Numérique inclusif : Prendre en compte les inégalités d’accès et d’usage
D’après le programme gouvernemental Société Numérique, 13 millions de Français ont encore aujourd’hui un accès ou un usage réduit du numérique, bien que celui-ci devienne omniprésent dans notre société. Parmi eux, plus de 6 millions n’utilisent tout simplement pas Internet et 7 millions rencontrent des difficultés d’usage.
Cette situation décrit la fracture numérique qui s’opère dans la population entre les personnes connectées et à l’aise avec l’outil informatique, et celles qui n’ont pas de présence numérique et ne maîtrisent pas les nouvelles techniques de communication.
La fracture numérique traduit donc une inégalité, que ce soit dans l’accès, dans l’usage ou la compréhension des technologies. Tous les individus ne sont effectivement pas égaux dans leur capacité à accéder, mais aussi à produire ou interagir avec un contenu en ligne.
Cette réalité couvre des situations très hétérogènes dont il est primordial de tenir compte, notamment en tant qu’acteurs du numérique.
Inégalités d’accès à l’outil informatique
Des inégalités économiques, sociales et territoriales peuvent être liées à des inégalités d’accès aux équipements ou infrastructures informatiques.
- Couverture réseau
En 2019, l’UFC Que choisir alertait sur le fait que 10 % de la population ne bénéficiait pas d’un accès à une connexion qualitative. Et bien que le gouvernement ait mis en place un plan d’action pour optimiser la couverture en réseaux fixes et mobiles, les zones rurales et périphériques sont toujours défavorisées.
Dans ces conditions certaines utilisations peuvent être dégradées, limitées voire carrément empêchées. Difficile en effet de visionner des vidéos ou de consulter des sites contenant des animations sans connexion haut débit. - Équipement en matériel informatique
Selon le Baromètre du Numérique 2021, 84% des personnes âgées de douze ans et plus possèdent un smartphone et 88% un ordinateur. Ces taux peuvent sembler élevés, mais le taux de personnes non équipées reste tout de même important. De plus derrière ces chiffres, on retrouve une grande disparité d’équipement selon certaines catégories de population, telles que les personnes âgées ou peu diplômées.
Par exemple 80 à 95% des plus de 60 ans ne se connectent jamais !
Il y a des personnes qui ne souhaitent pas s’équiper, soit car elles n’ont pas confiance en l’outil informatique, parce qu’elles n’en voient pas l’intérêt ou encore car elles ne savent pas l’utiliser.
Et il y a des personnes qui ne sont pas en capacité de s’équiper pour des raisons économiques (ex. : foyers à revenu modeste ou en situation de précarité, personnes sans domicile fixe) ou sociales (ex. : personnes incarcérées, réfugiés).
Sans équipement informatique, il est alors plus difficile d’accéder au numérique, bien que cela reste possible occasionnellement en utilisant des outils à disposition sur son lieu de travail, à l’école, chez des proches, dans une médiathèque, …
Il faut également prendre en compte les utilisateurs qui ne sont équipés que d’un seul équipement (soit un ordinateur, soit une tablette, soit un smartphone) ou d’un device d’une version antérieure.
Bien qu’une majorité de contenus en ligne soient maintenant responsives, tous ne le sont pas ou ne sont pas optimisés pour toutes les résolutions d’écrans. Certains utilisateurs peuvent donc vivre des expériences de navigation dégradées selon l’outil qu’ils utilisent. Il en va de même pour certains équipements moins récents. Si on ne souhaite pas mettre à jour, ou que son équipement n’est plus en mesure d’être mis à jour, il est possible que certaines fonctionnalités ne soient plus optimisées, voire carrément plus accessibles, le rendant ainsi obsolète.
Dans tous les cas ne pas avoir accès ou avoir un accès limité au numérique accroît le risque d’exclusion sociale et sociétale.
Par exemple, le Secours Populaire a interpellé le gouvernement sur la dématérialisation massive des démarches administratives publiques qui ne bénéficient pas aux personnes déconnectées.
Dans le cadre du développement d’un produit ou service numérique, il est donc important de connaître ces réalités et de les intégrer lors de la conception.
Pour s’adapter aux différents cas d’usage, il est par exemple possible de :
- Développer en responsive en considérant de multiples tailles d’écran.
- Veiller à la compatibilité et l’optimisation de son produit avec le maximum de systèmes d’exploitation, de navigateurs et de versions différentes.
- Quand cela est applicable, conserver une alternative à l’utilisation du produit numérique : version matérialisée, ligne téléphonique, point d’accueil physique, …
- Proposer une alternative à la création de compte et à l’identification par e-mail, comme le proposent les services publics en ligne avec la connexion ‘France Connect’ par exemple.
- Proposer une consultation d’éléments possibles hors connexion.
- Veiller au poids des éléments en ligne afin qu’ils soient les plus légers possibles et ne nécessitent pas beaucoup de débit pour être visualisés : vidéo en basse résolution, optimisation des documents à télécharger, optimisation des visuels, peu ou pas d’animation… Globalement il s’agit de respecter les principes du développement low tech en ne développant que les fonctionnalités essentielles et en se questionnant sur l’approche numérique et la raison d’être d’un projet.
