Vous êtes le corps (adéquatement vacciné) du Christ

Quand l’Église endosse des mesures discriminatoires

Jérémie Laliberté
23 min readDec 18, 2021

Et si je vous disais que cet automne, pour un travail universitaire au thème judicieusement suggéré par mon épouse, j’ai pris le temps de réfléchir abondamment aux implications pour l’Église de l’imposition du passeport vaccinal dans les lieux de cultes? Il n’a pas été trop difficile de conclure que, si le gouvernement risquait fortement d’en arriver là, il était impensable que l’Église accepte de simplement l’appliquer et que des avenues audacieuses, qui ne soient pas de l’ordre de la désobéissances, étaient envisageables.

Cela me semblait évident car, par exemple, lors d’une célébration liturgique, des choses subtiles comme l’odeur de l’encens, la beauté des chants, la couleur des habits et l’offrande de quelques piécettes ont une portée sacramentelle qui actualise la présence du Christ parmi nous. Comment pourrions nous alors faire fi de l’écrasante portée symbolique – bien plus que théorique – de l’absence des fidèles que l’on aurait exclus un par un de manière discriminatoire (c’est à dire non-aléatoire) à l’entrée? Et que dire de l’accueil inconditionnel que l’Église réserve à tous les exclus depuis deux millénaires? Cela sans mentionner qu’une limite du nombre de personnes dans l’église n’est pas la même chose qu’une limite selon le type de personne. Tout cela me permettait d’envisager que l’Église aurait de sérieuses réticences à appliquer le passeport vaccinal le moment venu.

Si l’annonce d’hier soir – le passeport vaccinal obligatoire dans les lieux de cultes – ne m’a pas trop surpris, c’est la réponse conciliante et rapide des archevêques de Québec et d’autres diocèses aujourd’hui qui m’a ébahi et me pousse à publier mon travail réflexif. En tant que membre (adéquatement vacciné!) de cette Église, je ne peux me faire le complice silencieux d’un tel égarement.

D’abord, voici en quelques mots les réactions de nos évêques qui se disent déçus non pas de la scission de la communauté sur la base des opinions politiques et des décisions médicales privées de chacun, mais plutôt des complications logistiques et de la montée du nombre de cas. Pas de trace d’une initiative nouvelle cherchant à honorer réellement le ministère de l’Église actuellement mis à mal…

Mgr Durocher, Archevêque de Gatineau

Les gens qui choisissent librement de ne pas être vaccinés doivent comprendre que, quand on fait un choix, il faut en accepter les conséquences. […] Je ne peux que les inviter, au nom du bien commun, à aller se faire vacciner

Est-ce vraiment tout ce que nous pouvons faire? Disons au moins que c’est ce que nous choisissons de faire. Avons-nous vraiment envisagé les conséquences – humaines, sociales et pastorales et liturgiques, pour ne nommer que celles-ci – de notre décision de discriminer certains membres du corps du Christ?

Mgr Lacroix, Archevêque de Québec

l’heure n’est pas à la dissidence mais à la solidarité, afin de protéger les personnes les plus vulnérables.

Il ne me semble pas judicieux d’opposer dissidence et solidarité comme s’il n’existait pas d’avenue tierce. La solidarité commande aussi de refuser d’exclure certains fidèles selon des critères arbitraires. Qu’y a-t-il de solidaire à barrer la porte aux uns au nom de l’amour des autres? Ne doit-on pas chercher une manière nouvelle de servir toute l’Église?

Voici donc le fruit légèrement révisé de mes réflexions de cet automne.

Introduction

Depuis le début de la pandémie de Covid-19, l’Église a dû – comme tous les citoyens – composer avec les nouvelles réalités résultant de l’introduction de mesures sanitaires inédites. De la restriction du nombre de participants aux célébrations à la fermeture temporaire complète des lieux de culte en passant par la distanciation physique et le port du masque. La réaction de l’Église de Québec fut généralement modérée et conciliante, appliquant les mesures au meilleur de ses capacités au nom de la santé publique, par exemple par de mineures adaptations liturgiques facilitant le déroulement de la distribution du pain eucharistique aux personnes présentes en nombre réduit. Certaines sorties publiques de notre Archevêque durent cependant chercher à faire valoir que les lieux de cultes ne devraient pas être traitées au même titre que les cinémas et les bars, et certains prêtres, de leur propre initiative, ont jugé bon de contrevenir à certaines de ces mesures. Avec la nouvelle réalité du passeport vaccinal arrive maintenant une myriade de nouveaux enjeux éthiques et, s’il ne s’applique pas encore aux lieux de culte, il serait naïf de croire que c’est en raison de considérations spirituelles et théologiques qu’il en soit ainsi et que cela soit immuable. Comme le passé le suggère, il semble qu’à tout moment, si l’opinion publique y était favorable, le gouvernement pourrait décider que les lieux de cultes redeviennent soumis aux mêmes règles que les restaurants, les bars et les salles de spectacle – comme le demandent d’ailleurs certains chrétiens.

