Le jour où j’ai frappé à la porte d’une psy du travail

Sur le chemin pour éviter le burn-out

Jérémy Freixas
9 min readJul 16, 2021
Je ne me suis pas allongé dans un canapé. J’étais assis dans un genre d’hybride entre la chaise et le fauteuil.

L’année universitaire se termine.
Danse de la joie !
C’est le moment de clôturer les derniers dossiers, de trier sa boite mail et de ranger son bureau.
L’ensemble de mes collègues profs est probablement dans le même délire.
J’ai hâte de commencer la rentrée prochaine en me disant qu’un chapitre s’ouvre sur une page blanche.

Il y a tout de même une sensation éprouvée régulièrement sur l’année que je ne vais pas pouvoir balayer comme ça : l’impression de sombrer progressivement vers l’épuisement professionnel. Il parait que c’est le mal du siècle. On le connait aussi sous l’appellation de burn-out.

L’année a été difficile pour bien des gens. Je pense notamment aux jeunes que j’avais “en face” de moi lorsque je faisais cours en classe virtuelle.
Les images des files d’attentes lors des distributions alimentaires et la succession de témoignages évoquant angoisses, démotivation et sentiment d’abandon ont rendu tangibles ces réalités très diverses, mais qui amenaient au même constat : l’impossibilité de faire comme si cette année pouvait se dérouler “normalement”.

Je ne compte pas dans ce billet compléter ces témoignages.
Je ne peux pas non plus parler de ce qui “causait” cet état. Je ne suis pas sûr d’avoir encore fini de cogiter sur le sujet ;) et d’autres en parlent bien mieux.
Je veux juste laisser une trace quelque part.

Lorsque j’étais vraiment dans le mal, je me suis reconnu dans d’autres témoignages. C’est ce qui m’a permis de comprendre un peu mieux ce qui m’arrivait. Sans compter le regard et l’écoute attentive de proches qui ont su m’alerter sur le fait que je n’avais pas à gérer à cela tout seul.

Je disais donc : je veux juste laisser une trace quelque part.
Une trace qui, si vous êtes en forme, fera peut-être écho à des situations vues dans votre entourage.
Une trace qui, si vous êtes moins en forme, pourra contribuer au travail d’interprétation que vous êtes peut-être en train de mener.

Écouter les signaux d’alerte

Comment arriver à l’épuisement professionnel ? par un subtil mélange de trois ingrédients :

  • La fatigue. La fatigue physique, qui laisse avec une impression de vide une fois la journée terminée. Mais aussi la fatigue mentale/psychique/morale (je vous laisse choisir le mot que vous voulez), qui j’imagine, peut prendre pas mal de formes différentes. Cela peut par exemple être des vagues émotionnelles difficiles à accueillir, où l’on sent qu’il n’en faut pas beaucoup plus pour fondre en larmes. Ou encore la sensation d’effort insurmontable face à des choix, avoir juste l’envie que les choses se décident toutes seules.
  • Le cynisme, la perte de l’humanité dans nos relations aux autres. Là encore, cela peut prendre pas mal de formes différentes. Perte de patience ou d’indulgence lorsque l’on fait face à des contrariétés, avoir du mal à se détacher du négatif voire même anticiper ce qui pourrait mal se passer et commencer à déjà s’énerver, sans arriver à contrôler l’arrivée de ces pensées parasites.
  • La perte de sens, du sentiment d’accomplissement. Les travaux et témoignages concernant les bullshit jobs ont mis pas mal en lumière ce sujet. En étant dans l’enseignement, métier pour lequel on se sent facilement investi d’une mission, je pensais avoir une boussole bien claire. Cela ne m’a pas empêché parfois d’en douter fortement quand je voyais l’état moral des jeunes à qui je donnais cours. A quel point contribuais-je à leur mal-être ? J’ai pu prendre de la distance avec ce sentiment depuis, mais il y a une période durant laquelle j’étais empêtré dans cette idée.

Ce triptyque fatigue - cynisme - perte d’accomplissement peut s’incarner de façon très variable. Difficile alors d’avoir des voyants d’alerte bien précis. Une chose est sûre : une fois le lien établi entre ces trois états, le déclic s’est fait.

