Le co-naming pour les équipes cyclistes, un passage obligé pour survivre dans le World Tour ?

Delord Jean-Louis
7 min readJan 24, 2019

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La saison 2019 du World Tour vient de commencer mi-janvier en Australie avec le Tour Down Under, mais l’intersaison a été marquée par plusieurs annonces en coulisses, et notamment l’arrivée d’un second sponsor titre pour une équipe historique du World Tour : Quick-Step Floors (partenaire depuis 1999) qui s’appellera désormais Deceuninck — Quick Step. En décembre 2017, c’était la formation de Marc Madiot, qui depuis sa création en 1997 avait toujours été soutenue par un seul sponsor titre, la FDJ (sauf lors de la saison 2012), qui annonçait l’arrivée de Groupama comme co-namer pour 3 saisons. Loin d’être un épiphénomène, le co-naming s’implante de manière durable auprès des équipes cyclistes professionnelles.

Si cette prolifération du co-naming est une belle preuve de la puissance du sponsoring cycliste pour une marque, elle est surtout le signe de la grande difficulté des équipes cyclistes professionnelles à trouver de nouvelles sources de revenus face à la domination totale (à la fois financière et sportive) des grosses écuries du peloton et notamment la Team Sky. En effet, il devient de plus en plus difficile pour les managers de trouver un seul sponsor capable d’investir un montant suffisant pour avoir une équipe qui soit compétitive. Cependant, la baisse de moyens financiers voire la possible disparation de la Team Sky à l’issue de la saison 2019 (suite à l’annonce par l’opérateur de télévision britannique d’arrêter le sponsoring cycliste), ainsi que la future réforme du World Tour par l’UCI pourraient bien rebattre les cartes du sponsoring dans le cyclisme et mettre un terme à l’inflation des budgets des équipes professionnelles.

Ce constat pose également la question du retour sur investissement pour ces sponsors titre qui disposent d’une visibilité réduite dans un milieu très fortement concurrentiel (sponsors mineurs, sponsors titre d’autres équipes, sponsor des courses, ambush …)

Des équipes ultra-dépendantes de leurs sponsors qui peinent à survivre

La particularité du cyclisme réside dans le fait que les équipes sont complètement dépendantes de leur sponsor titre qui leur apporte la majorité de leurs revenus (environ 90% des revenus d’une équipe cycliste professionnelle sont issus du sponsoring) étant donné qu’elles ne disposent d’aucun revenus de billetterie et qu’il n’existe pas de modèle de redistribution des droits télé comme c’est le cas dans la majorité des grands sports professionnels. Si la question du business model des équipes professionnelles existe depuis longtemps, il semblerait que celle-ci n’ait toujours pas été complètement résolue, et qu’aujourd’hui les inégalités financières soient de plus en plus fortes entre les équipes du World Tour. En effet, les budgets des équipes sont en constante augmentation ces dernières années, notamment tirés par l’équipe Sky qui disposait d’un budget de 40 millions d’euros pour la saison 2018, et dans une moindre mesure par l’équipe UAE Team Emirates et Katusha-Alpecin. Derrière ces premiers de cordées, le fossé se creuse avec les autres équipes dont certaines ont un budget 3 à 4 fois inférieur à la Team Sky.

Le co-naming apparait donc pour les directeurs sportifs comme une bonne solution pour augmenter le budget de leur équipe et donc d’être en capacité d’aller recruter ou de conserver des coureurs capables de jouer les premiers rôles sur les Grands Tours et les classiques, le salaire des coureurs étant le premier poste de dépense des équipes (environ 80%). Ainsi l’équipe de Marc Madiot, a augmenté de 30% son budget en 2018 à la suite de la signature de Groupama comme co-namer, et celui-ci se rapprochera même des 20 millions d’euros pour la saison prochaine, ce qui lui permettra d’aller rivaliser avec la plupart des grosses écuries du World Tour.

Même l’équipe Quick-Step Floors, pourtant meilleure équipe du monde en 2018 (selon le classement UCI par équipe), s’est vu confrontée à des problèmes budgétaires au cours de la saison 2018. Son manager Patrick Lefevere a remué ciel et terre pour trouver un second sponsor titre pour permettre à l’équipe de conserver ses meilleurs éléments pour la saison prochaine, malgré le départ de Niki Terpstra (24ème au classement UCI en 2018) chez Direct Energie, et anticiper le retrait progressif de son sponsor historique Quick-Step Floors. Si la solution du co-naming apparait donc être un modèle financier plutôt intéressant pour les équipes, quel est son impact sur la visibilité et plus globalement sur le retour sur investissement des sponsors ?