La plus grande des confusions règne autour de la distinction entre la question de l’importance de la vaccination et celle de la légitimité du passeport vaccinal.

Le présent travail se veut une réflexion théorique et une recommandation pratique sur le comportement que l’Église et ses membres devraient adopter dans l’éventualité ou l’État imposerait la preuve vaccinale pour entrer dans les lieux de culte. Devrait-elle l’appliquer, la contester, les deux à la fois, ou encore envisager autre chose complètement.

Je présenterai d’abord une distinction majeure entre les enjeux du vaccin lui-même et ceux du passeport vaccinal. Je présenterai ensuite 4 considérations du point de vue chrétien, soit l’importance vitale de l’eucharistie, la primauté de la foi en Dieu, la fraternité universelle en Jésus Christ et le rapport entre l’Église et l’État. Je terminerai avec certaines propositions concrètes qui, me semble-t-il, réconcilient de façon audacieuse ces différents enjeux.

1. Le problème du passeport vaccinal

Pour commencer, il importe d’établir quels sont les enjeux principaux concernant l’application même du passeport vaccinal dans la société québécoise. Il ne sera pas ici question d’affirmer que cette mesure soit bonne ou mauvaise, mais plutôt de rapidement exposer pourquoi la question est bien plus complexe que ce qui est communément relayé dans les médias comme un moindre mal nécessaire.

La plus grande des confusions règne actuellement autour de la distinction entre la question de l’importance de la vaccination et celle de la légitimité du passeport vaccinal. Il est très peu sophistiqué – et malheureusement très fréquent – que la question du passeport vaccinal redevienne immédiatement la question du vaccin lui-même. Cependant, ces deux questions sont très différentes, et il est primordial de rappeler qu’il n’y a aucune contradiction à ce qu’une personne fasse la promotion de la vaccination tout en s’opposant à l’application de mesures discriminatoires comme le passeport vaccinal. Allons au delà des réactions épidermiques que nous suscitent souvent ces sujets:

Concernant la vaccination elle-même, il y a différents enjeux éthiques et médicaux toujours présents, comme par exemple les effets secondaires du vaccin (thromboses et péricardites rares mais néfastes) et les études non complétées concernant sa sécurité pour les femmes enceintes (malgré des résultats préliminaires positifs) qui semblent légitimer le refus du vaccin de certains citoyens. Il est fréquemment répété par les autorités gouvernementales et médicales que « les avantages de la vaccination sont plus grands que les inconvénients ». Cependant, si cela est statistiquement vrai, serait-il réellement envisageable de dire une telle chose par exemple au veuf de Francine Boyer qui est décédée d’une thrombose causée par le vaccin en avril? Au delà des probabilités, n’y a-t-il pas une différence qualitative importante entre la mort par la maladie et la mort par un vaccin préventif? En Europe, plusieurs pays ont nouvellement choisi d’interdire le vaccin Moderna aux moins de 30 ans. N’est-il pas légitime de laisser les gens choisir les risques auxquels ils s’exposent? C’est la prérogative de chaque individu d’affirmer pour lui-même s’il juge que les avantages sont plus grands que les inconvénients, et il ne revient pas à l’État de l’affirmer à notre place. L’impératif de la charité chrétienne et la foi en la dignité inaliénable de toute personne humaine ne permet pas de se dispenser si aisément de tels questionnements et de forcer la main aux récalcitrants.

