Instruction en Famille — Les 10 questions incontournables

Jules Tréhorel
11 min readFeb 15, 2017

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Toute conversation à propos des enfants arrive forcément un jour ou l’autre à cette question : Quel âge ça lui fait ? Ah donc il/elle va à l’école maintenant !. Comme ce n’est pas vraiment une question, lorsque la réponse est Non les gens sont évidemment surpris. S’en suivent alors une série de questions dont voici les plus fréquentes.

1. C’est pas obligatoire ?

En France non, l’école n’est pas obligatoire. Cependant l’instruction l’est depuis 1882 (Jules Ferry), tout parent a obligation de pourvoir à l’instruction de ses enfants durant sa période 6–16 ans, soit en l’inscrivant dans un établissement scolaire, soit en assurant lui-même cette instruction.

2. Vous faites l’école à la maison ?

L’expression “Instruction en famille” est généralement préférée car elle fait disparaître l’idée d’école au profit d’une notion d’encadrement familial.

On distingue généralement deux pratiques différentes :

  • l’instruction formelle
    Cette pratique consiste à dispenser des cours à ses enfants, soit à l’aide de cours en ligne (notamment le CNED), soit à l’aide de cours privés. On retrouve donc (en tout ou partie) la structure de cours / programmes habituelle des écoles “classiques”.
  • l’instruction informelle
    Le but est d’acoompagner l’instruction l’enfant au travers de ses expériences de vie quotidienne, en se concentrant sur les apprentissages autonomes, dirigés par l’enfant, sans professeur, ni évaluation formelle de l’acquisition des savoirs/compétences.

Si la première pratique diffère de la scolarisation traditionnelle surtout par la forme, l’instruction informelle quant à elle, s’y oppose aussi sur le fond (refus des programmes, de l’évaluation…). Dans les deux cas cependant, il faut bien sûr s’imaginer que l’instruction ne se passe pas exclusivement “à la maison”. Insistant sur l’importance des expériences vécues, les familles pratiquant l’IEF auront tendance à favoriser les sorties et la découverte du monde extérieur.

3. Et la socialisation ? Comment il/elle se fera des ami(e)s ?

Aussi inattendu que cela puisse paraître, l’IEF améliore généralement la socialisation des enfants.

Beaucoup des enfants instruits en famille, le sont suite à un mal-être scolaire (pression des résultats, brimades voire violences…). Leur déscolarisation leur permet de s’éloigner de ce problème et de retrouver confiance en eux.

D’autre part, la socialisation apportée par l’école traditionnelle est elle-même contestable. En effet, les enfants y sont séparés en groupes de même tranche d’âge, et malheureusement trop souvent de même catégorie sociale. Leurs seuls référents du monde adulte sont des personnes avec qui ils ont une relation précisément définie (appreneur/apprenant, rapport d’autorité).
En comparaison, l’IEF permet là une socialisation beaucoup plus diverse et plus naturelle, car non imposée à l’enfant, ce qui permet selon certains psychologues une maturation plus rapide des enfants.

Enfin, comme il s’agit d’un point qui préoccuppe énormément les familles se lancant dans l’aventure de l’IEF, celles-ci s’organisent très souvent entre-elles pour faire des rencontres et des sorties groupées.

4. Comment vous allez lui enseigner les contraintes ?

On ne fait pas toujours ce qu’on aime.
On ne peut pas vivre dans la société sans règles.
L’école leur apprend à se plier à l’autorité.

On suppose ici que l’école effacerait un laxisme parental, grâce à un ordre imposé par la soumission à une autorité (le/la professeur), dans une vision très militariste de l’école.

Tout d’abord, il est nécessaire de gommer une confusion importante, liberté d’apprentissage ne signifie pas éducation laxiste (Freedom, Not License!). Tous les enfants ont besoin de règles, et ils aiment d’ailleurs ça. Combien de parents se sont fait gronder par leurs enfants car ils avaient omis un rituel récurrent ou enfreint une règle précédemment indiquée comme primordiale (pas de chaussures dans la maison, ne pas traverser au feu rouge etc…) ?

Le laxisme se définit par une absence de cadre, un flou des limites entre ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. Avoir confiance en la capacité d’apprentissage de son enfant et le guider dans son envie d’apprendre n’est en rien incompatible avec l’établissement de règles de vie en famille ou en société.

5. Et s’il/elle ne veut rien apprendre ?

Si je laissais mes enfants sans école ils passeraient la journée devant la télé en mangeant des chips.

Si en temps normal cela leur est interdit, ca sera probablement le cas, et c’est tout à fait logique. Il est tout à fait naturel lorsque l’on est laissé en autonomie complète, sans contraintes lourdes, de se tourner vers une activité de loisir, car c’est ce qui nous intéresse.