Le co-naming, quelles conséquences pour les sponsors ?

Le cyclisme est souvent considéré comme la « Rolls Royce » du sponsoring sportif, en témoigne les récents chiffres publiés dans une étude du cabinet Occurrence sur la visibilité générée par l’équipe AG2R La Mondiale pour son sponsor éponyme. Si ces chiffres sont à prendre avec précaution sans connaitre la méthodologie utilisée par le cabinet et tant le montant semble élevé, il apparait tout de même intéressant de constater que l’équivalent publicitaire généré par les retombées médiatiques de l’équipe de Romain Bardet en 2018 (106 millions d’euros pour 19 761 retombées) représente 7 fois le montant investi par l’assureur français. Cet extraordinaire « rapport qualité/prix » s’explique d’abord par la visibilité apportée par le Tour de France, 3ème évènement sportif le plus suivi au monde, et par la reprise systématique du naming dans les médias, ce qu’aucun autre asset sportif mis à part la voile ne peut offrir. Ce constat est d’autant plus vrai en France, où la pratique du naming se développe fortement ces dernières années pour des enceintes sportives (AccorHotels Arena, Groupama Stadium, Orange Vélodrome …) mais également au-delà (LDLC Asvel par exemple), mais où les médias ne reprennent pas systématiquement le nom de l’entreprise namer. AG2R La Mondiale, au-delà d’une forte visibilité, bénéficie également de sa fidélité en tant que namer de l’équipe de Vincent Lavenu (sponsor titre depuis 1999), ce qui lui permet de se démarquer en termes de notoriété : 1re marque sponsor associée au Tour de France en notoriété spontanée et la 2e en notoriété Top of Mind en 2017.

Si l’on s’en tient aux retombées médiatiques, le co-naming pourrait les impacter à la fois quantativement et qualitativement. En effet, le mariage de deux noms d’entreprises n’est pas toujours très heureux et peut créer de la confusion (comme par exemple l’équipe belge Lotto-Soudal et l’équipe hollandaise LottoNL-Jumbo). Cela pourrait donc naturellement impacter la qualité des retombées média et l’association à chacun des deux annonceurs. En revanche, d’un point de vue quantitatif, les retombées médiatiques sont fortement conditionnées par la performance sportive, et c’est là que le co-naming pourrait avoir une influence positive. En effet, une équipe avec des moyens financiers supérieurs devrait dans la théorie mieux performer sur les routes, et donc générer mécaniquement plus de retombées. Si cette logique est bien sûr à prendre avec des pincettes, les moyens d’une équipe n’étant pas nécessairement corrélés au nombre de victoires de celle-ci à la fin de l’année (et heureusement !), et d’autres facteurs extra-performance pouvant influencer le nombre de retombées (chute, abandon, affaire extra-sportive …), elle apparait tout de même ne pas être dénuée de sens. En effet, selon une étude menée par Havas Sports & Entertainment, l’équipe cycliste FDJ a généré lors du Tour de France 2017 environ 13 000 retombées média contre environ 23 000 retombées pour l’équipe Groupama-FDJ lors du Tour de France 2018.

Si l’équipe a gagné une étape sur chacune de ces deux dernières éditions du Tour de France, l’édition 2018 a été marquée par la 3ème place d’Arnaud Démarre au maillot vert (4 podiums) et son calvaire dans les Pyrénées pour finir plusieurs étapes dans les délais. Il serait hâtif de tirer des conclusions de cette comparaison, mais à l’aube de la saison 2019, il sera intéressant d’observer avec attention les performances sportives et les retombées médiatiques de ces équipes dont le co-naming a permis d’améliorer la compétitivité financière.

En synthèse :

· Le co-naming, une vraie tendance de fond pour les équipes du World Tour avec 11 équipes sur 18 pour la saison 2019 qui seront soutenues par 2 co-sponsors titre (contre 7 pour la saison 2016).

· Pour les manager d’équipes, le co-naming est une bonne solution pour faire face à l’inflation des salaires des coureurs et donc des budgets des équipes (environ 90% du budget d’une équipe professionnelle est consacrée à la masse salariale) et ainsi pouvoir assurer une compétitivité sportive à leur équipe.

· Pour les marques, le co-naming semble avoir un impact positif sur le nombre de retombées médiatiques puisque celles-ci sont intrinsèquement corrélées aux performances sportives des équipes, mais la qualité des retombées et l’affiliation des co-namers aux équipes qu’ils sponsorisent pourrait bien être altérée par la confusion créée par ces associations et la réduction de la visibilité de ces sponsors titre.

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Delord Jean-Louis

Sport business, marketing, economics, technology and innovation