plus l’attention sur des considérations qui ne permettent en rien d’éduquer sur les fondements du véganisme.

Non seulement invoquer des arguments environnementaux comme justification au véganisme est-il contre productif et une source de distractions occultant les victimes, mais de supposer qu’il y ait un lien entre l’environnement et le véganisme est problématique, à moins de réduire le véganisme à une alimentation. Par exemple, la comparaison des loisirs d’une personne végane à celles d’une personne non végane serait hasardeuse et probablement non concluante. Une personne soucieuse de l’environnement peut très bien pratiquer des loisirs peu polluants (la chasse à l’arc par exemple), tout comme une personne végane pourrait pratiquer des loisirs néfastes pour l’environnement. De même, on peut reconnaître par exemple la possibilité de l’existence d’un shampoing testé sur des animaux ou contenant des ingrédients d’origine animale qui puisse avoir une empreinte écologique inférieure à celle d’un autre shampoing qui serait végane.

Le mal étant fait, c’est à dire le réflexe d’associer la question environnementale au véganisme étant établi, on pourrait ramener un échange sur le véganisme allant dans cette direction à la question de justice en se limitant à ne mentionner que les grandes lignes. Soit qu’une alimentation végétalienne n’est certainement pas réputée comme dommageable pour l’environnement et, selon le contexte, en citant une source : par exemple un rapport d’une agence de l’ONU (1) qui indique qu’«une réduction substantielle des impacts [environnementaux] ne serait possible qu’avec un changement substantiel, au niveau planétaire, de régime alimentaire, d’où serait bannie la consommation de tout produit d’origine animale». En mentionnant aussi que rien n’empêche une personne végane de prioriser les produits éco-responsables ou locaux tout en ne considérant pas que les intérêts des êtres humains seraient supérieurs aux intérêts des autres animaux. Et, surtout, en mentionnant que le véganisme n’est pas un régime alimentaire.

«On doit ramener le sujet du véganisme à ce qu’il est : une question de justice envers des êtres différents de nous.»

Si la question environnementale a été maladroitement et abondamment utilisée comme justification au véganisme (par opposition à présenter le végétalisme comme pouvant être avantageux pour l’environnement lorsqu’on parle d’environnement), les arguments environnementaux sont maintenant devenus une source de dérive importante et même un terrain fertile pour l’industrie qui utilisera par exemple les arguments de production locale ou biologique pour vendre des produits d’origine animale et même aussi pour tenter de discréditer le véganisme. Et les attaques sur ce plan n’en sont pobablement qu’à leur début. Afin de faire comprendre les fondements du véganisme et rallier des personnes à la lutte, on doit ramener le sujet du véganisme à ce qu’il est : une question de justice envers des êtres simplement différents de nous.

Même si on venait à démontrer que certains produits ou certaines pratiques non véganes étaient moins dommageables à l’environnement que certaines alternatives véganes, ça ne justifierait toujours pas de faire une discrimination arbitraire entre les êtres humains et les autres habitant-e-s de la planète et de considérer que les intérêts des autres animaux sont moins importants que les nôtres.

«C’est l’anthropocentrisme et notre profond conditionnement à voir les autres animaux comme des ressources à notre disposition qui nous amènent à considérer d’abord l’impact de leur exploitation sur l’environnement au lieu de reconnaître que leur domination est une des grandes injustices commises envers des groupes d’individu-e-s.»

C’est l’anthropocentrisme et notre profond conditionnement à voir les autres animaux comme des ressources à notre disposition qui nous amènent à considérer d’abord l’impact de leur exploitation sur l’environnement au lieu de reconnaître que leur domination est une des grandes injustices et discrimination commises envers des groupes d’individu-e-s. (Discrimination qui n’est fondée ici aussi que sur un critère arbitraire de différence, tout comme bien d’autres formes de discrimination systémiques d’ailleurs.)

Il peut sembler étonnant à prime abord, pour une personne végane notamment, qu’un-e environnementaliste ou une personne soucieuse de l’impact de ses actes sur l’environnement n’adopte pas une alimentation végétalienne car, en général, une alimentation végétalienne est reconnue pour être moins néfaste à l’environnement qu’une alimentation «normale». Mais pour une personne qui n’a pas pris conscience de la valeur morale des autres animaux (et de l’obligation qui en découle de ne pas les traiter exclusivement comme des ressources ou propriétés), les choix alimentaires ne représentent au final que des options supplémentaires permettant de réduire son impact sur l’environnement. Ils s’ajoutent aux autres options dont on dispose telles que : utiliser les transports en communs, diminuer la durée et le débit des douches, favoriser l’achat local, réduire l’utilisation d’emballage, baisser la température des pièces chauffées, etc. Une personne soucieuse de l’impact de ses actes sur l’environnement pourrait aussi privilégier l’achat de chair animale venant de la chasse et augmenter la proportion d’aliments d’origine végétale à ceux d’origine animale, mais au même titre que tout autre mesure visant à diminuer son impact sur l’environnement. Sans les exclure totalement.