Alexander S. Neill a d’ailleurs tenté l’expérience en créant son école alternative Summerhill et en y appliquant une pédagogie fondée sur la liberté et le respect de chacun. Il y remarque qu’après plusieurs mois durant lesquels les enfants s’amusent et jouissent de leur liberté comme bon leur semble, ils finissent par se diriger d’eux-mêmes vers les activités d’apprentissage. Neill expliquera ce phénomène comme un épuisement de l’intérêt. Selon lui, toute activité découle de l’intérêt qu’on y porte, une fois cet intérêt épuisé, les enfants naturellement se tournent vers une autre activité. Il va même jusqu’à expliquer certain comportements déviants ou névroses par la répression de ces activités d’intérêt, et affirme qu’il est nécessaire d’y laisser libre cours pour une construction saine des enfants.

Si l’on regarde de plus près ce qu’il se passe entre sa naissance et ses 3 ans (âge classique de rentrée à l’école), on remarque la quantité phénoménale d’apprentissages que l’enfant engrange : s’asseoir, se mettre debout, marcher, sauter, courir, grimper les escaliers, faire des sons avec la bouche, comprendre les mots, parler, crier, chuchoter, manger tout seul, boire, se servir de l’eau, être propre…

Pour tout cela aucun apprentissage formel ne lui a été proposé. Personne n’a demandé à l’enfant de s’asseoir en face de lui plusieurs heures durant pour l’écouter réciter les différents manières de se mettre debout et de tenir en équilibre sur ses deux jambes. Pourquoi donc une fois ses 3 ans révolu un enfant aurait obligatoirement besoin d’un maître pour continuer à s’instruire ?

Les enfants ont naturellement la soif d’apprendre. André Stern, en reprenant la théorie de l’intérêt de Neill, le définit d’ailleurs comme une prédisposition naturelle de l’enfant : l’enthousiasme.

6. Comment il/elle va faire pour apprendre les tables de calcul ?

Et la lecture ? La trigonométrie ? Les verbes irréguliers en anglais ?
On n’apprend rien sans efforts…
Il faut bien les forcer à apprendre ce qui leur est nécessaire…

Dans le système scolaire, cette assertion est toute à fait recevable. A partir du moment où les apprentissages donnés ne sont pas choisis pas l’enfant, et sa progression dans les classes supérieures conditionnée à l’acquisition de ces compétences, il est évident qu’un effort lui est nécessaire pour mettre de côté ses envies et se conformer aux attentes du programme scolaire.

En revanche, si l’on se débarasse de cet ultimatum des “acquis de fin de cycle”, on peut accepter que le déblocage de ces “compétences-clés” se déclenchera de lui-même le jour où l’enfant en ressentira un besoin suffisament important à ses yeux pour déclencher chez lui une motivation d’apprentissage.

Un enfant qui souhaite faire du théâtre devra pour cela lire des oeuvres, un enfant qui souhaite faire du pain ou devenir boulanger devra comprendre la biochimie des levures et de la fermentation, un enfant qui souhaite cuisiner seul devra non seulement apprendre à lire la recette, mais en plus comprendre les fractions (proportions), lire un poids sur une balance, apprendre à conceptualiser le temps pour le minuteur etc… (la cuisine est un très bon moyen d’apprentissage de l’outil mathématique).

L’avantage de ce principe est qu’il met de côté un certain nombre de savoirs. Pour reprendre l’exemple de l’enfant qui souhaite devenir boulanger, celui-ci n’ira pas apprendre de manière spontanée les règles de trigonométrie car il n’en ressentira pas le besoin pour s’épanouir dans son métier ni sa vie quotidienne. Cela remet en question les programmes scolaires et l’importance des acquis, que ca soit au titre de leur utilité dans la vie/un métier, ou au titre d’une culture générale/scientifique/littéraire/historique…

7. Il/Elle n’ira jamais à l’école ?

Cela dépend des familles. Certaines sont catégoriquement anti-écoles, d’autres peuvent être amenées à y laisser leur(s) enfant(s) pour diverses raisons : emploi du temps trop chargé, aveu d’échec de l’IEF, demande de l’enfant, changement d’emploi.

8. Et si il/elle veut avoir un diplôme, faire des études ?

S’il s’agit uniquement de la question pratique, les enfants peuvent bien évidemment passer les diplômes/concours en tant que candidat libre. Beaucoup d’enfants IEF passent d’ailleurs le DNB et le baccalauréat, quelquefois en allant à l’école l’année précédent le diplôme, mais le plus souvent en préparant chez eux.
La question paraît parfois irrecevable au sein des familles IEF car leur démarche incite les enfants à découvrir une voie professionnelle qui les intéresse, les motive avant de décider quelles études/diplômes il leur faut viser, et donc l’inquiétude commune du “passage du BAC” semble incongrue (il existe d’ailleurs des alternatives à celui-ci, comme le DAEU).

