Les arguments secrets que nous utilisons pour nous rassurer sur le réchauffement climatique (et pourquoi nous sommes tous climato-sceptiques).

Julien Rialan
10 min readAug 3, 2018

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Récemment convaincu de l’urgence du réchauffement climatique, je suis très inquiet de la tournure des événements. C’est un fait, depuis l’accord de Paris (2015), nous agissons trop peu, pas assez efficacement, trop lentement. Certains mettent en avant l’égoïsme naturel de l’homme. Je crois que dans l’ensemble les Français n’ont pas vraiment compris l’urgence parce qu’il existe de puissants arguments qui alimentent le déni du pire à venir, mais que nous n’exprimons jamais en public.

Argument secret n°1 : Même le pire n’est pas si grave

L’objectif de 2°C de l’Accord de Paris ne sera peut-être pas tenu, mais l’un des worst cases scénarios de l’accord c’est 4,5°C. Cela nous fera du 5°C de minimale en hiver, et du 40°C en maximale en France et ça ce n’est pas la mort avec un peu de climatisation et des ventilateurs. Alors ok en Afrique et dans le Golfe ça commencera à faire beaucoup, mais déjà ils sont habitués, et en plus c’est surtout leur problème.

Ce type de “réflexions” est alimenté par les articles comme celui du Figaro Magazine d’octobre 2017 :

illustré par des images parfaitement irresponsables :

Ce que ne montre pas l’image c’est l’intro de l’article, heureusement plus réaliste :

Malgré le bourdonnement incessant de la ville, de nombreux Parisiens ont ouvert en grand les fenêtres de leurs logements. Il est 4h30 du matin et il fait déjà 24 °C. Nous sommes à Paris, le dimanche 30 octobre 2050. Comme toujours depuis maintenant une vingtaine d’années, l’été s’étire toujours un peu plus et l’automne semble encore très loin. Autrefois gris et pluvieux, novembre a des allures de début septembre. Les hivers sont de plus en plus doux et les vagues de chaleur qui plombent désormais systématiquement les mois de juillet et d’août ont été une nouvelle fois particulièrement éprouvantes.

Pour revenir à l’argument, en fait, le worst-case scénario de l’Accord de Paris c’est plutôt 8,5° en 2100 mais gardons ce chiffre de 4,5°C. Ramener le réchauffement climatique à une augmentation de degrés Celsius sera probablement vu dans le futur comme une des causes de la perte de notre planète, car cela déresponsabilise massivement les populations. Cela alimente la perception que la modification climatique est un phénomène infiniment plus simple qu’il ne l’est réellement. C’est encore plus faux que de lier le classement ATP d’un joueur de tennis à son % de masse graisseuse. Idéalement il faudrait citer à chaque fois toutes les conséquences de ce réchauffement à 4,5°C et cela fait une longue liste, largement non exhaustive :

  • Des records de températures de 45°C en 2035 et de 55°C en France en 2050
  • Des feux de forêts dans la Sarthe ou les forêts Armoricaines
  • La fin des glaciers Alpins et de la neige sur le territoire national
  • En 2100 une sécheresse permanente sur toute la France (si votre enfant naît en 2018, son espérance de vie est de 85 ans en France, soit une mort en 2103).
  • Une montée de plusieurs mètres du niveau de la mer
  • L’apparition du paludisme en métropole. La Dengue ou le Chikungunya sont déjà présents en France, avec environ 20 cas autochtones en 2017.

Tentative de résumé : si vous avez 30 ans aujourd’hui et que le réchauffement atteint 4,5°C vous ne pourrez tout simplement pas vieillir en France, car celle-ci sera devenue largement inhabitable d’ici 2050 (vous aurez alors 62 ans).

Argument secret n°2 : on trouvera bien une solution miracle

Effectivement, cela n’a pas l’air réjouissant, mais dans le passé, l’humanité a toujours su démontrer qu’elle ne manquait pas d’imagination pour régler les problèmes. Il y a bien un laboratoire japonais ou américain de prix Nobel qui va mettre le paquet sur le sujet et trouver une machine pour stocker le CO2 ou pour contrer l’effet de serre…

Rappel : quand Louis Pasteur a fini par découvrir les vaccins, les virus tuaient depuis plusieurs siècles.

Aujourd’hui, aucune solution de captage + stockage de CO2 (on parle aussi de NET : Negative Emissions Technologies) ne fonctionne au-delà du laboratoire. Alors que oui, certains laboratoires mettent déjà “le paquet” sur le sujet. Même si la technologie progressait fortement, les limites seront énormes :

  • Prise en compte du cycle de vie total d‘une usine de stockage à CO2 : elle demandera du béton, du transport et de l’énergie pour fonctionner.
  • Limite d’espace et concurrence avec l’agriculture, parce que pour stocker du CO2, il faut déjà le capter et pour cela il faut des plantes (le captage mécanique est au stade de prototype).
  • Chaque annonce mettant en avant ce type de recherche déculpabilise encore plus les consommateurs d’énergie et compensera le faible gain espérable.