Sortir du déni

Avant d’en arriver là, cette fatigue me semblait passagère. Encore quelques semaines, et il serait possible ensuite de faire une pause et de récupérer.
Ce cynisme était lui circonstanciel. Lié à cette période très complexe où il devient impossible de planifier quoique ce soit.
La perte de sens traduisait une exigence trop forte de ma part. Il suffisait juste de se détendre un peu.

Je diminuai la portée du retour de mes proches qui me signifiaient leurs inquiétudes. J’acceptais d’endurer pas mal de choses en me disant que c’était une nécessité. Il n’y avait pas d’alternative.

Percevoir ce lien entre ces trois états, qui probablement s’alimentent les uns les autres, a été le point de bascule pour chercher de l’aide à l’extérieur.
Une oreille attentive à mon boulot. Mon supérieur hiérarchique. Ma médecin généraliste.

Côté travail, je voulais faire passer le message que les temps étaient durs, que j’allais temporairement moins m’investir.
Côté suivi médical, je cherchais une sorte de validation. Je doutais du fait d’avoir le droit d’être aidé. J’avais comme une peur comme me réponde “votre souci finalement, c’est que vous ne savez pas gérer vos problèmes”.

Vous vous en doutez, l’issue a été tout autre. J’ai été invité à contacter des psychologues du travail pour faire le point. La question de l’arrêt de travail s’est ensuite posée. Au début, cela me semblait impossible. Comme pour la plupart des métiers, il n’y a pas vraiment de bon moment pour tomber malade. Je ne me voyais pas partir brutalement, du jour au lendemain. Pas la veille d’un exam. Pas la veille de la fin d’un module où les étudiant-es filaient ensuite en stage. Suite à ce rendez-vous, je savais qu’il y avait comme un parachute, un bouton pause accessible mais je ne me sentais d’y faire appel.

Quand j’ai senti que j’avais suffisamment tenu mes engagements et que la situation devenait de moins en moins tenable, je n’ai plus hésité.

Appuyer sur le bouton pause

Outre la peur des conséquences d’une défection, je ne voyais pas ce qu’un arrêt allait résoudre.

“Un arrêt pourquoi pas. Mais j’appréhende la reprise. Est-ce que ça ira vraiment mieux ?
— L’arrêt va surtout servir à refaire le plein d’énergie. Cela peut changer pas mal de choses.
— Ok, mais je fais quoi pendant cet arrêt ?
— Faites des choses qui vous plaisent.”

Ça parait con, mais cela a très bien marché. Deux semaines d’arrêt et une semaine de congés sans emploi de temps, sans avoir besoin de contrôler grand chose. Peu à peu, je me suis senti un peu comme une boule de papier qui se défroissait : le vie reprenait sa place.

En parallèle, on a donc commencer à se voir régulièrement avec une psychologue du travail. Je dois admettre que je ne savais pas trop à quoi m’attendre en y allant. La situation était un peu cocasse : j’ai passé une bonne partie de l’année à inciter des étudiant-es à solliciter un soutien auprès de la psychologue partenaire de l’établissement où je bosse. Je me rendais alors compte à quel point cette démarche n’était pas naturelle, confortable.

Nous avons échangé pendant environ cinq heures durant 4 semaines. Je n’avais pas de devoirs à faire entre chaque séance, je n’ai pas vraiment appris de truc pratique ou de méthode de résolution de problème. Ces discussions ont été l’occasion de faire des liens entre des événements, de se rendre compte de la récurrence de certains questionnements, de formuler plus clairement des aspirations.

Je n’ai pas fouillé mon enfance : le point de départ de nos investigations a été mon entretien d’embauche.
Je retiens de cette expérience la chance d’avoir eu à mes côtés une personne au regard aiguisé pour m’aider à démêler les choses, à me réapproprier une histoire récente allant trop vite, à identifier des questions à mieux définir pour explorer la suite de ma vie professionnelle.

Défroissé, équipé de nouvelles boussoles, j’étais prêt à repartir. Et à me rendre compte que le monde avait bien continué de tourner sans moi.

Rebondir ?

