Follow back please

Joffrey
7 min readFeb 24, 2018

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Lorsque j’ai créé un compte Twitter en juin 2007, on y décrivait généralement à la 3e personne ce que l’on était en train de faire, là, tout de suite, de manière désintéressée, sans but, sans conviction, sans peur de devoir supprimer quelques minutes après sa blague douteuse qui, de toute façon, n’aurait pas eu de conséquence sur sa vie réelle. C’était innocent, facile, et 140 caractères suffisaient amplement à exprimer son humeur à une époque où les smartphones étaient encore au stade d’embryons, que les SMS pour mettre à jour son statut étaient facturés à l’unité par les trois opérateurs historiques, et que le “Web 2.0” était sur toutes les lèvres.

Aujourd’hui, les choses ont bien changé, et Twitter aussi. Si reddit se targue d’être the front page of the internet, que les trendings de YouTube sont quotidiennement sur le devant de la scène, et que Facebook reste un incontournable, mêlant vie privée et publications sponsorisées d’articles scandaleux de cette page likée en 2009 suite à l’invitation d’un ami qui avait alors la plus grande ferme de FarmVille, Twitter est devenu la vitrine officielle des tendances locales et mondiales. La démocratisation d’Internet grâce aux téléphones portables présents désormais dans la main de chacun, cet afflux massif de Millennials et de seniors, lui a conféré ce rôle, cette responsabilité. On y partage maintenant plus qu’une simple photo floue hébergée sur TwitPic ou le dernier article de son blog. Place désormais aux déclarations officielles de politiques, aux mèmes, aux règlements de comptes, à la dernière vidéo récupérée d’un screencast pixelisé de Snapchat, à l’indignation constante sous forme de threads et reaction GIF, à la dépêche AFP qui émeut, au 10 000e retweet du trait d’humour de cet illustre inconnu, ou encore à son coup de cœur musical. Bref, Twitter est devenu indispensable. Mais Twitter est devenu toxique.

Dans ce besoin permanent de partage entremêlé d’altruisme, d’expression de soi, biaisé par notre société ultra-connectée, tous n’ont pas perdu leur charme originel. Instagram, avec ses 800 millions d’utilisateurs actifs mensuels (septembre 2017), a su évoluer avec son temps et devenir le refuge de beaucoup, ne serait-ce que le temps de faire machinalement une dizaine de likes avec son pouce double-cliquant plus vite que sur le dernier cookie clicker en date, avant de finalement retourner là où les choses se passent.

Si Instagram fait régulièrement l’objet d’articles dans les plus grands médias souhaitant dénoncer que son attrait manifeste n’est pas aussi rose qu’il n’y paraît, comme par besoin maladif de rappeler l’évidence-même que la réalité n’est pas qu’une jolie photo surexposée et encore que l’achat de followers est monnaie courante, il reste néanmoins l’un des seuls réseaux où l’on peut souffler un instant dans sa propre bulle de filtres.

Alors oui, ici aussi la tyrannie du like et de ces nombres superficiels censés refléter la popularité de quelqu’un sont de la partie et viennent gâcher la fête. Oui, l’algorithme importé par Facebook, qui a par la même occasion tué le célèbre anté-chronologisme du feed, porte préjudice à l’instantanéité, la spontanéité qui font d’Instagram un havre d’honnêteté bien qu’édulcorée. Aujourd’hui, il n’est plus question d’y partager en quelques clics la photo carrée de son burger à la brasserie du coin et d’y appliquer un filtre questionnable pour récolter les commentaires envieux de ses amis, mais bien de glorifier l’esthétisme de sa vie, aussi basique soit-elle, quitte à l’exagérer.

On y observe ainsi plusieurs tendances, plusieurs façons d’utiliser son profil. Du traditionnel lurking, au partage candide de ses photos de vacances avec sa sphère privée, en passant par la recherche du spot parfait en Islande déjà photographié des centaines de milliers de fois sous le même angle, de la performance, du taux d’engagement qui permet de s’auto-proclâmer influenceur pour ensuite exhiber fièrement sa montre Daniel Wellington offerte gracieusement contre 3 photos et 5 hashtags, chacun y voit sa façon d’être en apparence unique, ou en tout cas fier de l’esthétique de sa galerie, la sienne, à soi. C’est ce format, cette grille de photos, qui satisfait notre égo et nous encourage à partager toujours plus.