Une étude de la revue Nature Climate Change concluait en 2015 :

there is no NET (or combination of NETs) currently available that could be implemented to meet the <2°C target without significant impact on either land, energy, water, nutrient, albedo or cost, and so ‘plan A’ must be to immediately and aggressively reduce greenhouse gas emissions.

Pas d’évolution significative en 3 ans depuis cet article bien sûr.

Tous les scientifiques le disent la solution de loin la plus simple c’est de ne pas émettre, ensuite c’est de planter des forêts (même cela a des effets indésirables), et enfin très très largement plus complexe, cher et avec des effets pervers, trouver des solutions de captage de CO2 et/ou de géo-ingénierie (miroir dans l’espace, pare-soleil en orbite).

Argument secret n°3 : nous nous sommes mis d’accord

Pourquoi dramatiser ? Le monde a signé un accord (Paris), on va le respecter et tout va bien se passer.

L’accord en question n’est pas respecté :

Quand l’accord de Paris a été signé, les émissions devaient baisser de 2,9% / an de 2015 à 2050. Elles ont augmenté ces 3 dernières années. Il faut maintenant les faire baisser de 3,5% / an d’ici 2050 pour tenir le rythme. Si elles augmentaient encore pendant 5 ans, ce sera plutôt proche de 5% / an de 2023 à 2050. -5%/an de baisse c’était à peu près le rythme de baisse de vente de CD chaque année pendant la crise du disque (à population égale avec des technologies de remplacement du CD disponibles et fonctionnelles. La population de la Terre augmente, et il n’y a rien pour remplacer l’avion, la voiture, etc.)

Ensuite l’accord est largement sous-dimensionné car il vise à limiter le réchauffement à 2°C ce qui est ÉNORME. Nous en sommes déjà à environ 1°C de réchauffement, et cela n’a échappé à personne que des mois de juillet comme celui de 2001 (mois très proche des moyennes de saison sur la période 1980–2000) on n’est pas prêt de les revoir (j’espère me tromper) :

Relevé à la station de Paris Montsouris, juillet 2001

Enfin l’accord est basé sur la perspective du développement très significatif de technologies de captage de CO2 qui comme vu au point 2, n’existent pas encore.

L’accord de Paris est donc :

  • optimiste car il anticipe une amélioration de la science (le problème du réchauffement climatique est connu depuis 1970 et ces progrès n’ont pas du tout eu lieu en 48 ans).
  • sous-dimensionné car l’objectif de 2°C pourrait se transcrire en français par : “maintenir une certaine ressemblance avec le monde que nous connaissons” mais est très loin d’être optimal.
  • pas respecté.

C’est pourquoi il faut absolument tout faire pour le respecter et même le “surespecter”.

Argument secret n°4 : la science avance toute seule

D’accord c’est vraiment grave. Mais l’histoire va dans le bon sens. Les voitures consomment de moins en moins, je mange beaucoup moins de viande que quand j’étais petit et surtout je trie mes déchets.

Non l’histoire ne va pas dans le bon sens. En tout cas pas toute seule.

Exemple très concret : nous pensions que les émissions de voitures individuelles n’allaient faire que continuer à baisser. C’était le cas depuis longtemps. Elles devenaient de plus en plus citadines (donc petites et légères), avec des moteurs plus efficaces, souvent au diesel (qui est dangereux pour les bronches, mais émet moins de CO2 que l’essence).

Depuis 2010, tous les conducteurs de l’UE se sont convaincus qu’ils avaient absolument besoin de SUV. Ces 4x4 à deux roues motrices, sont plus lourds, moins aérodynamiques que les berlines, plus cher à entretenir et surtout émettent plus de CO2. Leurs émissions moyennes repartirons forcement doucement à la baisse mais combien d’années avons-nous perdues dans cette mode ? Ces véhicules représentent environ 30% du marché en Europe.

Bonjour, je suis un SUV et je fais repartir les émissions à la hausse

En 2005 personne n’imaginait que les SUV allaient devenir aussi importants (aux US ils sont allés encore plus loin avec les pick-up).

Combien de surprises de ce type le futur nous réserve ? (A mon humble avis, les ananas pré-découpés vendus chez Monoprix seront les successeurs du SUV).

Cela vous rend-il vraiment plus heureux ?

