« Je veux incarner une nouvelle solution » : Grégoire Gambatto, CEO de Germinal

Jerome Uthurry
8 min readAug 13, 2020

Startups : Cheval de Troie de la Silicon Valley ?

Quand j’ai décidé de me lancer dans l’écriture d’un livre à la suite de mon mémoire « Les startups sont-elles le cheval de Troie de la Silicon Valley ? », je me suis dit qu’au-delà de décrypter les startups telles qu’elles ont été pensées, la véritable ambition était de tenter de voir si un nouveau modèle était non seulement imaginable, mais également souhaitable en France.

Et si ce nouveau modèle avait déjà commencé à s’écrire grâce à de jeunes entrepreneurs talentueux ? Comment alors ne pas penser à Germinal, notamment incarné par Grégoire Gambatto et son tracteur 🚜 ?

Le téléphone sonne, je décroche. Grégoire est survolté, comme à son habitude. Il commence à me raconter sa journée comme si j’étais un ami. Sa nouvelle offre, « l’antichambre », ses galères de recrutement, des défis du moment. Au bout de 5 minutes : « Au fait, de quoi tu voulais me parler ? », génial.

S’en suit une discussion sans filtre, particulièrement intéressante, où Grégoire me parle de son expérience. Au passage, il compare ses quelques années de rugby à sa carrière d’entrepreneur « Je n’étais pas très bon, mais j’étais un guerrier, un grand malade. Je me souviens que quand des mecs 2 fois plus gros que moi me fonçaient dessus, et qu’ils voyaient que je courais vers eux comme si c’était moi le titan, ils commençaient à douter ».

Je vous laisse découvrir le contenu de notre discussion :

“Le vrai problème avec les startups, c’est que beaucoup font des levées et paient pour aller plus vite, mais souvent la vitesse n’est pas au rendez-vous !”

Pour toi, une startup, c’est quoi ?

Pour moi, une startup c’est avant tout une boite qui peut scaler, qui peut passer à l’échelle. C’est une boite qui a des coûts fixes très importants, donc qui commence par perdre de l’argent, mais qui a très peu de coûts variables, et donc qui peut exploser quand elle passe la taille critique.

Du coup, elle a un impératif de vitesse car ça demande énormément de cash pour passer ce cap au plus vite. En fait, elle fait le choix de l’accélération comme modèle de développement.

Le vrai problème avec les startups, c’est que beaucoup font des levées et paient pour aller plus vite, mais souvent la vitesse n’est pas au rendez-vous !

Et Germinal, c’est une startup ?

Non, pas vraiment. On est une boite de service au départ. On a fait 1,2 million la première année et 2,3 la deuxième. Mais c’est la direction que l’on prend avec notre nouvelle offre.

Avec le lancement de cette offre (l’antichambre), on est passé de 0 de MRR (Monthly Recurring Revenue, le revenu mensuel récurrent) à 50k en 45 jours, tout ça en construisant le MVP (Minimum Viable Product, la version la plus épurée possible du produit) actuel en 5 jours.

Si on tient nos objectifs, on sera passé de 0 à 250k de MRR en 6 mois. C’est-à-dire 3 ans après la création de la boite, qui faisait au départ de la presta en mode agence.

Mais en réalité, si arrive aujourd’hui à accélérer, c’est parce qu’on a d’abord construit des actifs de valeur qui nous permettent de prendre de la vitesse. Nous, on n’a pas levé de fonds. Donc on s’est d’abord axés sur le service. Ça nous a permis d’apprendre énormément et de construire une véritable expertise, qui forme un actif de grande valeur.

On a également commencé à construire une marque très forte, une équipe, une culture. Ce sont des actifs qu’on a pris le temps de construire et qui nous permettent aujourd’hui d’accélérer. L’accent n’a pas été mis sur l’accélération dès le départ.

Si on était une startup, on aurait commencé par lever des fonds. Et ça, ça nous aurait pris 8 mois. Et parce qu’on n’a pas fait de Grande École, que l’on a pas monté de boite avant, on aurait vraiment galéré.

