Les femmes: le sexe faible de l’e-sport

JeanBaptiste Caillet
6 min readOct 30, 2015

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Tenir une manette ou taper sur un clavier est à la portée de tous, rien ne sert d’être plus grand, plus fort ou plus agile. Le sport électronique serait donc le sport idéal pour franchir le cap de la mixité et voir hommes et femmes concourir à armes égales. C’est pas gagné.

La Paris Games Week accueille la première édition de la Coupe du Monde féminine du jeu League of Legends (J-B.C.)

L’e-sport, c’est le phénomène vidéo-ludique du moment. Contraction de “sport électronique”, ce terme désigne l’ensemble des compétitions au sein d’un jeu vidéo. Avec la démocratisation de l’internet haut débit et du streaming, la discipline connaît un développement fulgurant. En l’espace de dix ans, il a repris tous les codes du sport professionnel pour devenir une machine de divertissement populaire et lucrative.

Aujourd’hui les tournois les plus importants rapportent autant que des grands chelems de tennis. Certains joueurs ont déjà amassé plus d’un million de dollars grâce à leurs jeux vidéos fétiches. On compte dix millionnaires grâce à l’e-sport, mais n’espérez pas y voir de femmes. Seuls deux joueuses figurent parmi les 500 e-sportifs les plus riches. Une sous-représentation logique tant les femmes ont du mal à exister sur la scène e-sport.

Entraînement, compétition et interview. A la Paris Games Week, les joueuses vivent le quotidien de tout pro de l’e-sport.

Pour y remédier, l’ESWC (Electronic Sports World Cup) qui chapeaute une grande partie de l’e-sport mondial a lancé lors de la Paris Games Week (28 octobre-1er novembre) la première Coupe du Monde de League of Legends (Lol) exclusivement féminine. Huit équipes de cinq joueuses vont s’affronter pour un prix de 25 000$ sur un des jeux vidéos les plus joués au monde. L’ESWC ne le cache pas, ce tournoi fait office de discrimination positive pour mettre en avant la scène féminine sur Lol.

“Nous sommes capables de faire du beau jeu”

Mid0na, capitaine des UnKnights Ladies

Sur la scène ESWC de la Paris Games Week ce jeudi 29 octobre, ils sont un bon millier à assister au dernier match de qualification des Françaises de unKnights Ladies contre les Polonaises de XenoDragons. En une petite heure (voir vidéo ci-dessous). Après trois jours de compétition, les tricolores ont aisément obtenu leur place pour la finale de la Coupe du Monde. “L’équipe a seulement deux mois donc c’est très satisfaisant,” estime Mid0na, capitaine de unKnights Ladies.

La jeune femme de 25 ans joue à League of Legends depuis près de quatre ans. Lorsque le tournoi féminin a été annoncé, Mid0na a fait le tour des forums pour réunir une équipe compétitive. “C’est l’occasion de mettre le jeu féminin en avant. Ce tournoi fait parler, en bien ou en mal, mais ça nous permet de montrer que nous sommes capables de faire du beau jeu.” La non-présence des femmes dans les autres tournois de Lol, en principe mixte, n’étonne pas l’e-sportive. “Il n’y a que 10 % de joueuses sur Lol, donc pour trouver une très bonne joueuse, on trouve neuf très bons joueurs. »

Mais la statistique n’explique pas tout. Parmi les 500 joueurs les mieux rémunérés sur League of Legends, il n’y a pas la moindre femme. Il s’agit d’un problème de crédibilité selon Mid0na qui constate le sexisme ordinaire au sein du jeu: “Si jamais une joueuse commet une erreur lors d’une partie, ses partenaires vont mettre cette faute sur le fait qu‘elle n’est pas un garçon.” Ce genre de remarque stigmatisante, beaucoup de joueuses y font face. Certaines y échappent en adoptant un pseudo à consonance plus masculine, mais dans le cas contraire, les phases de jeu peuvent virer au harcèlement. “Je me fais souvent emmerder, explique Jennifer, 21 ans et amatrice de jeux en ligne. Des joueurs réclament mon numéro ou mon adresse, mais dans ce cas là, je les bloque.

“C’est débile de ne pas mixer les équipes!”

