L’université française est-elle merdique ?

Indice : non.

Jérémy Freixas
6 min readDec 20, 2017
Allégorie du doute

J’ai une drôle d’impression : parlerait-on de l’Université (comme institution) uniquement dans des circonstances peu favorables ? Le tirage au sort lors de la procédure Admission Post Bac 2017, l’échec des étudiants de licence, les campus vieillissants, etc.

Cette image colle-t-elle à la réalité ? Petit tour d’horizon en 5 idées reçues.

Le taux d’échec en première année de licence est tout de même énorme

Ce chiffre fait en effet peur : environ la moitié (voire moins en fonction des années) des étudiants accèdent en L2 après leur L1. Mais ce que l’on classe dans la catégorie “échec” recouvre en fait des réalités très disparates.

D’après la page Facebook Viede Thesarde (https://www.facebook.com/viede.thesarde)

Ce qui manque à l’Université, c’est de la sélection ! Les étudiantes et étudiants qui y vont le font par défaut et ne sont pas intéressés par ce qu’ils y font.

Cela correspond peut-être à quelques cas. Mais quand on regarde le fameux “taux d’échec” des étudiants sur des filières sélectives (comme les classes préparatoires), on voit qu’il est loin d’être inexistant.

D’une moindre mesure, mais tout de même important. D’après les auteurs de L’Université n’est pas en crise, le taux d’abandon en prépa était en 2008 de 33%.

Les étudiants sont mal orientés. On fait bien de supprimer Admission Post Bac (APB) et de passer à un système plus humain.

Nous pouvons tous comprendre la frustration des étudiants qui se sont retrouvés sans affectation. Mais avant de jeter APB avec l’eau du bain, regardons juste les chiffres :

  • 808 000 inscrits au début de la procédure pour 654 000 places dans les formations gérées par APB
  • À la fin, 87 000 concernés par le tirage au sort, soit 10,7% d’insatisfaits

Bien sûr, il ne s’agit pas juste de statistiques mais bien de personnes. Encore une fois, je ne vois pas comment un autre classement, même tenu par un humain, pourrait résoudre ce problème de places insuffisantes ou de mauvaise orientation.

Ce constat est reconnu par Cédric Villani, député de la majorité, dans un article du Monde du 6 décembre :

le logiciel en lui-même n’a rien à se reprocher : aucune ­erreur notable de programmation, aucun abus de pouvoir des programmeurs. Comme le dit le rapport incisif de la Cour des comptes d’octobre, “ces défauts ne sont pas techniques mais relèvent de dispositions juridiques et de décisions politiques”

Il s’agit d’un véritable problème de fond et non lié à une méthode de classement.

De toute façon qui a envie d’aller étudier à l’Université ? C’est la galère pour trouver un boulot ensuite.

Là, il faut admettre que c’est un peu vrai. Ainsi, en 2017, 86,5% des étudiants et étudiantes sortant de grandes écoles ont un emploi dans les 6 mois qui suivent la fin de leurs études.

L‘insertion professionnelle est très bonne aussi après une formation universitaire, mais elle se fait sur un temps plus long. Voici les chiffres de 2014 :

Source : Portail OpenData du ministère de l’ESR

Les universités à l’étranger font beaucoup mieux. Il n’y a qu’à voir le classement de Shanghai.

Quand on regarde le budget par étudiant et par année scolaire dont disposent les prestigieuses universités de ce classement, on voit que les universités françaises ne font pas le poids.

Il y a trois réactions possibles en face de ce classement :

  • réclamer une hausse de la dotation de l’État par étudiant
  • réclamer une hausse des frais d’inscriptions
  • n’en avoir rien à faire

Les auteurs de L’Université n’est pas en crise nous rappellent aussi que :

dans les pays de l’OCDE, en 2008, le nombre d’étudiants ne terminant pas leurs études dans le supérieur est en moyenne de 30%, pour environ 20% en France, en quatrième position sur 25, très loin devant les États-Unis ou l’Italie, bons derniers avec respectivement 65% et 70%

Ce billet ne se veut pas exhaustif : le but est de montrer que bien des idées reçues sur l’enseignement universitaire en France sont exagérées voire fausses.

