Ce que j’ai appris en ne lisant que des auteurs féminins pendant un an
Et pourquoi ça ne te ferait pas de mal
“Jamais une auteure femme n’a été au programme de littérature en terminale L.”
C’est ce que nous apprenait une pétition il y a quelques mois. Oui, le bac L, celui où 80% des étudiantes sont des femmes, et 80% des profs de français aussi (au moins).
Franchement, qu’est-ce que ça change ?
Et pourquoi est-ce que ça serait un problème ? Après tout, le propre d’un bon écrivain, c’est de pouvoir écrire sur tout, de tous les points de vue, n’est-ce-pas ? Anouilh peut faire Antigone, Flaubert peut faire Bovary, Tolstoï peut faire Karénine. Pourquoi les hommes ne pourraient-ils pas faire le travail ?
Et pourtant… ce n’est pas la même chose. Comment vous expliquer ? Voici un exemple intitulé “If We Wrote Men Like We Write Women” (“Si nous écrivions les hommes comme nous écrivons les femmes”):
Très souvent, les livres écrits par des hommes ont un homme comme personnage principal.
Trop souvent, le résultat est que les femmes se retrouvent confinées dans un spectre allant de plante verte à objet de fantasme (la maman ou la putain).
Sortir de ‘la maman ou la putain’
Un jour, j’ai lu l’histoire d’une femme qui se sentait tellement écrasée par les attentes de ses proches et de la société (avoir un bon job, un enfant, vivre heureuse en couple) qu’elle part au fin fond de la forêt canadienne et retourne à l’état sauvage.
Ni maman, ni putain, c’était un plaisir de lire une histoire de femme à laquelle je pouvais pleinement m’identifier.
Si on veut que les femmes aient confiance en elles, il faut leur donner à voir des personnages dans lesquels elles peuvent se reconnaître. Des vrais humains, pas des stéréotypes. C’est notamment le rôle de l’école.
Rattraper le temps perdu ?
Quand j’ai découvert Atwood, j’ai réalisé combien j’ai grandi à travers les yeux d’un homme. J’étais un homme dans mes lectures, les films que je voyais, les jeux auxquels je jouais…
Fermez les yeux et citez moi 10 réalisateurs féminins.
Je sais, au bout de 3 ça devient difficile. Pareil pour les metteurs en scène. Ou les auteurs de BD.
Ca m’a donné envie d’essayer d’égaliser la balance, ne serait-ce que pour moi. Ca fait maintenant plus d’un an que je ne lis que de la fiction écrite par des femmes.
Joyce Carol Oates, Chimamanda Ngozi Adichie, Colette, Véronique Ovaldé, Nancy Huston, Elena Ferrante, Françoise Sagan : j’ai découvert des auteurs extraordinaires. Les fréquenter m’a appris beaucoup sur le fait d’être une femme, de grandir en tant que femme, de “devenir femme”.
Lire tout le monde
En chemin, j’ai réalisé qu’un livre écrit par une femme avait très souvent, (même si ça mérite une étude plus approfondie que cette photo dans ma chambre) une femme en couverture.
Est-ce un biais inconscient des éditeurs qui considèrent qu’un livre écrit par une femme est un livre “de femme”, et donc destiné uniquement aux femmes?
Je suis contente d’avoir pu, petite, me mettre dans la tête d’un garçon.
Inversement, je pense que tout garçon se demande ce qui se passe dans la tête d’une fille.
Or, en leur faisant comprendre que les livres écrits par des femmes ne sont pas pour eux, on coupe les garçons de cette curiosité naturelle, on les empêche de se mettre à la place des filles.
C’est dommage, parce que c’est très utile, l’empathie.
Je pense qu’on devrait faire lire des livres écrits par des femmes à tout le monde.
Ce n’est évidemment pas qu’une question de genre, mais aussi d’origine et de religion. Qu’est-ce que ça fait d’être d’avoir l’air Arabe en France, d’être Nigérian au Royaume Uni ou Nigérian aux US ? Tout cela compte.
L’art y gagne quand les voix viennent de partout.
You read enough books in which people like you are disposable, or are dirt, or are silent, absent, or worthless, and it makes an impact on you. Because art makes the world, because it matters, because it makes us. Or breaks us.
— Rebecca Solnit, Men Explain Lolita to Me
Vivre à travers les yeux de tout le monde fait de nous des êtres humains doués d’empathies, capables de s’adapter, et d’être épanouis. Changeons l’école : faisons un peu évoluer la règle la règle des “mâles blancs morts”.
Pour lire heureux, lisons tout le monde.
Merci de m’avoir lue ! Tu veux continuer la conversation, me conseiller un livre ou me dire quel pourcentage de tes livres d’auteurs féminins ont une femme en couverture ? Je parle aux femmes et même aux hommes (ew!) sur Twitter!
En panne d’inspiration ? J’ai commencé ce Google Sheet participatif de livres merveilleux écrits par des femmes. Ajoute ton livre préféré ! https://docs.google.com/spreadsheets/d/1Mpei5KCUFXuhXL8BVRCBnh9jsXaNBVVa7cYeBf0uKjI/edit#gid=0
Edit: Le directory qui avait commencé à 20 livres en compte maintenant 234 ! De quoi se refaire une bibliothèque ;)
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Merci à Adriana, Emilie, Juliette, Léa et Karolien d’avoir relu une première version de cet article. Vous êtes des stars.