Inégalités d’usage de l’outil informatique
Un accès de qualité au numérique est un premier requis, mais encore faut-il en maîtriser les usages pour réussir à se l’approprier. Or plus d’un tiers des Français déclarent rencontrer des difficultés à utiliser un outil informatique et ont déjà renoncé à mener une démarche car elle devait s’effectuer en ligne (selon une enquête sur l’illectronisme menée par le Syndicat de la Presse Sociale et l’Institut CSA).
- Illectronisme
L’illectronisme correspond à l’illettrisme du numérique, c’est-à-dire à un manque de connaissances qui ne permet pas de comprendre et d’utiliser pleinement les outils informatiques. Ce niveau de connaissance est extrêmement variable et hétérogène au sein de la population. D’autant plus que l’apprentissage des outils numériques se fait souvent de manière autodidacte.
On présume que les nouvelles générations, nées à l’ère du tout numérique ont une connaissance accrue dans ce domaine, mais ce phénomène d’illectronisme touche bien toutes les catégories de la population. D’autant plus qu’il est possible de maîtriser certains types d’utilisation mais pas d’autres. Par exemple on peut être à l’aise dans le domaine du divertissement (visionner une vidéo, utiliser les réseaux sociaux), mais pas dans celui de la communication (envoyer un e-mail, visionner une pièce jointe, scanner un document) ou dans le domaine des démarches professionnelles, scolaires ou administratives.
Et ce n’est pas parce qu’une interface est considérée comme intuitive que son utilisation ne nécessitera pas un apprentissage ou un accompagnement. - Situation de handicap
Il y a actuellement 12 millions de personnes en situation de handicap en France, que ce soit des handicaps physiques, neurologiques, sensoriels ou mentaux.
Pour ces personnes l’utilisation des outils numériques peut s’avérer difficile. Il est donc nécessaire que les équipements informatiques et les contenus en ligne soient également adaptés à leur situation.
Selon l’Agence Nationale de Lutte contre l’Illettrisme, il y a également 2,5 millions de personnes considérées comme illettrées en France. Elles ont donc des difficultés ou une incapacité à lire et à écrire.
Or les contenus numériques comprennent une grande part de textuel et pour utiliser pleinement l’outil numérique une maîtrise de la lecture et de l’écrit est indispensable. Une personne illettrée qui souhaite utiliser l’outil informatique se retrouve donc également en situation de handicap. - Manque de sensibilisation
Un manque de compréhension du fonctionnement des outils numériques et une méconnaissance de leurs risques peuvent également mener à une utilisation biaisée ou imprudente.
Il est nécessaire de connaître et d’être sensibilisé à la protection des données, à la publicité en ligne, aux fake news, aux risques d’addiction… Et d’être en mesure de faire preuve d’esprit critique et de recul face aux informations auxquelles nous sommes exposés.
D’après le Baromètre du Numérique 2021, 20% des personnes interrogées regrettent ainsi d’avoir publié des choses concernant leur vie privée sur internet.
Dans tous les cas ne pas maîtriser complètement les usages du numérique ne permet pas de profiter pleinement de ses possibilités. Même avec un accès aux outils informatiques, le manque de connaissances représente un frein à l’utilisation, à la compréhension et à la contribution des internautes.
Ces éléments sont donc également à prendre en compte lors de la conception d’un produit ou service numérique.
Pour les intégrer et adapter son produit, il est nécessaire de :
- Placer l’utilisateur au centre de la conception, en se basant sur son besoin principal et en l’intégrant dans le processus de développement via des entretiens, des tests utilisateurs, …
- Proposer des mises en pages simples, sobres et respectant les standards et les référentiels de développement universels. Au-delà des principes low tech, il s’agit donc d’intégrer l’ensemble des principes d’accessibilité afin que tous les utilisateurs soient en capacité de comprendre et d’interagir avec un contenu en ligne.
Comme nous l’avons vu, le postulat selon lequel de nos jours tout le monde a la possibilité de se connecter et de naviguer sur le Web est donc faux. Ces difficultés doivent être prises en compte afin de n’exclure aucun usager.
Il s’agit même d’une obligation pour les services publics, qui doivent respecter un principe d’égalité d’accès à leur service, qu’ils soient physiques ou en ligne.
Et bien que les pouvoirs publics aient effectivement un rôle important à jouer pour favoriser davantage l’accès au numérique et l’éducation à son usage, c’est également aux acteurs du numérique de s’adapter. Car faire fi de ces difficultés c’est laisser de côté des millions de personnes et favoriser l’entre-soi et un numérique élitiste.
La technologie est neutre en soi et il est primordial d’inclure plus de diversité à tous les niveaux, de sa conception à son utilisation. Avec la numérisation accrue de nos sociétés, œuvrer pour un numérique éthique et inclusif c’est donc respecter les principes d’équité et de non-discrimination pour que chacun puisse se saisir des opportunités offertes par le numérique.
En tant que sachant dans ce domaine il est également possible de partager ses connaissances via le mécénat de compétences. Ainsi avec des associations comme Emmaus Connect il est possible de participer à des permanences pour accompagner et former les personnes en demande.
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