Après, ne soyons pas non plus naïf : il y a beaucoup à faire si l’on veut améliorer la situation.

Or comme le disait la ministre de la recherche (lorsqu’elle était amenée à répondre sur les coupes budgétaires annoncées cet été) :

La question est donc : quel objectif pour l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) en France ?

Chaque année, le classement donné par l’INPI place le CNRS (et d’autres organismes de recherche comme le CEA) dans le top10 des entreprises déposant des brevets.

En 2015, François Hollande annonçait qu’il souhaitait voir 60% d’une classe d’âge diplômée du supérieur.

Si l’objectif est d’avoir une recherche vive et des effectifs à l’université nombreux, il va falloir y mettre les moyens, c’est-à-dire embaucher des gens pour y faire de la recherche et y enseigner.

Malheureusement, les moyens mis en place ne correspondent pas aujourd’hui à cet objectif. Il n’y a même pas suffisamment de places pour tous les étudiants à qui on annonce qu’ils peuvent faire des études supérieures.

A partir de là, il y a deux façons de faire.

La première étant : ne pas augmenter les moyens de l’ESR (pour tout un tas de raisons que je peux entendre). L’université ne pourra plus garantir, comme c’était le cas jusqu’à aujourd’hui, une place à tous.

A l’inverse, nous pouvons aussi choisir de garder cet idéal d’universités ouvertes à toutes et à tous.

Je ne suis pas là pour dire laquelle est la mieux (même si vous vous doutez de ce que je pense).

Mais bien pour mettre en avant que si l’on choisit de ne pas augmenter les moyens de l’Université (ce qui est la direction que semble pendre le Plan Étudiant voté hier à l’Assemblée), il faudra être vigilant à trois choses :

1/ ne plus diffuser ce discours de “méritocratie” affirmant que quiconque travaille pourra faire les études qu’il souhaite : ce sera dans la limite des places disponibles, avec des critères que nous devrions alors ensemble déterminer

2/ lancer le débat sur les thématiques de recherche financées : après tout, il s’agit de nos impôts ! moins de financement = nécessité de choix dans les axes de recherche. Qui doit choisir ? Le risque est de voir une recherche financée uniquement sur des problématiques court-termistes et/ou support d’opérations de communication politique, et d’avoir certains sujets censurés

3/ arrêter de casser les gonades des universitaires sur l’excellence de leur recherche : à financement limité, et à temps sans cesse grignoté par des responsabilités administratives et support, les travaux avanceront quand ils auront fini de traiter tous les dossiers d’étudiants souhaitant étudier à la fac

Pour aller plus loin

La non-augmentation des effectifs de l’université et du CNRS pour 2018 : http://huet.blog.lemonde.fr/2017/10/08/budget-de-la-recherche-2017-la-verite-est-dans-le-bleu/

Le Plan Étudiant décrypté (bon d’accord, c’est plutôt à charge) : https://www.facebook.com/viede.thesarde/posts/1435056456591579

L’Université n’est pas en crise (et le titre n’est pas ironique cette fois-ci) : http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article7755#nh2

Entretien donné par le créateur d’APB : http://www.lemonde.fr/campus/article/2017/12/05/parcoursup-qui-succede-a-apb-risque-de-creer-du-stress-continu-pour-les-candidats-et-leurs-familles_5224705_4401467.html

Déclaration de conflit d’intérêt

J’ai formulé ma liste de voeux en 2008 sur Admission Postbac (#nostalgie)
J’ai fait le combo prépa + école d’ingénieur (#sélection)
Je travaille maintenant (en CDD) à l’Université (#jugeetpartie)

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Jérémy Freixas

Bisounours enragé | Enseignement sup, recherche, microélectronique/matériaux | Elément perturbé chez les @Les_Vulgaires | Squatteur du @labodessavoirs | Nantes