Voici maintenant une question qui relève certains enjeux entourant directement le passeport vaccinal: s’il est légitime pour les citoyens de refuser la vaccination, doivent-ils être marginalisés par l’État pour avoir pris une décision qui va à l’encontre des préférences de celui-ci? Répondre simplement « oui » à cette question ouvre une boîte de Pandore de dérives aux tendances totalitaires. Voici certaines observations qui ne rassurent pas les sceptiques:

N’est-il pas légitime d’avoir le droit de douter du bien fondé de toutes ces choses, et donc de la mesure même du passeport? Pourtant, la censure des voix dissidentes est devenue chose courante, et plutôt que d’avoir des plateformes publiques de réflexion, la décision de l’application du passeport, qui empiète sur plusieurs articles de la charte des droits et libertés québécoise, s’est prise à huis clos sans commission parlementaire sous prétexte qu’il ne faudrait pas « donner à des opposants des tribunes qui pourraient influencer la population en utilisant des arguments non fondés », contournant ainsi plusieurs des processus démocratiques qui protègent la société des abus gouvernementaux. L’article 15 de la charte québécoise des droits et libertés de la personne stipule que « nul ne peut, par discrimination, empêcher autrui d’avoir accès aux moyens de transport ou aux lieux publics, tels les établissements commerciaux, hôtels, restaurants, théâtres, cinémas, parcs, terrains de camping et de caravaning, et d’y obtenir les biens et les services qui y sont disponibles ». Est-il justifié de faire entorse dans une situation exceptionnelle? Possiblement. Mais le gouvernement se justifie de façon médiocre en disant s’appuyer sur « le sentiment d’avoir l’appui majoritaire de la population ».

Doit-on conclure que pour le gouvernement en place, si la population semble d’accord avec lui, elle est assez sage pour contourner la démocratie sans risques, mais si elle n’est pas d’accord avec lui, elle est assez sotte pour qu’il soit dangereux de même lui donner la parole? Ma conclusion est toujours la suivante: il semble au moins légitime de pouvoir douter et débattre publiquement, mais l’état actuel le refuse, et c’est un mal en soi.

En ce sens, rappelons nous que la censure des idées divergentes est l’une des meilleures façon pour un état d’imposer une idéologie uniforme et de garder main mise sur le pouvoir, comme le dit bien la philosophe Hannah Arendt:

« Le sujet idéal de la domination totalitaire n’est ni le nazi convaincu, ni le communiste convaincu, mais les gens pour qui la distinction entre fait et fiction (c’est-à-dire la réalité de l’expérience) et la distinction entre vrai et faux (c’est-à-dire les normes de la pensée) n’existent plus » (Voir référence à la fin).

Le simple fait, par exemple, que nous entendions constamment l’avis de médecins alarmés et jamais celui de travailleurs de rue ou d’enseignants qui voient de près les effets néfastes des mesures sanitaires, additionné au gouvernement qui pose pour nous des jugements de valeur sur le bien fondé des choses, nous prive (partiellement mais réellement) de la capacité de distinguer le fait de la fiction, et le vrai du faux.

Pour opérer cette censure, le gouvernement fait aussi appel à un puissant outil, soit celui du dégoût sanitaire. Nous entendons par exemple des affirmations du premier ministre québécois comme « Si j’étais patient dans un hôpital, je n’accepterais pas qu’une infirmière non-vaccinée soit proche de moi (8:11) » – alors qu’il est connu que les personnes vaccinées peuvent aussi être contagieuses, même si l’on ignore dans quelle mesure. Nous sommes aussi constamment dans l’hyper-vigilance sanitaire causée par le port du masque et la distanciation qui cultivent en nous le dégoût de tout ce qui risquerait de nous infecter. Si ces choses ont des effets sanitaires bénéfiques, il n’en reste pas moins qu’il suffise d’y ajouter une utilisation judicieuse du langage (complotistes, irresponsables, égoïstes) pour que qu’il devienne acceptable pour la majorité de considérer les non vaccinés – en tant que groupe sans visage – comme le mal incarné. Pourquoi alors de telles personnes ne mériteraient-elles pas la ségrégation très réelle qui leur est imposée par le passeport? Comme chrétiens, plutôt que de contribuer à ce discours (ce dont je suis souvent témoin), ne devrions-nous pas plutôt garder une révérence pour la dignité que dépose la présence du Christ en chacun, à l’opposé du dégoût et du mépris? Ne voyons nous pas de problème si des étudiants (complotistes!) ne peuvent plus étudier dans les cafés, si des citoyens (irresponsables!) n’ont plus accès à leur gym, si des personnes vulnérables (égoïstes!) n’ont plus accès à leur centre de loisirs, et si tous ces gens (dangereux!) sont coupés de leurs communautés signifiantes pendant que la majorité d’entre nous chante «we are the world» au karaoké? Dois-je rappeler que les non vaccinés ne sont pas malades? Jugeons nous maintenant de la valeur des gens sur leur probabilité de nous causer involontairement du tort? Où se trouve alors la dignité de la personne lorsque l’on juge de son droit sur la base de critères subjectifs et déformés par un discours unilatéral qui ne nous appartient pas?

