Mon avis sur le mensonge : ça ne marche pas aussi bien que vous le croyez

(mais rassurez vous, il y a bien plus efficace !)

Jonathan Sabbah
Essentiel
9 min readMay 25, 2017

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C’est grâce à une considérable maîtrise de moi-même que j’ai réussi à ne pas tomber de ma chaise la première fois que j’ai entendu cette histoire.

En 1979, quand Donald Trump découvre la maquette de son futur building, un point lui pose problème. Tout proche de sa tour de plastique, se trouve le building (en plastique lui aussi) de General Motors. Et il est légèrement plus grand que le sien. Il ordonne alors à son architecte de raccourcir celui de General Motors. De cette manière, Trump domine l’horizon (sur la maquette). Mais comment faire en vrai, quand on ne peut pas ordonner aux gratte-ciels alentour de se raccourcir ? C’est là qu’intervient le génie du Donald : on augmentera artificiellement le nombre d’étages. Ainsi le dernier étage de son building de 58 étages sera appelé n° 68 et les 50 pauvres étages de General Motors seront largement ridiculisés. Cette astuce aussi invraisemblable qu’amusante fera la fierté de son auteur et sera réutilisée dans de nombreux édifices (créant par la même occasion des sueurs froides chez les visiteurs pensant naïvement que le nom des étages indique leur position).

L’astuce est théorisée dans son best-seller l’Art du Deal comme « une forme innocente d’exagération et une forme efficace de publicité ». Car pour l’ancien présentateur de télé-réalité « les gens veulent croire en ce qui est le plus gros, le plus grand, le plus spectaculaire » même quand c’est pour de faux. Il appelle Hyperbole Véridique cet écart inoffensif avec la réalité, rien de plus qu’une figure de style, semble-t-il nous dire. Comme un gratte-ciel à étages variables, la réalité (élastique) doit pouvoir s’étendre sans rentrer dans le domaine du faux.

Bien sûr, il s’agit d’un bon gros mensonge.

Un discours qui va à l’encontre de la pensée, énoncé dans l’intention de tromper.

— Saint-Augustin

La propagation

Vous rappelez-vous de Charles, l’ami flemmard de mon frère ?

Un matin, épuisé par sa propre inaction, il décide de sécher les cours. Le lendemain, de retour au lycée, il ment à son prof en lui faisant croire qu‘il était malade.

Peu convaincu, le prof lui réclame un document médical.

Pour sauver les apparences, il n’a d’autres choix que d’en fabriquer un. Le prof, décidément très motivé, menace d’appeler le médecin pour vérifier. Désespéré, Charles finit par lui donner un faux numéro et par demander à un ami de faire semblant d’être le médecin quand il appelle.

Si Charles peut nous apprendre quelque chose, c’est bien que les mensonges sur les faits se propagent. Il faut rajouter plus de mensonges pour couvrir les précédents. Et donc, d’un petit écart avec la réalité, on en arrive à d’énormes bobards.

Prenons quelqu’un qui essaie de vous vendre une sorte de médicament alternatif qui ne fonctionne pas. Au sens où n’importe quelle étude en double aveugle confirme qu’il ne fonctionne pas (oui cachet homéopathique, c’est bien toi que je regarde).

Aux États-Unis, les traitements homéopathiques portent un avertissement précisant qu’ils ne fonctionnent pas

Si le vendeur veut poursuivre la défense du mensonge, il faudra qu’il invente sa propre branche d’une science qu’il est seul à soutenir. Ou qu’il vous amène à ne plus vous fier à la méthode scientifique. Pourquoi pas en disant qu’elle est adaptée aux médicaments qui sont seulement scientifiques, pas aux super-médicaments alternatifs comme le sien. Ou que les super-médicaments ne fonctionnent que si l’on y croit très fort, peu importe les preuves du contraire.

Ou qu’il n’y a pas de vérité et que la réalité objective n’existe pas !

Les faits n’existent pas, donc le mensonge non plus

Arrêtez de vous moquer ! Des sociologues français soutenaient très sérieusement ce genre de thèses pendant les années 60-70 ! Sous le nom de philosophes post-modernes (ou de French Theory aux États-Unis), ils théorisaient sur ce que nous appelons la réalité et qu’eux considèrent comme une réalité parmi d’autres.

Les plus radicaux d’entre eux rejetaient même la méthode scientifique. Ils refusaient l’idée de pouvoir atteindre une connaissance objective du monde (c’est-à-dire existant indépendamment des perceptions). Et de la science, ils ne voyaient qu’une idéologie se prétendant universelle alors qu’elle serait seulement l’appareil d’hommes âgés, occidentaux et bourgeois visant à faire perdurer leur domination. Leur grande idée, c’est que tout est relatif y compris la réalité elle-même.

Cette thèse a été sévèrement critiquée. D’une part, à cause de l’absence de preuves proposées. Et d’autre part, pour la prose ultra-cryptique employée, basée sur des jeux de langage et des emprunts abusifs à un vocabulaire issu des sciences dures.

Alan Sokal, ce petit farceur

Pour dénoncer les dérives de la pensée post-moderne, le physicien Alan Sokal a proposé à Social Text (une revue majeure du post-modernisme) un papier intitulé : « Transgresser les frontières : vers une herméneutique transformative de la gravitation quantique ». Un hilarant canular bourré d’absurdités qui sonnent bien et qui flattent les positions idéologiques des éditeurs. L’article fait preuve d’un relativisme extrême. Il tourne en ridicule le « dogme » dépassé selon lequel le nombre π (Pi) est universel et constant, et affirme sans démonstration que « la réalité physique » est une construction sociale.