C’est triste, mais c’est comme ça. Si tu n’as pas fait Grande École, les VCs (Les fonds de Venture Capital, ceux qui investissent dans les startups) sont beaucoup moins intéressés par toi si tu es un primo entrepreneur.

Ensuite, je pense vraiment que même si on avait levé vite, on se serait plantés. Quand tu lèves, tu as trop de cash, et ça ne te fait pas forcément gagner du temps, parce que tu fais de grosses erreurs. Surtout si tu n’as pas d’expérience. Donner trop d’argent à un primo entrepreneur, c’est la meilleure façon de le faire se crasher.

Bref, lever ça peut te faire perdre beaucoup de temps pour obtenir les fonds, et ça n’accélère par forcement ton développement.

“Si une startup prometteuse peut bouleverser leur marché en apportant quelque chose de vraiment nouveau, ils n’investissent pas.”

Pour toi, les VCs, c’est un problème ?

Ce n’est pas un problème en soi. J’ai la chance de recevoir des conseils de quelques VCs, notamment par l’excellent Jean de la Rochebrochard (Managing Partner chez Kima Venture) qui me botte régulièrement le cul. C’est hyper important et ça nous aide énormément. je trouve qu’il y a plus de valeur dans les conseils des VCs que dans leur argent.

Selon moi, en France, beaucoup trop de VCs n’ont que de l’argent à offrir. Et n’arrivent pas à offrir de la valeur sur le reste de leur accompagnement, or pour moi c’est essentiel.

Je pense que c’est dû au fait que très peu de fonds sont montés par des entrepreneurs et que très peu en recrutent.

Et, à côté de ça, on a certains fonds corporates (Les fonds d’investissement de grandes entreprises) qui ne captent pas tous les enjeux du capital investissement. Quelqu’un qui travaille avec eux sur leurs stratégies d’investissement m’a un jour confié que si une startup prometteuse peut bouleverser leur marché en apportant quelque chose de vraiment nouveau, ils n’investissent pas. Ils préfèrent tuer l’innovation dans l’œuf plutôt que de l’embrasser.

On a encore de gros progrès à faire de côté là.

Et au niveau global, on n’a pas de géant européen susceptible de te racheter pour te propulser au plus haut. Aux US, si tu es racheté par un GAFA, tu as des chances que ce soit une rampe de lancement pour faire quelque chose de très grand. En France, je doute que te faire racheter par un acteur du CAC 40 fasse le même effet…

“Sauf que moi, je n’ai pas envie de faire l’Everest. Ce n’est pas mon modèle, pas ma vision”

Tu penses que le modèle startup américain, en particulier celui de la Silicon Valley, est mieux construit qu’en France ?

Maintenant que tu me parles de ton mémoire, c’est vrai qu’on est assez loin des États-Unis. Tu parles du triangle de fer entre la recherche militaire, la recherche universitaire et le secteur privé, on n’y est pas. L’État et l’armée sont désengagées.

Quant aux SATT qui sont sensées avoir ce rôle (les centres de transfert de technologie), c’est très difficile pour elles de faire émerger des grands acteurs européens. Ils veulent transformer des chercheurs en entrepreneurs, plutôt que de transférer la technologie. Sauf que la majorité des chercheurs sont très loin d’être des entrepreneurs… Il y a un énorme travail d’éducation à faire. Elles n’ont pas un rôle facile.

Pour moi, la Silicon Valley, c’est un autre monde. C’est un peu l’Europe en version hardcore. Ils sont allés trop loin. Je ne sais pas si tu connais un peu la randonnée et l’alpinisme, mais pour moi, en Europe on fait des 3 000, on marche sur des crêtes. Aux US, ils font de l’alpinisme. Sauf que moi, je n’ai pas envie de faire l’Everest. Ce n’est pas mon modèle, pas ma vision.