Dans ce contexte, c’est déplorable, vient inévitablement pour le non vacciné la pression des pairs. Celle-ci peut se manifester par exemple le vendredi après le travail alors que les collègues vont boire un verre. Le non vacciné doit alors choisir entre risquer de faire face au mépris de la majorité ou mentir sur ses raison de ne pas suivre le groupe. Évidemment il est aussi possible que la vérité soit bien reçue s’il ose la partager, mais le simple risque encouru crée souvent tabous et conflits qui peuvent mener à la vaccination simplement pour éviter le malaise social, à une radicalisation des deux partis ou même à l’éclatement de familles et de couples. Dois-je exposer en quoi ce n’est pas souhaitable?

Si ce survol du problème met de toute évidence l’accent sur les réticences que l’on peut avoir face à l’application du passeport vaccinal, c’est d’abord parce que ces considérations sont trop souvent écartées du revers de la main, alors que le questionnement lui-même porte une grande valeur en vue de la vérité. Si ce portrait partiel des enjeux éthiques entourant le passeport vaccinal ne permet pas de prendre position, il permet au moins le constat suivant: la banalisation de ce débat est une grossière erreur que nul ne peut commettre sans conséquences.

2. Considérations chrétiennes

S’il advenait que le passeport vaccinal soit demandé à l’entrée des les lieux de culte, et donc que le sacrement de l’eucharistie soit menacé de devenir inaccessible à certains fidèles en raison de leurs décisions médicales personnelles, l’Église devrait nécessairement prendre position. S’il incombe au chrétien de se questionner individuellement sur la position à adopter sur ces questions, penchons-nous ici sur la responsabilité de l’Église lorsque ces questions se posent en ses propres murs. Le pape François a déjà donné son appui personnel à la vaccination, mais rien d’officiel n’est publié quant à l’application potentielle d’un passeport vaccinal. Avant de proposer une piste d’action, nous aborderons 4 aspects primordiaux, soit l’importance du sacrement eucharistique, la primauté de l’amour de Dieu, l’amour du prochain comme soi-même, et finalement le rapport entre l’Église et l’état.

2.1 Le corps du Christ: L’importance de l’eucharistie

D’abord, on ne peut minimiser la place centrale qu’occupe l’eucharistie dans la vie chrétienne. Sans détour, l’article 11 de la constitution dogmatique sur l’Église Lumen Gentium appelle ce sacrement « source et sommet de toute la vie chrétienne ». Source entre autres parce que l’identité chrétienne n’est pas qu’une idée que l’on s’attribue, mais bien une manière de vivre qui s’incarne dans des gestes, des pratiques et des rituels. C’est d’abord par la participation à la célébration eucharistique que le chrétien apprend et réapprend constamment à réellement reconnaître la présence du Christ dans la chose la plus humble qui soit: une bouchée de pain. Le rituel de la messe, avec tout ce qu’il comporte de physique, dispose d’abord le corps, puis l’âme, le coeur et l’esprit à honorer le Christ en toutes choses. C’est par l’eucharistique que j’apprends à voir mon seigneur et mon sauveur en mon prochain qui se présente avec toutes ses pauvretés devant les miennes. Sans cette eucharistie dominicale, toute la vie chrétienne s’effondre.

L’eucharistie est aussi l’occasion de la rencontre privilégiée de chaque chrétien avec le Christ, le lieu de la communion à son corps et à tout ce qu’il est. Cela permet à la fois au chrétien de devenir membre de Son corps et de Le laisser communier à sa propre vie. Il s’agît en effet simultanément de prendre part au Christ et de le laisser entrer en soi. C’est donc l’occasion de se laisser rejoindre par le Seigneur dans ses propres ténèbres et de fortifier son espérance pour les jours à venir. Peu de gens ont mieux démontré cela que le père Walter Ciszek, prêtre jésuite américain d’origine polonaise envoyé pendant 15 ans au goulag, en Sibérie, sous le régime soviétique. Son témoignage tiré de son livre « He leadeth me » présente entre autres comment l’appétit des prisonniers russes était plus grand pour le Pain de Vie que pour la pourtant rare pitance:

When I reached the prison camps of Siberia, I learned to my great joy that it was possible to say Mass daily once again. In every camp, the priests and prisoners would go to great lengths, run risks willingly, just to have the consolation of this sacrament. […] Most often, therefore, we said our daily Mass somewhere at the work site during the noon break. Despite this added hardship, everyone observed a strict Eucharistic fast from the night before, passing up a chance for breakfast and working all morning on an empty stomach. Yet no one complained. […] The intensity of devotion of both priests and prisoners made up for everything; there were no altars, candles, bells, flowers, music, snow-white linens, stained glass, or the warmth that even the simplest parish church could offer. Yet in these primitive conditions, the Mass brought you closer to God than anyone might conceivably imagine. The realization of what was happening on the board, box, or stone used in place of an altar penetrated deep into the soul. […] Many a time, as I folded up the handkerchief on which the body of our Lord had lain, and dried the glass or tin cup used as a chalice, the feeling of having performed something tremendously valuable for the people of this Godless country was overpowering. Just the thought of having celebrated Mass here, in this spot, made my journey to the Soviet Union and the sufferings I endured seem totally worthwhile and necessary. (Voir référence à la fin)

Loin de moi l’idée de comparer le Québec en pandémie aux goulags soviétiques, je désire plutôt souligner qu’à tout moment, n’importe lequel des fidèles peut se trouver au bord du gouffre de sa propre vie, et qu’il est essentiel que la communion au corps du Christ puisse être la fortification, le soutien et l’espérance dont il a besoin, et qu’il puisse être nécessaire de prendre des mesures extraordinaires pour s’assurer que tous y aient accès.

Il pourrait paraître raisonnable d’avancer que pour le chrétien, le fruit de sa vie chrétienne est en fait la charité, et qu’il est donc possible de se priver temporairement de l’eucharistie tant que la charité demeure. Deux objections apparaissent cependant. D’abord, si la charité est bel et bien un fruit de la vie chrétienne, l’eucharistie en constitue les racines – la source – sans lesquelles aucun fruit réellement sain(t) ne peut mûrir. Ensuite, de façon plus pragmatique, si une coupure temporaire de l’accès à l’eucharistie peut paraître relativement inoffensive, rien dans les mesures sanitaires n’a de durée claire, et le terme « temporaire » ne signifie plus grand chose de crédible à l’heure actuelle. Pour toutes ces raisons, comme l’Église clandestine de nombreux pays aux situations politiques sévères le démontrent, l’accès universel à l’eucharistie doit être assuré par l’Église. (Je ne propose pas ici la clandestinité pour notre Église diocésaine.)

2.2 Tu aimeras le seigneur ton Dieu: Idolâtrie sanitaire

La raison principale pour laquelle les dérives totalitaires ont précédemment été évoquées est la suivante: le totalitarisme est l’une des expressions contemporaines les plus marquées de l’idolâtrie, en ce qu’il représente le désir de l’homme d’avoir main mise sur toute chose. Le totalitarisme s’imagine englober la totalité du réel mais se doit de brutalement réprimer tout ce qui pourrait lui échapper. Il est l’incarnation de l’orgueil de la raison et de l’ego, deux idoles redoutables. Si la situation actuelle montre parfois les germes d’un totalitarisme politique, c’est cependant une autre valeur qui semble avoir été érigée en absolu et qui obscurcit notre jugement. En effet c’est la santé physique, dont les médecins sont comme les prêtres, qui semble avoir pris la première place qui se devrait pourtant pour tout chrétien d’être réservée à nul autre que Dieu.

Dans l’espace publique, toute remise en question de la primauté de la santé physique – par exemple au nom de l’importance des rencontres familiales – est pratiquement reçue comme une hérésie et est publiquement dénigrée. De même, toute personne non immunisée est considérée comme impure et est écartée de façon très réelle du corps social par le moyen du passeport (plus besoin d’être réellement malade pour être traité comme un lépreux). Évidemment tout cela est rationalisé en prônant la compassion pour les plus fragiles, qui est une intention noble. Rappelons cependant la distinction entre la vaccination et le passeport vaccinal. La vaccination par compassion? Plausible. Mais justifier la pression ostracisante causée par le passeport à l’aide d’un soi-disant altruisme désintéressé est un manque de bonne foi entre autres parce que cette apparente bienveillance semble enchevêtrée avec des motivations mal cachées et plus rudimentaires comme la peur de mourir et le désir de retrouver le confort au plus tôt. Tout cela semble découler d’une conception du monde matérialiste qui domine notre ère. Nos tendances nihilistes ne semblent rien nous laisser espérer de plus de la vie terrestre que d’éviter la souffrance. Cependant, le bon sens lui-même ébranle cette logique. En effet, à quoi bon s’empêcher de vivre pour éviter de mourir? L’antidote le plus expéditif au nihilisme est justement le totalitarisme qui offre un cadre rassurant qui définit lui-même le bien et le mal et l’impose de façon unilatérale sans égard pour la complexité et le chaos inhérents à la vie elle-même. Davantage encore pour nous chrétiens, il est un manque de foi flagrant que de se laisser envahir pas la peur et de prendre sur nos épaules le salut, donnant à la vie terrestre la place qui revient à Dieu. C’est humain, c’est compréhensible, mais c’est la définition même du péché: se couper de Dieu.