Et contre toute attente, la revue l’a publié. Exposant le manque de rigueur intellectuelle qui traversait le mouvement.

Sans aller aussi loin que les post-modernes, certains reconnaissent que la réalité existe, mais qu’elle compte quand même beaucoup moins que leur avis.

La réalité alternative

Comme 70 % des déclarations de Trump sont fausses ou partiellement fausses, les journalistes américains ont pris l’habitude de le confronter à ses mensonges. En général, il se contente de faire comprendre que : si ce qu’il énonce n’est pas rigoureusement vrai, et bien, ma foi, ça aurait très bien pu l’être. Circulez s’il vous plait. On voit mieux pourquoi les élections qui l’ont porté à la Maison-Blanche ont baigné dans le concept de « post-vérité ». Quand les faits objectifs influencent moins l’opinion publique que les appels à l’émotion et les croyances personnelles.

Dans le petit monde de la réalité alternative, la France n’est pas en reste. Pendant l’entre deux tours, alors que la candidate du FN était à la peine dans les sondages, Florian Philippot a partagé une capture d’écran d’un SMS. Soi-disant écrit par un responsable de l’équipe de campagne d’En Marche!, le message appelait à la violence contre Marine Le Pen.

Des journalistes l’ont immédiatement signalé comme faux. Mais Phillipot l’a laissé en ligne et s’en est expliqué à-la-Trump : « Manifestement ce n’était pas le bon SMS. Mais il y a eu des SMS qui ont mené au même […] Je n’ai pas créé un faux. J’ai repris de bonne foi un texto qui n’était pas aberrant, qui aurait pu être parfaitement réel sur le fond. » Tout est dans le conditionnel.

Mmm c’est presque pas un mensonge

Les politiciens n’ont pas le monopole de la malhonnêteté en période électorale. Les militants s’en sortent très bien aussi. Et comme la décrit Vincent Glad dans Libération : « Les articles de presse ne sont que des munitions destinées à servir dans la guerre de tranchées électorale. ».

Si on n’a pas d’articles de presse qui vont dans le sens de son candidat, on n’a plus qu’à se retrancher derrière d’obscurs blogs de « ré-information » (coucou Riposte Laïque) qui manient régulièrement l’arme de l’info bidon ou approximative.

Bien sûr, c’est moins flamboyant que de brandir un article du Monde ou du Figaro. Mais on l’a vu pendant cette campagne : l’information est un buffet où l’on pioche ce qui nous convient en ignorant royalement le reste.

Morale de l’histoire : si vous voulez pratiquer l’argument « je sais que c’est faux, mais ça aurait pu être vrai », rappelez-vous que ça ne fonctionne généralement qu’avec des personnes déjà acquises à votre cause.

Certains mensonges politiques sont autrement plus ambitieux.

Le but n’étant plus d’enjoliver la réalité du moment, mais carrément de bâtir une nouvelle réalité.

La réalité parallèle

Le bon vieux temps des armes de destructions massives

L’administration Bush était parvenue à créer une réalité parallèle. Une réalité dans laquelle Saddam Hussein détenait des armes de destructions massives, où Al-Qaida appuyait à peu près tous les ennemis de l’Amérique et où les USA menaient une guerre messianique qui devait aboutir à la diffusion du capitalisme.

Une vision apocalyptique qui avait peu de choses en commun avec la réalité, néanmoins une fable convaincante et d’une remarquable cohésion interne. En revanche pour fonctionner pleinement, cette réalité parallèle devait être défendue bec et ongles par une armée de fans acharnés.

Ce type de mensonge, si gros qu’une industrie médiatique doit le soutenir, est bien évidemment impraticable pour les pauvres mortels que nous sommes !

Les gars écoutez bien : LA RÉALITÉ PARALLÈLE !

Rétablissons la vérité sur le mensonge

  1. Quand on ment sur les faits, on se condamne à la propagation. La moindre petite Hyperbole Véridique a naturellement vocation à se changer en gros mensonge.
  2. Si l’on continue, on risque tôt ou tard de commencer à renier les lois générales de la pensée… et à remettre en cause le concept même de réalité universelle.
  3. Il existe un monde réel, indépendant de nous, de nos croyances, sentiments et opinions (on ne vit pas dans la matrice !). Il n’est ni élastique, ni qu’une construction sociale parmi d’autres. Ce principe, partagé par l’immense majorité des scientifiques et des philosophes, pose les bases de la science empirique et expérimentale.
  4. La réalité ne compte pas moins que notre avis.
  5. Pour rendre une réalité parallèle crédible, il faut une puissance étatique (sinon on a toutes les chances de finir comme Serge le Mytho).

Le mensonge, ça tache

Je vous vois venir. Mentir c’est nul, la propagation c’est pas pratique, et en plus quand on dit blanc alors que c’est noir, ça risque de se voir.

Très bien.

Mais alors, comment faire passer des idées fumeuses ? Comment se sortir de situations difficiles ? Comment avoir l’air d’être dans le vrai tout en sachant qu’on a tort ?

C’est là que la Tache de Café entre en jeu.

La Tache de Café, ou quand on romance la réalité sans la falsifier, répond à cette problématique. Une bonne Tache respecte le monde réel et n’est donc pas rigoureusement vérifiable.

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Jonathan Sabbah
Essentiel

Chercheur en bullshit, mensonges et taches de café.