Si on parle des gros, comme Facebook, ce qu’ils font, acquérir tout le monde, c’est sûr que c’est bon pour leur business et qu’ils font souvent exploser les boites qu’ils rachètent. Mais dans certains secteurs, ils sont littéralement en train de détruire la concurrence dans l’écosystème.

Je trouve ça assez dangereux sur le long terme, il faudrait que les lois antitrust fassent enfin effet. Là on est en train de se retrouver dans la même situation qu’avec Rockefeller en 1890. Ce qui est un bon problème cela dit.

“A partir de là, quand tu as basculé, c’est la victoire ou la mort.”

Tu parles beaucoup du tracteur, du modèle différent de Germinal, du « Ne pas lever de fonds, c’est le choix de l’ambition ». Est-ce que tu peux me décrire ce modèle ?

Bien sûr, même si c’est un modèle que je continue à construire !

D’abord, on a créé une boite de service pour créer des actifs forts, en ayant d’emblée pour vision de créer un produit Tech dans le futur.

Le service te permet d’apprendre, de créer une expertise, mais également de dégager du cash pour te financer et te permettre d’aller chercher du financement bancaire.

Ensuite, il faut commencer à recruter pour commencer à créer ton produit en parallèle de la construction de tes actifs que sont l’expertise, la marque forte, l’audience, l’équipe et l’organisation.

Enfin, il te faut commencer à basculer sur un produit purement Tech, avec un potentiel swap d’équipe à faire. A partir de là, quand tu as basculé, c’est la victoire ou la mort.

Au début, tu as l’impression de perdre ton temps. Mais le service, c’est l’apprentissage et c’est l’occasion de t’autofinancer. Si tu ne te fais pas bloquer par le service, tu vas beaucoup plus vite quand tu lances ton produit.

Nous, comme on avait ça en tête dès le début, on s’est tout de suite organisés comme une startup et pas comme une agence, avec un pôle Tech, un pôle Sales, etc… C’est aussi ce qui nous permet de faire la bascule.

Pour l’instant, notre produit, c’est une offre de formation par abonnement, mais c’est un MVP.

La vision à 6 mois, c’est un produit auquel tu plugs tes analytics, on audite tes comptes automatiquement, on te dessine littéralement ton système d’acquisition sous tes yeux, et on te conseille.

Par exemple, on va te dire qu’on pense que ta landing présente tel ou tel problème, et à long terme on te proposera de tout corriger automatiquement.

La vision, c’est qu’on pense que les bons systèmes doivent gagner. Aujourd’hui, ce sont les gros qui gagnent, parce que les autres n’ont pas les moyens. Nous on s’adresse principalement aux PME parce qu’on pense que le growth a les moyens de faire gagner les bons contre les gros.

Avec ce modèle, à 2 ans tu vas beaucoup moins vite qu’une startup, à 3 ans tu la rattrapes et à 4 tu la doubles. Et le tout, sans avoir d’investisseurs, donc en ayant les mains entièrement libres.

“Je n’aime pas qu’on me marche sur les pieds.”

Est-ce qu’il y a des raisons personnelles pour lesquels tu construits ce modèle ?

Oui, la première est très simple et très personnelle (rires). Je n’aime pas qu’on me marche sur les pieds. Et comme je ne veux pas avoir boss, je ne veux pas d’investisseur. Pour moi, c’est avant tout une question d’indépendance !

Ensuite, c’est devenu un vrai modèle. Parce que je pense qu’il y a vraiment quelque chose de nouveau à créer. Petit à petit, je me suis dit que je voulais incarner ça et montrer à tous les nouveaux entrepreneurs qu’il y avait une autre solution que celle de la startup Tech qui cherche à lever des fonds à tout prix.

--

--

Jerome Uthurry

Diplômé d’HEC Paris, après le master X-HEC Entrepreneurs j’ai co-fondé Anomia. J’écris actuellement un livre “Startups : cheval de Troie de la Silicon Valley ?”