Holochain, vers l’intelligence sociale augmentée

Jean-François Noubel
6 min readNov 14, 2018

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Le “Wright Flyer” (1903) que l’on conduisait couché et qui décollait d’une rampe de lancement.

J‘ai une question pour vous : auriez-vous envie de monter dans cet aéronef ? A moins que vous n’ayez la furieuse envie de confier votre vie à un prototype, vous préférerez probablement un appareil maniable et fiable qui intègre les lois subtiles de l’aérodynamique. Vous souhaiterez attendre les innovations qui ont rendu l’aviation possible à l’échelle de l’humanité toute entière.

La blockchain s’apparente exactement aux premiers prototypes des frères Wright. A sa façon, elle a montré qu’on pouvait faire voler un “plus lourd que l’air”. #gratitude. Mais ne nous y trompons pas : la blockchain représente un prototype. Elle n’a jamais eu pour vocation, ni dans sa conception originelle, ni dans ses ambitions, de devenir à elle seule un standard planétaire. Et pourtant, aujourd’hui, tout le monde semble vouloir voler sur le premier aéronef des Frères Wright, pardon, surfer sur la blockchain. Les Etats légifèrent sur la blockchain, les entreprises investissent dans la blockchain, et le monde pense ‘token’ en oubliant que la richesse demande un langage beaucoup plus riche pour pouvoir la décrire et la manipuler.

Bonne chance donc.

Heureusement la R&D avance. Vite même. Je vais ici vous parler d’holochain.

Vers les dApps et les hApps

Holochain représente un framework qui permet de faire tourner des applications distribuées (dApps en anglais, pour distributed applications).

Traditionnellement, les applications (Apps) que nous utilisons au quotidien (réseaux sociaux, Uber, Airbnb, Google Maps, votre email, vos jeux, etc) tournent sur les serveurs de ceux qui les ont créées. Votre appareil (smartphone, tablette ou ordi) se connecte à ces serveurs via un “client”, cette fameuse app sexy que vous téléchargez et installez sur votre machine. Les app(lication)s d’aujourd’hui reposent donc totalement sur un pouvoir central qui décide des règles du jeu, du modèle financier, de l’interface, des évolutions. Je ne développerai pas ici sur leurs dangers et limitations, vous trouverez pléthore d’articles sur le sujet.

Une distributed application ou dApp engage une relation directe de personne à personne, sans intermédiaire. Elle ne se trouve sur aucun serveur central, mais dupliquée à l’identique sur chacune de nos machines (smartphone, ordi…). Une dApp de covoiturage va directement connecter chauffeurs et voyageurs. Une dApp de paiement, permet les transactions directes entre vendeur et acheteur, sans banque entre les deux. Une messagerie distribuée permet à A de parler directement à B, etc.

La blockchain fait ça me direz-vous. Oui et non. Oui, dans son intention initiale, mais la réalité nous offre un paysage beaucoup plus nuancé. La blockchain a besoin de consensus pour fonctionner, tout le monde doit partager la même chaîne de blocs dans un grand livre (global ledger) reproduit à l’identique chez chaque agent. On appelle cela une architecture “data centric”. Ca consomme beaucoup, beaucoup d’énergie et demande beaucoup, beaucoup de bande passante. Cela nécessite du mining pour vérifier chaque transaction et les ajouter à la chaîne de blocs, ce qui a fini par concentrer le pouvoir dans les mains de quelques miners. 80% se trouvent aujourd’hui en Chine, avec quelques très gros acteurs ayant un quasi-monopole sur le marché du mining. Un effet systémique secondaire nommé Effet Pareto que n’avaient certainement pas prévu les aficionados de la blockchain. On se trouve loin de l’idéal distribué

Holochain entre en scène

Holochain permet de coordonner les interactions entre les agents qui utilisent une dApp similaire, et de maintenir l’intégrité de leurs données avec une consommation énergétique et computationnelle marginale. Nul besoin de coûteux consensus global, pas besoin de mining non plus. Par conséquent, pas de concentration de pouvoir à l’horizon, ni de très coûteuses dépenses en énergie. Bienvenu dans l’ère des vraies dApps, ou plutôt des hApps (holochain applications).

Comment peut-on s’entendre sans consensus et sans mining ? Cela vous semble bizarre et utopique ?