Ceci étant dit, ne nous méprenons pas, la santé est une valeur d’une grande importance car elle est l’expression de la vie, et les nombreuses guérisons effectuées par Jésus nous l’attestent. Le désordre se manifeste cependant quand il devient plus important de se prémunir de tout risque sanitaire que de considérer la dignité de l’autre personne. Si elle en venait à décider d’appliquer strictement le passeport vaccinal, il me semble clair que l’Église ferait fausse route, endossant alors des initiatives détrônant Dieu Lui-même. Je ne propose pas d’avoir foi que Dieu nous protégera du virus, mais plutôt de cesser de tout sacrifier à la divinité sanitaire.

2.3 Et ton prochain comme toi-même: Discrimination et fraternité

Depuis que le Christ a marché en Palestine, l’Église a toujours été ce corps accueillant inconditionnellement le marginalisé. Les églises ont toujours été ces refuges pour les exclus. Pensons au droit d’asile instauré au Moyen-Âge où est considérée sacrée l’hospitalité offerte par l’Église à toute personne menacée. Serait-il maintenant envisageable qu’il y ait une condition à remplir pour se prévaloir de l’accueil du Christ?

Plus encore, souvenons-nous de Saint-Paul qui annonce : « vous êtes le corps du Christ, et vous êtes ses membres, chacun pour sa part » (1 Co 12, 27) ainsi que « maintenant donc il y a plusieurs membres, et un seul corps. L’oeil ne peut pas dire à la main: Je n’ai pas besoin de toi; ni la tête dire aux pieds: Je n’ai pas besoin de vous… » (1 Co 12, 20–21). Chaque chrétien est essentiel à l’intégrité de l’Église! Si l’on ajoute à cela l’exhortation du Christ par le second plus grand commandement à « aimer son prochain comme soi-même » (Mt 22, 39), peut-on vraiment envisager que l’Église se satisfasse de refuser l’accès au sommet et à la source de la vie chrétienne à quelque membre de son corps que ce soit?

Selon ce point de vue, s’il advenait que le passeport vaccinal soit exigé aux lieux de culte, il semblerait plus avisé de complètement fermer les Églises que d’accepter la ségrégation sanitaire. Évidemment il serait encore mieux qu’elle trouve le moyen d’accueillir tout le monde plutôt que de fermer. Nous y reviendrons.

2.4 Rendre à César ce qui appartient à César: L’Église et l’État

Les considérations très concrètes commencent à nous rattraper ici car il est temps de se demander si l’Église devrait ou non tenir tête aux décisions gouvernementales. L’attitude du Christ lui-même a beaucoup à nous enseigner concernant le rapport de l’Église à l’État. Bien que l’Église ait eu un pouvoir politique considérable au cours des siècles, il importe de se souvenir de sa genèse. D’abord concernant le Christ lui-même, rappelons-nous ce que les juifs espéraient du messie attendu: le renversement de l’envahisseur romain. Non seulement Jésus n’a-t-il pas chassé les romains, mais il s’y est soumis et a accepté d’être jugé et de mourir entre leurs mains malgré son innocence. Cette tragédie, notre foi sait qu’elle n’était pas en vain! De même, les martyrs des premiers siècles, s’ils ont refusé d’idolâtrer l’empereur, n’ont jamais cherché à affronter les romains et ont plutôt témoigné de leur foi jusqu’à mourir dans l’arène du cirque. Dans sa kénose, le Christ s’est dépouillé d’absolument tout, sauf de sa fidélité au Père auquel il portait témoignage. Pour les martyrs, leur fidélité était à l’endroit du Christ qui leur a montré le chemin vers le Père, et leur sang fut appelé semence de chrétiens à cause de la puissance de son témoignage d’espérance. Si nous croyons vraiment que le Christ est le chemin, la vérité et la vie, c’est à son imitation que nous trouverons un vrai chemin de vie dans le contexte particulier qui est le nôtre.

