Professions de foi

Julien Maury
6 min readSep 15, 2018

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Il y a 10 ans je travaillais pour la banque Lehman Brothers quand elle a fait faillite, manquant de peu de précipiter les économies mondiales avec elle. Je l’ai vécu comme une petite mort, une renaissance qui m’a permis d’explorer un autre système de croyances, d’autres actions et compétences, basées sur l’innovation, l’écologie, l’engagement militant. Je m’apprête à prendre un nouveau virage. Riche de ce parcours, je pense qu’il est urgent de réintroduire les émotions dans le monde économique. Tomber les masques! Blaise Pascal l’avait annoncé il y a quatre siècles : « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas ».

Il y a 10 ans aujourd’hui, je voulais me perdre. J’étouffais dans un costume étriqué de cadre dynamique nourri par un système financier qui s’emballait et me paraissait absurde, cruel, déconnecté du réel. Ma raison m’inclinait à me taire, à être un bon soldat tandis que mon cœur criait sauve-toi ! Tiraillé, encore trop jeune pour croire que le système économique dominant faisait fausse route, j’ai posé un long congé sabbatique. J’ai fui en quelque sorte. Je me suis laissé dériver en taxi-brousse sur les routes les plus poussiéreuses de la belle île de Madagascar. Après des jours sans électricité, sans eau courante, j’ai retrouvé les joies d’internet dans un petit café au nord de l’île, à Diego Suarez. C’était le 15 septembre 2008 et sur le site du Monde s’étalait en grosses lettres la nouvelle que j’attendais sans oser l’imaginer. Un krach qui allait ébranler les économies mondiales comme jamais depuis 1929. La banque Lehman Brothers, qui réglait mes généreuses fiches de paie depuis 3 ans, avait déclaré faillite, là-bas à l’autre bout du monde. Choqué et soulagé à la fois, j’ai retrouvé une partie de moi à cet instant. Mon conflit intérieur avait cessé: je n’étais pas ce doux fou, ce profil atypique. C’était le monde qui marchait sur la tête.

Mon départ s’est heureusement fait plus en douceur!

Il y a 10 ans je croyais encore que ce choc serait assez puissant pour que les « experts » — avec le recul je me demande bien lesquels, disons les gens aux commandes — trouvent les causes et appliquent des solutions. Qu’ils fassent en sorte, avec notre aval, que les citoyens ne paient plus (impôts, dettes, chômage) à la place de banquiers sourds et aveugles à leur propre « exubérance irrationnelle » comme disait le directeur de la Federal Reserve à l’époque. J’étais convaincu qu’il y aurait un avant et un après. Si cela n’a apparemment pas été le cas pour tout le monde, ce fut pour moi comme un rite de passage. Ma soif de changement était rendue plus nécessaire encore par la prise de conscience du krach écologique (j’avais lu 2030, le krach écologique de Geneviève Férone chez Grasset). Mon salut est venu de mon engagement à corps perdu dans l’innovation verte et sociale. Pour le coup j’écoutais enfin mon cœur et il m’a donné de l’élan pour des années. Merci à lui! Mais peut-être n’était-ce pas raisonnable d’espérer que les comportements individuels allaient changer si vite. De mon côté j’agissais en réaction à l’effondrement de mes croyances en en créant d’autres. L’enjeu était énorme? Tant mieux finalement: les bonnes volontés, l’intelligence collective et la résilience deviendraient nécessaires. Je sais bien maintenant que je faisais preuve de naïveté. A l’époque mieux valait ça que la dépression (oups un mot qui fâche). Avec ma petite entreprise j’ai donc œuvré sans relâche pour jeter des ponts entre des consommateurs engagés et un secteur industriel à fort impact, le logement, que je connaissais bien et qui pouvait changer la donne. Et ça a foiré.