«Il n’y a pas de lien logique menant de la considération environnementale de son alimentation à la reconnaissance des droits fondamentaux des animaux.»

Même si certaines de ces mesures environnementales alimentaires pouvaient résulter en bout de ligne à une réduction du nombre d’animaux tués causée par l’alimentation de cette personne (qui ne change en rien le problème des victimes (2), d’ailleurs) ces effets ne mèneraient toujours pas à la reconnaissance que nous n’avons pas le droit de continuer à utiliser les autres animaux comme des ressources. Il ne mène pas à la reconnaissance que nous devons traiter de façon similaire des intérêts similaires. Ni que nous devons reconnaître aux autres animaux le droit de ne pas être traité comme des propriétés, tout comme on le reconnaît pour les êtres humains. Il n’y a pas de lien logique menant de la considération environnementale de son alimentation à la reconnaissance des droits fondamentaux des animaux. L’éducation au véganisme demeure nécessaire pour y parvenir.

Pour revenir à l’impact environnemental réduit généralement associé à un régime végétalien, on pourrait possiblement trouver des exceptions pour certains «aliments» comparés (escargots vs amandes pour illustrer), et même envisager définir une alimentation qui serait spécifiquement orientée pour réduire notre empreinte écologique et qui n’exclurait pas nécessairement tous les produits issus de l’exploitation animale. Mais encore ici, la comparaison devient hasardeuse du fait qu’une alternative à un aliment végétal ayant un empreinte écologique plus élevée n’est pas nécessairement un produit issue de l’exploitation animale, mais pourrait être un autre aliment végétal ayant une empreinte écologique plus faible. Ça démontre toutefois que les considérations environnementales seules ne résulteraient pas nécessairement en une alimentation strictement végétalienne. (Et encore moins au véganisme.)

Une opposition de plus en plus argumentée contre le véganisme (motivée par la protection de profits, par des conflits d’intérêt ou par tentative de justification personnelle) s’observe et elle capitalise souvent sur des incohérences véhiculées par certain-e-s militant-e-s pour tenter de le discréditer et nuire au mouvement. Les commentaires lus dans les médias sociaux en témoignent largement; ils ressemblent de moins en moins à «humm du bon bacon» et font de plus en plus références à des analyses comparatives concernant par exemple l’utilisation de l’eau pour la culture des amandes en Californie ou l’achat local, afin de tenter de démontrer que les «arguments» environnementaux pour le véganisme (!) sont invalides. (Et ce, bien qu’on ne fasse toujours pas la démonstration que l’achat local est plus avantageux que le végétalisme, d’abord parce qu’il ne s’agit pas de catégories opposées et parce qu’un achat local ne veut pas nécessairement dire meilleur pour l’environnement (3). Il semble que ce soit même largement l’inverse (4) selon une étude faite pour les États-Unis par exemple.) Toutes ces discussions environnementales et la confusion sur ce qu’est le véganisme peuvent laisser croire à tort que la question du véganisme ne fait pas concensus et offrent par le fait même une porte de sortie facile aux personnes qui préfèrent conserver leurs habitudes. De telles analyses comparatives sont également rapportées dans des médias d’information, par méconnaissance des fondements du véganisme ou possiblement stratégiquement par l’industrie.

En conclusion, pour contribuer à la reconnaissance des droits fondamentaux des animaux, il est nécessaire de faire comprendre les fondements du véganisme au lieu de contribuer à perpétuer et alimenter des distractions et des débats portant sur des aspects indirects et anthropocentriques qui font bien l’affaire d’industries tirant profit de l’exploitation des animaux et des personnes qui, inconsciemment ou pas, recherchent désespérément des justifications pour continuer à profiter du fruit de la domination des autres.

Si on veut faire reconnaître les droits fondamentaux des autres animaux et rallier la population au mouvement pour le véganisme, il va bien falloir un jour en parler sans détours!

Références :

1- Assessing the Environmental Impacts of Consumption and Production; http://www.unep.fr/shared/publications/pdf/DTIx1262xPA-PriorityProductsAndMaterials_Report.pdf

2- Le problème des animaux n’est pas le nombre de victimes https://medium.com/@jean_qc/le-probl%C3%A8me-des-animaux-nest-pas-le-nombre-de-victimes-b82da8bb2c76

3- Vegan Mythbusting #3; Eating Local Meat is Better Than Being Vegan; http://www.theflamingvegan.com/view-post/Vegan-Mythbusting-3-Eating-local-meat-is-better-than-being-vegan

4- Food-Miles and the Relative Climate Impacts of Food Choices in the United States; http://pubs.acs.org/doi/full/10.1021/es702969f

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Jean C. Gilbert

Millitant pour la lutte pour la reconnaissance de droits fondamentaux des animaux non humains.