La vie du Christ et le témoignage des martyrs nous rappellent que d’être chrétien est un engagement radical qui ne nous demande rien de moins que toute notre personne. Leur exemple ne nous montre cependant pas la piste de la rébellion politique comme une avenue féconde. Toute action de l’Église en regard du passeport vaccinal devrait chercher à éviter les confrontations ouvertes aux niveaux politiques et idéologiques pour plutôt faire place à un témoignage de vie qui exprime toute l’espérance radicale de la foi chrétienne.

3. Recommandations

Il reste maintenant à tenter d’extirper de ces réflexions une proposition concrète qui soit en concordance avec la foi chrétienne. Considérant que le sacrement de l’eucharistie est de la première importance pour la vie chrétienne, il n’est souhaitable de priver quiconque de l’eucharistie. Considérant que les valeurs sous-jacentes à l’adoption du passeport vaccinal – et non de la vaccination – tiennent d’une certaine idolâtrie de la santé physique qui, entre autres, nie les bases de la foi chrétienne, il est inconcevable d’endosser une telle mesure. Considérant la fraternité universelle à laquelle nous invite le Christ dont tous les chrétiens forment ensemble le corps, il est inacceptable d’exclure ni de discriminer qui que ce soit en nos églises. Considérant que c’est par le don de sa vie que le Christ a témoigné du règne de Dieu malgré sa soumission au pouvoir humain, il n’est pas recommendable d’ouvertement combattre les décisions politiques, mais plutôt de radicalement choisir de ne jamais renier sa foi, quoi qu’il en coûte.

Tout ceci étant dit, l’application de la mesure du passeport vaccinal dans les églises m’apparaît évidemment être la pire option envisageable.

La fermeture complète des églises ne paraît pas plus avantageuse en ce qu’elle prive toute l’Église de l’eucharistie.

Garder les églises ouvertes à tous à l’encontre de l’état (en continuant de respecter les autres mesures appliquées également à toutes les personnes) m’apparaît meilleur mais bancal, en raison de l’affront direct au gouvernement, et selon le principe de l’action à double effet voulant qu’un effet bon résultant d’un effet mauvais (briser la loi) n’est pas éthique.

Autrement, appliquer la mesure tout en la contestant publiquement me semblerait être un tiède compromis qui rassemble plusieurs des effets indésirables énumérés précédemment.

Si possible, il faudrait donc imaginer une nouvelle voie qui puisse satisfaire tous les critères ci-haut. Une telle chose m’apparaît possible, en voici une intuition:

Si le gouvernement en venait à demander la vérification du passeport vaccinal dans les lieux de culte, il existe un scénario dans lequel les chrétiens pourraient refuser de s’y soumettre au nom de la fraternité universelle tout en témoignant publiquement de leur foi sans cesser de célébrer le sacrement de l’eucharistie, ni briser la loi, ni prendre de risques sanitaires téméraires. Il s’agirait d’organiser des eucharistie extérieures publiques. Les fidèles devraient assumer de sortir des murs de leur églises, elles qui ne sont pas aussi importantes que l’assemblée des fidèles, vraie Église, corps mystique du Christ. Les paroisses devraient assumer de déranger la routine établie et de changer leurs manières de faire. L’assemblée se formerait devant l’église, respectant les mesures applicables aux rassemblements extérieurs – quitte à former différents groupes réduits répartis dans l’espace —, un autel serait installé sur le parvis et, en cas de météo rude, les personnes plus fragiles comme les aînés pourraient rester dans leurs voitures quelques mètres plus loin, et peut-être suivre la célébration via diffusion radio. Ainsi, l’Église afficherait clairement son refus d’ériger la préservation de la santé individuelle en valeur plus grande que la fraternité en Dieu, et enverrait deux messages clairs:

Le premier s’adresserait aux chrétiens qu’elle interpellerait ainsi à faire preuve d’audace dans leur foi en Jésus Christ plutôt qu’à chercher le confort de la routine qui renferme sur soi. Il serait ainsi rendu clair que l’absence à la célébration eucharistique découle de la responsabilité individuelle, au delà de toute sélection arbitraire, appelant ainsi le chrétien à être authentique.