L’habitat participatif, une belle idée de partage qui a du mal à percer en France

J’ai dû à mon tour mettre ma petite entreprise en faillite, faute de résultats suffisants. Passées la honte d’avoir «échoué» (je me suis bien marré et j’ai beaucoup appris) et la déception d’avoir visé trop haut (satané égo qui me pousse à la perfection), c’était surtout un nouvel effondrement de mes croyances que je traversais. Et pas que des miennes car peu de collègues « entrepreneurs du changement » ont réussi à modifier la trajectoire au long cours de ce système en roue-libre. En 10 ans, je suis passé du confort du déni à la peur du chaos. De l’énergie du révolté à la fatigue du sauveur. Alors aujourd’hui à quelles branches me raccrocher ? Quelles leçons en tirer ?

Je crois que le mental seul ne peut pas prendre les bonnes décisions. Qu’il doit se mettre au service du cœur, de l’intuition, de la justesse. Si j’avais su mieux écouter mes émotions alors j’aurais peut-être quitté plus tôt des environnements qui ne me convenaient plus. Je me serais sans doute épargné bien des doutes et des souffrances. Je n’ai pas de regrets car à l’époque on n’enseignait pas les rudiments de l’intelligence émotionnelle à l’école, encore moins en entreprise; la vie s’en est chargée ! Au delà de mon cas particulier, je pense que les crises majeures que l’humanité traverse sont dues à un déficit de ressenti, à un verrouillage émotionnel, à la peur d’être authentique ou vulnérable. Cette peur de perdre la face nous soumet à une autorité néfaste. La fortune ou la notoriété ne sont-elles pas des palliatifs (inefficaces de surcroît) à un manque de sécurité, à une raison d’être ? Chercher à battre un concurrent, à être toujours plus performant, n’est-ce pas combler un manque d’estime de soi ? Vouloir briller de son vivant ou assurer sa descendance (je ne parle pas d’amour filial) n’est-ce pas esquiver la peur de la mort ? Les émotions sont de gros panneaux indicateurs qui pointent vers nos besoins primaires. Je vais aujourd’hui faire un 3e virage professionnel et je souhaite que mon mental soit au service du cœur.

Alors cette nouvelle croyance? La collapsologie peut-être? Ce courant de pensée identifie les causes probables de l’effondrement… et a le mérite d’envisager une suite. Ouf ! Un peu comme Edgar Morin (enfin je crois) : être pessimiste par raison et optimiste par conviction. A la condition de sortir du mental toutefois!

Calligraphie du maître bouddhiste Thich Nhat Hanh qui a beaucoup fait pour adapter la pleine conscience aux esprits occidentaux. Et les ramener au moment présent.

C’est finalement ma pratique personnelle de la méditation qui me met le plus en joie depuis des années. Elle est un contrepoids à ma raison. En entraînant mon esprit à revenir au corps, au souffle, à l’instant, j’ouvre un espace où je respire en grand. Une parenthèse bienheureuse où j’accepte la course du monde. Et la mienne. La pleine conscience réduit la complexité. Elle change mon regard et fait briller le quotidien: voir grandir ma fille, réparer mon couple, cultiver mon jardin, profiter pleinement des rencontres, gravir la dune. J’y puise une telle tranquillité que j’ai simplement envie d’en faire ma nouvelle profession. De foi…on ne se refait pas !

Et entretemps j’en aurai appris des choses !

  1. Le déni ça finit par te revenir dans la gueule. Même à l’autre bout du monde, cherche pas.
  2. Prévoir le pire ça peut s’avérer utile mais en fait c’est fatiguant. A consommer avec modération.
  3. Jouer au sauveur ça rassure. Un temps seulement. Après on a besoin de victimes…
  4. Mieux vaut oser par naïveté que se taire par cynisme (en tout cas je trouve ça plus joyeux)
  5. Le bonheur c’est comme la chance, ça se construit et se conjugue au présent

Si ce billet te parle alors bienvenue ! Je serai content d’échanger ici, sur Facebook ou dans la vie réelle de tous les jours ici-bas maintenant pas trop loin.

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