Et même en supposant que nous serions en mesure d’améliorer notre mode de vie, l’Asie dispose d’un réservoir énorme d’habitants qui consomment beaucoup moins que nous et aspirent à plus ou moins le même mode de vie.

Exemple : l’Indonésie (260 millions d’habitants avec une émission de CO2 / habitant de 1,8 tonnes en 2014). La Suisse, un des pays développé les plus vertueux du monde, avec une part de production très importante d’hydroélectricité est à 4,3 tonnes / habitant.

Pour rester sous les 2°C il faudra atteindre une moyenne de 1,7 tonnes / habitant / an en 2050. Un A/R Paris New York, c’est 2,6 tonnes / voyageur (Paris Marrakech 1 tonne / personne). Et le transport aérien explose dans tous les pays.

Ce genre d’exemple peut être multiplié à l’infini.

Argument secret n°5 : ce n’est pas si sûr

Mais est-ce que déjà on est vraiment sûr de tout ça ? Les climato-sceptiques n’ont sûrement pas entièrement raison, mais peut-être qu’ils ne disent pas que des conneries, et qu’on en fait un peu des caisses de ce problème ?

Les éléments ayant servi de base à la rédaction de l’accord de Paris sont approuvés par 97% des scientifiques travaillant sur le sujet.

En allant très très très loin, imaginons que les scientifiques “Occidentaux”, Européens et Nord-Américains travaillent en vase clos et se sont mis dans un délire, incapables de prendre du recul sur leur propre science et conclusions.

Mais la Chine, le Japon, la Corée du Sud ayant validé l’accord, cela signifie que les meilleurs experts asiatiques, formés dans d’autres universités, travaillant dans d’autres langues, d’autres organisations, avec aussi d’autres influences politiques (des régimes plus autocratiques) sont arrivés à exactement la même conclusion. Ce n’est pas forcément la même chose pour d’autres domaines scientifiques, par exemple la médecine, où la culture chinoise est différente de la nôtre. Si vous étiez malade, que 97% des médecins du monde vous conseillaient la même opération, même si vous alliez en voir un à Xian’, Jakarta ou Brasília, est-ce que vous auriez le moindre doute sur la voie à suivre ?

A l’exception des pseudo-scientifiques conseillant le Parti Républicain US, nous sommes face à un consensus mondial.

Argument secret n°6 : franchement j’ai déjà assez d’emmerdes comme ça

Est-ce vraiment MON problème ? Moi je me bats déjà contre les SCUD de mon chef, les clients relous, mes voisins qui font du bruit. Et puis il y a le terrorisme, le SIDA, la démocratie en péril.

La lutte contre le réchauffement climatique est la mère de toutes les batailles que vous entreprenez au quotidien pour être heureux (tomber amoureux, faire un travail qui vous épanouit, avoir un logement agréable, prendre des vacances régulièrement).

Si nous ne vous engagez pas pour cela, tout ce que vous ferez à coté ne sert plus à rien.

Argument secret n°7 : à quoi bon ?

Il n’y a plus rien à faire c’est complètement fucked-up. Qu’est-ce que je dois faire ? Aller assassiner Donald Trump et son conseiller scientifique, devenir un dictateur vert, être le mec relou qui fait chier tout le monde avec son discours environnemental alors que je kiffe aller au Cambodge, faire la leçon aux autres ? Très peu pour moi… Je fais de mon mieux, je profite du temps que j’ai à vivre sur cette planète et on verra bien ce qu’il se passe. Carpe Diem.

Un article récent du New York Times résume ma pensée :

Il est vrai qu’une grande partie des dommages qui auraient pu être évités sont désormais inévitables. Mais il n’est peut-être pas trop tard pour préserver un semblant de monde tel que nous le connaissons. L’argument rationnel a échoué. Laissez l’optimisme irrationnel tourner. C’est aussi la nature humaine, après tout, d’espérer.

Au-delà de retrouver foi en notre pouvoir collectif, l’instrument qui me paraît le plus prometteur aujourd’hui est celui de la taxe carbone, qui, si elle est suffisamment élevée, permet de mettre un (vrai) prix à la pollution au carbone, et d’inciter les acteurs économiques à réduire leurs émissions.

La taxe doit s’appliquer à l’échelle la plus large possible, pour envoyer un signal fort à un maximum d’entreprises. C’est pourquoi une véritable taxe carbone doit concerner tous les produits consommés dans l’UE.

Elle enverra ainsi un message à nos fournisseurs et à nos entreprises : baissez vos émissions, ou nous cesserons d’utiliser vos produits.

Si vous avez aimé cette publication, partagez la pour sensibiliser vos contacts.

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