Le second s’adresserait au monde car, en se rassemblant publiquement en hiver comme en été, L’Église affirmerait au monde que sa vocation n’est pas secondaire, mais qu’elle engage corps et âme au nom d’une espérance plus grande. Elle témoignerait de sa foi de façon radicale en évitant de se confondre en politicailleries. L’inconvénient principal d’une telle approche réside en ce qu’elle est inconfortable pour les fidèles et possiblement complexe en terme d’orthodoxie de la célébration (je m’y connais peu en la matière). Il me semble cependant indiscutable que devant choisir entre le bâtiment de l’église et l’Église même, les chrétiens ne devraient jamais hésiter, sans compter que notre Pape nous exhorte depuis Evangelii Gaudium en 2014 à être une Église « en sortie » et que notre diocèse cherche comment mettre en action ces mots depuis plusieurs années…

Conclusion

Si une telle proposition éthique reste pour l’instant hypothétique, la réalité de la restriction du nombre de participants aux eucharistie est déjà bien implantée. La différence première avec le passeport vaccinal est qu’actuellement tous les fidèles ont une chance égale de réussir à obtenir une place dans l’église, ce qui semble un bien moindre mal. Ceci étant dit, j’ai l’intuition que la réflexion entamée dans ce travail a des ramifications justifiant d’emblée de revoir notre manière de permettre à tous les chrétiens qui le désirent d’avoir accès au sacrement de l’eucharistie, source et sommet de la vie chrétienne qui ne se transmet pas par une conférence zoom.

Alors voilà, au moment d’écrire ce travail en novembre tout cela était très théorique, mais maintenant qu’il est temps d’agir, je propose cet écrit comme contribution à une réflexion qui ne peut prétendre être achevée. Probablement y a-t-il d’autres avenues plus réalistes, comme continuer les célébrations intérieures avec passeport, mais choisir d’organiser systématiquement des célébrations extérieures pour ceux qui n’ont pas accès à l’intérieur afin que chaque prêtre qui célèbre et chaque croyant qui s’avance vers l’eucharistie puisse se savoir en réelle communion avec l’ensemble du corps du Christ, plutôt qu’avec son 82% adéquatement vacciné.

Liste des références

  • Cf. Conc. œcum. Vat. II, Const. Dogm. Lumen Gentium, sur l’Eglise, n.11
  • Chouinard, Tommy, 27 avril 2021, une Québécoise morte d’une thrombose liée au vaccin AstraZeneca, La Presse, https://www.lapresse.ca/covid-19/2021-04-27/une-quebecoise-morte-d-une-thrombose-liee-au-vaccin-d-astrazeneca.php
  • Ciszek, Walter J., He leadeth me, New York, Image,1973, p.125
  • Cliche, Jean-François, 16 juin 2021, vérification faite, pas encore assez de données pour vacciner les femmes enceintes, le Soleil, https://www.lesoleil.com/2021/06/16/verification-faite-pas-encore-assez-de-donnees-pour-vacciner-les-femmes-enceintes-eb49c3179a02fb4c24bae8728248ddbe
  • Harendt, Hannah, Les origines du totalitarisme, tome III, Le totalitarisme, Gallimard « Quarto », p. 832
  • Info Radio-Canada, 11 août 2021, Legault dit avoir la « légitimité » pour imposer un passeport vaccinal au Québec, Radio-Canada, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1815940/passeport-vaccinal-appui-population-legault-legitime?fromApp=appInfoIos&partageApp=appInfoiOS&accesVia=partage
  • Lelièvre, Dominique, 28 juin 2020, un curé brise les règles de la santé publique, journal de Québec, https://www.journaldequebec.com/2020/06/28/un-cure-brise-les-regles-de-la-sante-publique
  • CPAC, 16 septembre 2021, Le premier ministre François Legault s’adresse aux journalistes, The Cable Public Affairs Channel, https://youtu.be/6xXLppILzzE, 8:10
  • Pape François, Exhort. apost, Evangelii Gaudium n. 20
  • Provencher, Normand, 21 septembre 2020, les églises ne sont pas des bars, le Soleil, https://www.lesoleil.com/2020/09/21/les-eglises-ne-sont-pas-des-bars-plaide-mgr-lacroix-5121e027f437b07e441f6ecbed9bfdb0
  • Publications Québec, Charte des droits et libertés de la personne, Chapitre C-12, 1975, c. 6, a. 15.http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/showdoc/cs/c-12?fbclid=IwAR0_qj_ErrFe6eIhmBd0OlV0QZ0kgLQrMHB_QZyX98qqtnFifEYUYnFgzVc
  • Vatican news, 18 août 2021, Se vacciner est un moyen de promouvoir le bien commun, Vatican News, https://www.vaticannews.va/fr/pape/news/2021-08/pape-francois-message-video-vaccination.html

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Jérémie Laliberté

30 ans, marié depuis 2020 et père en devenir. Étudiant au BAC Multi en Théo-Philo-(Psycho?). Engagé dans l’Église de Québec auprès des ados depuis mes 16 ans.