Concernant les études supérieures, bien qu’au premier abord les universités semblent assez réticentes à intégrer comme étudiants des enfants IEF, certaines grandes écoles ayant tenté l’essai en sont ravies. Stanford explique cela par la passion et la vitalité intellectuelle qui se dégagent de ces étudiants. Celles-ci peuvent en partie s’expliquer par le fait qu’ils aient volontairement choisi d’intégrer ces écoles par envie personnelle et non pas car c’était l’échelon suivant sur un parcours où leur réussite scolaire les a amené automatiquement. Vient s’ajouter à cela leur vision atypique de l’apprentissage qui apporte un effet bénéfique et un oeil nouveau au groupe des étudiants.

9. Ca ne vous fait pas peur ?

Tout parent s’inquiète pour ses enfants. Et evidemment, un acte aussi important que de choisir de ne pas scolariser son enfant amène beaucoup plus de questions que de réponses. Confiance et patience sont ici les maîtres-mots pour affronter cette constante incertitude.

Confiance en les capacités de curiosité, d’émerveillement et donc d’apprentissage des enfants.

Patience de laisser les enfants grandir à leurs rythmes, de se rassurer et de rassurer les proches qui les analyseront immanquablement sur la base des échéances scolaires.

10. Pourquoi ?

Cette question mériterait un article à part entière. Chaque famille trouve en l’IEF différentes motivations. En voici quelques-unes :

Pour s’adaptater à chaque enfant

Il est assez difficile de croire que tous les enfants évoluent au même rythme, et adhèrent de la même manière à la méthode pédagogique scolaire traditionelle. L’IEF permet de s’adapter au rythme de vie et d’apprentissage de chaque enfant.

Beaucoup de familles citent les problèmes des rythmes de sommeil comme un élément important dans leur choix d’IEF, considérant qu’il est compliqué pour l’enfant d’avoir ses 10–13h de sommeil quotidien en prenant en compte les temps de trajets pour aller à l’école, sans diminuer les moments de vie en famille (déjà rognés par le temps des devoirs).

Le rythme d’apprentissage est aussi un élément récurrent, notamment à cause des programmes scolaires. C’est un euphémisme de dire que ces derniers ne font pas l’unanimité, aussi bien chez les parents d’élèves que chez les enseignants.

Pour boucler le programme, 87 % [des enseignants] disent «survoler certains chapitres» et 78 % estiment devoir «laisser trop souvent des élèves de côté».

L’IEF repose sur l’affirmation que la personne la plus apte à décider de ce qu’il est important d’apprendre pour un enfant, est ce même enfant, stimulé par un environnement fertile en apprentissage, ses intérêts et ses passions.

Par envie de liberté

Liberté pour les enfants de jouer, de se reposer, de s’investir dans différents projets (sportifs, culturels, associatifs) quand bon leur semble.

Liberté pour la famille de choisir ou de changer de rythme de vie, de voyager, d’effectuer des découvertes (qui seront d’ailleurs cruciales pour l’apprentissage de l’enfant).

Pour la famille

Instruire son enfant en famille signifie forcément passer plus de temps de qualité avec lui, le voir grandir. Cela permet de créer et d’entretenir des liens solides entre tous les membres de la famille (parents, frères, soeurs).

Par possibilité

Ce choix d’instruction demande une disponibilité très importante du ou des parents, pour pouvoir répondre aux demandes des enfants. Cela est incompatible avec des parents qui travaillent à plein temps et implique donc un changement de revenus conséquent.
Au passage, il est important de rappeller que les enfants instruits en famille ne peuvent bénéficier de l’allocation de rentrée scolaire.

Au contraire de ce que l’on pourrait croire, il n’est pas nécessaire pour les parents de disposer de formations pédagogiques (même si elles sont bien évidemment un plus), seul suffit le besoin de satisfaire la curiosité, l’appétit d’apprentissage de l’enfant, en lui fournissant des ressources adéquates (livres, films, musiques, activités, sorties au musée etc…).

Et pourquoi pas ?

Le modèle d’apprentissage scolaire, bien que relativement jeune (moins de 200 ans), et malgré plusieurs preuves de son échec (presque 1 enfant sur 5 est en situation d’illetrisme à l’entrée au collège), est difficile à remettre en question en France car il apparaît comme le seul en place.

Dans le monde entier, l’école nuit à l’éducation parce qu’on la considère comme seule capable de s’en charger.
Ivan Illich — Une société sans école

Cependant si l’instruction est obligatoire, c’est bien aux parents qu’il incombe de choisir quel type d’éducation leurs enfants doivent recevoir. L’IEF consiste simplement à refuser de déléguer ce droit à l’Etat et à l’Education Nationale.

Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants.
Déclaration universelle des droits de l’homme (Article 26.3)

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