Un autre effet inattendu de l’arrêt : voir les langues se délier. Durant cette période, des personnes plus ou moins proches m’ont partagé aussi leurs moments de creux liés au travail. Cela a pu être parfois intense et a demandé des années pour “rebondir”.

Comme pour toutes les autres étapes, l’entourage joue un rôle clé, pour les raisons déjà évoquées.

Je ne suis pas sûr que rebondir soit synonyme de “revenir comme avant”.
Par exemple, dès que je vois les engagements s’accumuler dans mon agenda, je ressens assez rapidement un stress que je n’avais pas forcément avant.
Mais ce n’est pas si mal, parce que ce travers de vouloir optimiser la moindre minute et de remplir mes journées a pu jouer sur l’accumulation de la fatigue.

Pour prendre une comparaison dans l’air du temps, cet épisode m’a peut-être fait gagner des “anticorps psychiques”. Je suis encore dans la période où parfois je surréagis face à certaines situations, de peur de refaire les mêmes erreurs. J’imagine qu’il faut continuer d’apprendre à formaliser ses limites.

Chacun chacune aura sa façon de rebondir.
J’ai convoqué ma curiosité !
J’ai envie de faire en sorte que mon activité professionnelle soit un endroit favorable à une dynamique d’apprentissage :

  • Cela permet de prendre de la distance avec certains “désagréments”,
  • de rendre plus délibérées les quelques marges de manœuvre à ma disposition,
  • d’avoir des axes pour guider ma projection dans les années qui viennent.

Cela se traduit concrètement :

  • Comme dans tout boulot, il y a des choses peu stimulantes. Autant passer vite dessus et réserver son énergie pour ce qui vaut la peine. Ce que l’on peut résumer par le fait de choisir ses combats.
  • J’ai la chance d’avoir pas mal de libertés, par exemple sur la mise en œuvre de mes enseignements. C’est le genre d’actions où je peux aller m’arranger pour rester en posture d’apprentissage. Concevoir un exam autrement, revoir sa vision du cours magistral, etc.
  • Impossible de tout faire en même temps. Étaler toutes ces questions sur ces années qui viennent permet de voir les choses sur la durée et de voir comment cela peut se combiner avec des formations, des conférences, des groupes de travail avec les collègues, etc.

En ces temps incertains, ce n’est pas du luxe ;)

Entendons-nous bien, je n’ai pas été en burn-out.
En vrai, je ne sais pas comment il est possible d’évaluer les marges restantes avant d’y être. Cela demande de la clairvoyance sur son état moral et physique, mais aussi l’humilité de se dire qu’on ne peut pas y faire face sans appuyer sur le bouton pause, sans reconnaître qu’on n’est pas bien, sans s’entourer.

Malgré tout, cela n’a pas été facile, et cela reste encore dur par moments. J’admire le courage et la force de celles et ceux qui ont dû revenir de loin.
Et je me souhaite de garder, voire de développer, cette écoute de moi-même pour ne pas replongler.
Je vous le souhaite aussi !

Si vous en avez l’envie/le besoin, quelques ressources complémentaires que je peux vous conseiller :

Parmi ces ressources, vous trouverez des contenus plutôt orientés développement personnel.
Pour être honnête, ce n’est pas forcément le genre de contenus que j’avais l’habitude de lire/voir/écouter auparavant. J’y ai trouvé de belles réflexions sur la façon de gérer les choses à l’échelle individuelle.

J’ai envie de garder en tête que ces situations de détresse existent aujourd’hui aussi pour des raisons qui nous dépassent, liées aux organisations dans lesquelles nous évoluons. Cela demande aussi des réponses collectives.
Ce que m’ont aussi appris ces derniers mois, c’est qu‘il faut d’abord se sentir fort-e à l’échelle de l’individu pour se sentir fort-e dans un groupe.

Vouloir tout donner pour soutenir une cause, c’est prendre le risque de se cramer pour ne plus être capable ensuite de maintenir son effort dans la durée.

Cela peut arriver, mais j’ai envie de croire que ce n’est pas une fatalité !

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Jérémy Freixas

Bisounours enragé | Enseignement sup, recherche, microélectronique/matériaux | Elément perturbé chez les @Les_Vulgaires | Squatteur du @labodessavoirs | Nantes