Pourtant regardez autour de vous, ou plutôt en vous : votre propre corps. A-t-il besoin d’un “global ledger”, autrement dit d’un grand livre de comptes pour fonctionner ? Chaque cellule a-t-elle besoin d’emmagasiner et d’actualiser chaque microseconde toutes les données et toutes les interactions de toutes les autres cellules ? Bien sûr que non. Dans le cas contraire, vous brûleriez comme un soleil tellement il vous faudrait d’énergie pour produire et administrer toute cette information. (Ca me fait d’ailleurs me demander si le soleil ne vient pas d’une blockchain qui aurait un peu trop réussi…). Rassurez-vous, la nature a imaginé un chemin beaucoup plus économique et efficace pour maintenir l’intégrité des 30.000 milliards de cellules qui vous composent. La nature a inventé avant nous l’approche “agent centric” et sans consensus. Vos 37°C le prouvent.

Agent centric, car comme je vous le disais, holochain se construit à partir des agents : vous, moi, une machine, tout ce qui compose un corps constitué du même ADN ou du même logiciel. On parle d’une approche “agent centric”. La même app se trouve distribuée à l’identique chez chaque agent qui, par conséquent, jouent tous la même règle du jeu. Nos cellules font cela avec le génome, les dApps font cela avec du code logiciel. Dans une approche “agent centric”, on s’intéresse avant tout à la validation des agents entre eux, en pair-à-pair.

Sans consensus, car on n’a pas besoin de distribuer à tous les agents la copie d’un global ledger. Par exemple si nous jouons vous et moi aux échecs, il importe que mon coup s’écrive dans votre chaîne et dans la mienne, pas nécessairement dans les chaînes de tout le monde. Il suffit que nous crypto-signions mutuellement chaque coup que nous jouons. On peut ensuite demander à la dApp de sélectionner au hasard x “notaires” dans la communauté pour signer nos chaînes et vérifier leur intégrité, ce qui prend très peu de bande passante. Puis on distribue tout ça dans une DHT — distributed hash table — pour ne pas perdre les données. Nous avons-là un système qui maintient l’intégrité d’autant de chaînes qu’il y a d’agents.

Les systèmes vivants font cela depuis longtemps, Holochain ouvre la voie vers les applications distribuées, prochaine étape vers l’intelligence sociale augmentée.

Pourquoi utiliser holochain plutôt que la blockchain ?

Je vais ici me contenter de quelques raisons évidentes, même si j’en laisse plein de côté.

La rapidité et le coût marginal

N’espérez jamais faire des dizaines de milliers de transactions ou d’opérations à la seconde avec la blockchain. Même si on espère réduire les coûts et accélérer tout ça avec le sharding et de nouveaux “proof of …”, cela restera toujours structurellement et exponentiellement lent par rapport à un système agent centric.

Nous allons avoir besoin de systèmes dans lesquels des millions d’interactions entre agents s’opèrent chaque seconde. Seul un coût énergétique et infrastructurel marginal peut le permettre. Je pense aux micro-paiements de quelques micro-centimes qui se feront d’agent à agent par milliers chaque seconde sur Holo, un système de partage de puissance informatique disponible en pair-à-pair, tournant sous Holochain.

Je pense aussi à tout ce qui va se jouer dans le domaine de la mobilité qui demande une gestion de flottes de véhicules et de gens en temps réel. Voitures, vélos, trottinettes, camions, et bien sûr personnes, avec autant d’interactions à actualiser chaque micro-seconde : coordonnées GPS, transactions, statuts, réputations, profils, etc.

La Fabrique des Mobilités l’a d’ailleurs bien compris, puisqu’à l’heure où j’écris cet article, elle a organisé à Paris une soirée Holochain et Mobilité le 10 décembre 2018 lors de laquelle j’aurai le plaisir de m’exprimer.

La philosophie et le code

Dans le monde de la blockchain, on exprime la réalité en tokens. Il y a là une sérieuse limitation. Arriveriez-vous à écrire une symphonie avec du morse ? Bonne chance. Alors dites-moi comment exprimer la biodiversité, la joie, la confiance, la beauté, la santé publique, la performance, une expertise, une réputation avec de simples tokens ? Autant de richesses qu’aucune économie tokenisée en Euros ou Bitcoins, peu importe, ne saura exprimer. Nous avons aujourd’hui besoin de fonder une économie holistique et intégrale par un langage plus élaboré que de basiques tokens et coins. Les dApps, et plus encore les hApps, le permettent.

Notre espèce va inventer un nouveau langage. Attendez-vous à ce que dans les années et décennies qui viennent, nous vivions une évolution aussi marquante que l’arrivée du langage ou l’écriture.

La transition de l’Homo sapiens vers l’Holo sapiens a commencé. L’Holo sapiens, local et global, vivant dans une économie intégrative de son environnement, holistique et hologramme de son espèce.

Notes :

(1) GAFAM : Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft

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Jean-François Noubel

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