La rom-com à l’anglaise

Cinq métrages et un rayonnement

Julie Ruiz
17 min readMar 21, 2020
Une touriste photographie une boutique de souvenirs qui met le film Coup de Foudre à Notting Hill à l’honneur.

Hugh Grant dort comme un bienheureux dans la lumière grisâtre d’un matin anglais. Il ouvre ses yeux bleus pâles et se tourne vers le réveil. Fuck ! Il bondit de son lit et part conquérir les cœurs. Le plan d’ouverture de la première comédie romantique anglaise “classique”, Quatre mariages et un enterrement, est une bonne allégorie de l’arrivée des Anglais dans le genre : un sursaut.

En 1994, le film Quatre mariages et un enterrement, modeste production britannique, devient immédiatement un classique de la comédie romantique, rom-com pour les initiés, et un phénomène international au Box-office qui éveille l’intérêt pour un cinéma britannique jusqu’alors assez discret. Pourtant rien ne laissait à penser que l’histoire de ce film serait un conte de fées.

Elle commence par le scénario vaguement autobiographique d’un auteur relativement inexpérimenté, Richard Curtis. La société de production indépendante anglais Working Title qui était plutôt connue dans le milieu comme des faiseurs de clips, décide de donner sa chance à ce film sans prétention. Il narre avec une grosse cuillère à thé d’humour anglais, les aventures du timide Charles, avatar de fiction de Richard Curtis, de Carrie, une américaine délurée, et de leur groupe d’amis au fil, donc, de quatre mariages et d’un enterrement.

Pendant le tournage, les acteurs ne comprennent pas ce qu’ils font. “On pensait que le film serait tellement mauvais qu’on devrait tous déménager au Pérou”, plaisante souvent Hugh Grant, acteur principal et grande révélation du film.

Le film rapportera 246 millions de dollars au Box-Office pour un budget de 6 millions de dollars et personne ne déménagera en Amérique du sud. Working Title est propulsé au rang des sociétés de production les plus influentes du Royaume-Uni. Il faut dire qu’elle vient de trouver la recette de la Rom-com à l’anglaise, qui va régner sur le genre pendant toute une décennie. Le succès surprise de cette comédie entraîne un regain d’intérêt et une reprise de l’investissement dans la production cinématographique britannique. Quatre mariages et un enterrement marque le début de la ruée vers l’or. L’or, ici, c’est l’amour et l’humour anglais.

Même Hollywood s’essaie à la love story sauce Worcestershire avec Pile et Face (1998). Mais, au rugby comme dans l’art de la rom-com, il n’y a que les Anglais qui gagnent dans les années 1990. En 1999, Working Title et Richard Curtis reviennent avec Coup de foudre à Notting Hill et transforment l’essai. L’histoire d’amour improbable entre William (Hugh Grant), un libraire tout aussi timide et romantique que son ancêtre Charles, et d’Anna Scott (Julia Roberts), une star hollywoodienne. Décomplexé par le succès de 1994, le film joue à fond la carte de la britannité en faisant du quartier de Londres où se déroule l’intrigue, Notting Hill, un point central du film. Et le public reprend du lemon curd. Le succès de Coup de foudre à Notting Hill dépasse toutes les attentes et le film devient aussitôt la rom-com préférée de toute une génération. “Je n’aime pas les comédies romantiques, sauf Notting Hill”, est d’ailleurs, encore aujourd’hui, une phrase assez populaire dans les milieux cinéphiles.

Considéré par certains spécialistes comme l’essence et l’apogée de la rom-com à l’anglaise, Le journal de Bridget Jones sort en 2001. Richard Curtis scénarise cette fois le best-seller éponyme de l’auteure britannique Helen Fielding. Le film raconte les tribulations d’une trentenaire londonienne, fumeuse, buveuse, gaffeuse dont le cœur balance entre l’égocentrique Daniel Cleaver (Hugh Grant) et le distant Mark Darcy (Colin Firth). Là encore, on a affaire à un phénomène mondial qui fera dire à toute une génération de femme : “Je suis Bridget Jones”.

