Grand prêtre de l’innovation cherche étudiants crédules

Jonathan Sabbah
3 min readApr 15, 2017

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De la douceur des sciences dures à la dureté des sciences molles

J’ai eu la chance de faire des études d’ingénieur. Pendant cinq ans, j’ai baigné dans l’immensité des Mathématiques. Le royaume de la rationalité, un monde où tout est absolu, tout est vrai, sans interprétations possibles. Contrairement aux médicaments homéopathiques ou au communisme, les maths, ça fonctionne. À tous les coups. Même si l’on n’y croit pas. À Lyon ou sur Mars. Au Moyen-Age ou dans mille ans. On aura toujours 2+2=4 (sauf chez les relativistes, mais on y reviendra).

Quand on vient de cette bulle de perfection scientifique, on est tenté de tout voir à travers la logique formelle mathématique. En rentrant en école de management, un peu plus tard, j’ai vite compris que la rationalité n’était pas la norme, loin de là. À ma (naïve) surprise, j’ai réalisé que le monde réel avait plus à voir avec la ruse, la tromperie et la séduction qu’avec l’argumentation rationnelle.

Le master que j’ai suivi était différent des autres, il était original dans sa catégorie. Il ne sentait pas l’ingénieur en reconversion comme les autres masters spécialisés plus classiques. Il mettait l’accent sur l’innovation, un concept si flou que chacun peut y trouver ce qu’il y cherche.

Grand prêtre de l’innovation cherche étudiants crédules

Il y a de cela quelques années vivait un directeur d’école qui aimait par-dessus tout les programmes d’études novateurs. Il en collectionnait des dizaines.

Un beau jour, un professeur charismatique arriva dans le vaste bureau du directeur. Ce professeur jouissait d’un grand prestige dans le monde de l’innovation. Il prétendit pouvoir mettre au point un programme d’étude si novateur que seuls les sots ne le comprendraient pas. Il proposa au directeur de le lancer pour la rentrée prochaine. Le directeur pensa que ce serait formidable pour l’image de l’école et lui donna le feu vert. Le professeur charismatique se mit alors au travail.

Quelques mois plus tard, le directeur, curieux, vint voir où en était le programme. Il ne comprit rien à rien. Et pour cause, il n’y avait réellement rien à comprendre. Honteux, il décida de n’en parler à personne puisque personne ne voulait d’un directeur sot. Il envoya plusieurs professeurs inspecter l’avancement du programme. Ils ne comprirent pas plus que le directeur, mais n’osèrent pas non plus l’avouer, de peur de paraître imbéciles.

Toute l’école parlait de ce programme d’étude extraordinaire.

Un jour, le professeur charismatique exposa les travaux de ses étudiants aux autres étudiants et au directeur. Chacun prétendit comprendre et admirer les travaux, ainsi que le programme d’étude. Chacun loua ce grand professeur.

Jusqu’au moment où un ingénieur ouvrit la bouche : « Mais il n’y a rien à comprendre ! » Puis beaucoup d’autres étudiants lui donnèrent raison (à demi-mot). Le directeur comprit qu’ils disaient vrai, mais continua le programme comme si de rien était. En revanche, cette saillie déclencha chez le grand prêtre de l’innovation un courroux tel, qu’il appela à la destruction de l’infidèle qui s’était rendu coupable d’une pareille apostasie.

C’est là-bas que j’ai commencé à repérer les plus habiles escrocs à travers une grille d’analyse simple, mais puissante : la Tache de Café.

Bon, il y avait quand même des choses à garder de cette année en master innovation (par exemple, on nous a offert de super gilets de promo). Et surtout, j’y ai rencontré des gens formidables.

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