Lucas, Ophélie et Mélanie ont sorti le costume de leurs personnages préférés dans League of Legends (J-B.C.)

Dans les jeux d’équipe comme League of Legends, on s’interroge sur l’absence d’équipes professionnelles mixtes. Lucas, Ophélie et Mélanie sont tous les trois des passionnés de Lol, ils jouent ensemble régulièrement et ont fait le déplacement à la Paris Games Week avec un cosplay de leurs champions favoris. Ils ne comprennent pas l’absence de mixité au sein des équipes. “Il y a des femmes qui sont au niveau mais elles ne jouent pas avec les mec en pro, c’est débile de ne pas mixer les équipes!” s’insurgent les deux adolescentes. Leur ami ne sait pas trop quoi penser de cette séparation: “Comme il n’y a pas d’écart physique, peut-être qu’à terme, ça permettra de réduire le fossé garçons/filles.

La Paris Games Week 2015 rassemble près de 300 000 visiteurs sur cinq jours. (J-B.C.)

Joueurs et joueuses ne voient pas tous la mixité au sein des équipes comme la solution idéale. “Une ou deux filles dans une team pose problème au niveau de l’entente dans l’équipe. Si des couples se font et se défont, ça va partir en clash”, estime Jennifer. Même son de cloche pour Arnaud, 22 ans, qui pense aussi que la mixité peut être source de zizanie. “Hors du jeu, s’il y a des problèmes entre les joueurs, la cohésion dans le jeu en pâtit.” Mid0na a déjà eu vent de ces critiques, mais pour elle, l’argument n’est pas valable: “Les tensions dans une équipe, ça existe, peu importe la composition.

“Elles n’arrivent pas à s’imposer contre des hommes”

Sur la scène e-sport de la Paris Games Week, une fois la page de la Coupe du monde féminine de League of Legends terminée, les hommes reprennent l’estrade à leur compte. Pour la finale de la Coupe du monde de Shootmania, un jeu de tir français, deux trios exclusivement masculins s’opposent. Le public se masse pour suivre les exploits d’Aera eSport. La star de cette équipe, c’est SoOn alias Terence, 21 ans et déjà triple champion du monde de la discipline.

SoOn, triple champion du monde de Shootmania

Pour le jeune homme, si les femmes ne jouent pas dans la même compétition que les hommes, c’est tout bonnement une question de niveau. “Elles n’arrivent pas à s’imposer contre des hommes”, estime SoOn. L’e-sportif cite en exemple un tournoi professionnel d’un autre jeu de tir, Counter-Strike Global Offensive: “L’organisation a accordé deux invitations à des équipes féminines, elles ont fini dernières de la compétition.

Plusieurs joueuses ont su percer

Pour SoOn, cet écart de niveau entre homme et femme ne tient qu’à un plafond de verre.“Le jeu vidéo et l’e-sport donnent l’image qu’ils sont réservés aux mecs, il est difficile de s’aventurer dans un milieu qui ne te semble pas destiné.” Le champion d’e-sport affirme clairement que “sans ce cliché, les femmes auraient le même niveau que les hommes”. L’univers du jeu vidéo subit régulièrement des attaques sur son machisme. Le plus souvent, les personnages ou les scénarios ciblent avant tout les fantasmes des jeunes hommes avec des prises de position qui peuvent rebuter le sexe opposé.

Les blockbusters du jeu vidéo attirent principalement une audience mâle. (J-B.C.)

Remporter la bataille de la mixité reste envisageable. Plusieurs joueuses ont su percer dans ce monde masculin, généralement dans des jeux où il n’y a pas d’équipe comme les jeux de combat (Dead or Alive, Soul Calibur) ou de stratégie (Starcraft II). Les initiatives présentes à la Paris Games Week comme la Coupe du monde féminine de League of Legends ont le mérite de générer des financements pour l’e-sport féminin, et donc de pousser les plus ambitieuses à poursuivre dans cette voie. Le milieu du sport électronique est encore jeune. La discipline va s’ouvrir à de nouveaux jeux dans lesquels des opportunités se présenteront. C’est donc loin d’être game over pour l’e-sport féminin.

Jean-Baptiste Caillet

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JeanBaptiste Caillet

Journaliste. Étudiant @ipjdauphine. Intéressé par le sport, les médias et les cultures numériques.