Et la photo justement, parlons-en. Si Twitter a depuis bien longtemps multiplié ses vecteurs de communication en s’affranchissant du texte uniquement, tout en doublant sa limite de caractères, remettant de ce fait en question l’effort de concision auquel nombre de ses utilisateurs étaient attachés, Instagram ne mise que sur la photo et la vidéo — bien que parfois agrémentées de texte, notamment via les stories. Et il n’y a aucun doute à avoir : les mots ont du pouvoir, beaucoup. Mais la photo surpasse les mots. De nos jours, on ne fait plus tirer les photos de son argentique jetable ni même celles de son compact numérique à 3 millions de pixels sur la borne du supermarché du coin et qui allait révolutionner sa façon de se créer des souvenirs… Et ce, depuis l’avènement du smartphone. Plus pratique que son gros DSLR, constamment en main ou dans une poche, prêt à être dégainé, le téléphone portable a permis cette tendance consistant à photographier tout et n’importe quoi, rendant sa bibliothèque photo plus grosse que toutes les cartes SD qu’on a pu avoir jusqu’alors. Et qui peut prétendre trier suffisamment régulièrement ses innombrables clichés pour n’en garder que le meilleur, à une ère où le cloud repousse toujours plus les limites du stockage ? Des souvenirs, on en a donc à la pelle, trop même ; mais des albums photo, certainement plus autant qu’avant.

Sans partage, une photo, aussi personnelle soit-elle, n’est bonne qu’à se rappeler égoïstement quelque chose que l’on a vécu, dont on veut se souvenir, pour ne pas oublier, pour la mélancolie que celle-ci procure. Mais le vécu appelle le partage. Que ce soit avec un cercle très privé d’amis ou à la vue de tous, un instant figé à tout jamais dans une photo provoque d’autant plus d’émotions à son public qu’une déclaration éphémère sur Twitter, y compris à travers les âges. Une photo continue de vivre éternellement, même enfouie parmi 500 autres clichés de son chat.

Instagram est devenu le moyen de créer ces albums photo. En quelques clics, nos proches comme le monde entier peuvent vivre par procuration l’instant présent, voir à travers nos yeux, voyager, partager un instant personnel. Même idéalisée, retouchée, et sortie de son contexte, la photo montre une utopie dont on veut se souvenir. Et dans un monde où l’apparence est reine, Instagram n’en est qu’une hyperbole. La vérité est toujours exagérée pour paraître plus vraie que nature, pour susciter l’étonnement, l’admiration, la reconnaissance, que ça soit lors d’une discussion autour d’un verre ou bien sur Internet, car l’humain aime se vanter, attirer l’attention sur lui. Et quoi de plus satisfaisant que de voir son œuvre, son récit, acclamé par les likes et commentaires de personnes dont on prétend habituellement et lorsque ça nous arrange n’avoir que faire de leur avis ?

Cette réflexion inconsciente s’inscrit dans une démarche belle et intentionnée, même salie par du marketing outrancier et cupide qui parfois ronge la démarche initialement honnête. Lorsqu’une personne partage une photo d’elle, que ce soit un selfie dans le miroir de la salle de sport après 3 séries de squats ou bien son smoothie consciencieusement mis en scène à côté d’une plante succulente sur un plateau de marbre, elle exprime cette envie de paraître, motivé par un bénéfice commun pour l’auteur comme le spectateur : l’émotion provoquée. D’ailleurs, la volonté de ne faire que du beau (tout aussi subjectif soit-il) n’est pas une généralité, le terme “beau” désignant ici le désir de transmettre quelque chose, et accessoirement se rassurer soi-même. Tout comme quelqu’un qui tente d’arrêter une addiction ou se remet en question ressentira le besoin d’en parler autour de lui, pour être validé et encouragé, une photo sur Instagram aura le même effet, celui de trouver du réconfort dans ses actes, des encouragements, du soutien, voire des félicitations.

Que l’on ne fasse que suivre ses blogueuses mode favorites pour y dénicher son prochain outfit of the day, des aventuriers anonymes qui campent une semaine à Yosemite et donnent l’impression de voyager toute l’année entre des plages blanches et le lac Moraine, ou bien ces personnalités dont on se sent plus proche avec les extraits de leur quotidien, tout le monde n’a pas pour vocation de remplir son profil de clichés parfois trop… clichés. On se construit simplement son idéal, pour rêver, se faire rêver.

Instagram m’a donné envie de voyager, m’a rendu curieux, m’a poussé à sortir de chez moi, à découvrir le monde, la nature, la ville, les gens. J’aurais pu avoir le même déclic avec Flickr ou 500px, ou même devant un documentaire de National Geographic. Mais c’est grâce à son apparence superficielle que beaucoup critiquent, et surtout son accessibilité, qu’Instagram m’a donné goût à l’aventure, à ma façon du moins. J’ai repoussé certaines de mes limites, dépensé mes économies pour concrétiser mes rêves et avoir ne serait-ce qu’une belle photo, la belle photo, celle que je serai fier d’exposer ensuite sur mon profil. Mais est-ce vraiment un mal ?

Merci de m’avoir lu, j’espère que ce premier article vous a plu. Vous pouvez bien entendu me retrouver sur Instagram, partager cet article si ça vous dit, et m’envoyer vos éventuels commentaires sur Twitter.

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