Les films avec Hugh Grant

Après presque dix ans à écrire les histoires d’amour les plus populaires de son temps, Richard Curtis passe derrière la caméra en 2003 pour déclarer à son public son Love Actually. Un film choral qui réunit un casting aussi étoilé que la belle nuit de Noël et qui narre les histoires de cœur d’une galerie de londoniens à la veille du 25 décembre. Le film explose le record de londonitude à chaque plan et colonise l’Amérique et le monde devenant la rom-com des vacances de fin d’année.

La suite du Journal de Bridget Jones, Bridget Jones: l’Âge de raison sort en 2004. Cette fois, Bridget Jones, toujours trentenaire, toujours londonienne, toujours fumeuse, buveuse, gaffeuse, se sépare de Mark Darcy au début du film qui va, du coup, réunir les deux amoureux pour qu’ils se passent la bague au doigt avant le générique de fin. Les cloches du mariage de Bridget Jones sonne le glas de la décennie des comédies romantiques britanniques. La scène semble répondre à Carrie et Charles qui en 1994 s’étaient promis de ne jamais convoler. Avec le mariage de Bridget, les rom-com à l’anglaise signifient à un public, encore nombreux, qu’elles ont dit tout ce qu’elles avaient à dire.

Cinq films, cinq références du cinéma populaire des années 1990–2000, cinq indispensables pour tout amoureux des comédies romantiques.

Les rom-com à l’anglaise sont des standards du genre. Elles possèdent même des caractéristiques communes qui permettent d’en faire une branche à part entière. Les castings très british de ces cinq films, sont le lien le plus évident pour les spectateurs. Certains profanes se contentent d’ailleurs d’appeler les rom-com à l’anglaise, les “films avec Hugh Grant”.

La photographie des rom-com à l’anglaise crée subtilement une sensation d’unité, l’impression que l’on est dans le même univers d’une fiction à l’autre.

Trois de ces films ont ainsi le même chef opérateur. Michael Coulter qui avait déjà plus de 15 ans d’expérience dans le cinéma britannique quand il signe la photographie de Quatre mariages et un enterrement. A l’époque, Michael est un habitué des productions à (très) petits budgets grâce auxquelles il a appris à créer une ambiance avec rien, “même pas la vision du réalisateur” comme il l’explique dans Creativity And Constraint In The British Film Industry. Pour les rom-com à l’anglaise il se contente de la lumière naturelle sublimée par sa botte secrète : le réflecteur, souvent doré, qu’il braque sur les visages des acteurs pour leur donner un grain caractéristique, un peu angélique.

Beaucoup utiliser le mot Fuck

Contrairement aux productions américaines de l’époque, les films assument voir revendiquent leur proximité avec la création télévisuelle (compréhensible, au pays de la BBC). Les cadres sont souvent fixes et très académiques. Comme dans les adaptations cinématographiques de Shakespeare ou de Jane Austen, les rom-com à l’anglaise se veulent aussi dépouillées que possible pour ne dire que l’essentiel : l’histoire.

Le cadre, la lumière, les costumes, le maquillage, au fond, dans ces films tout est fait pour servir l’écriture, l’élément caractéristique le plus important des rom-com à l’anglaise. Les scénarios de ces cinq succès internationaux sont tous signés de la même main : celle de Richard Curtis. Les yeux plus bleus et plus pâles encore que ceux de ces personnages principaux, le scénariste est décrit par ceux qui travaillent avec lui comme un “authentique romantique devant l’éternel”, selon la formulation de Hugh Grant.

Pourtant Richard Curtis refuse catégoriquement l’étiquette de sentimental: “Si vous écrivez une histoire sur un soldat qui déserte et qui kidnappe une femme enceinte et la tue, on dit que c’est brûlant de réalisme, même si ce n’est jamais arrivé dans l’histoire de l’humanité. Mais si vous écrivez deux personnes qui tombent amoureux, ce qui arrive un million de fois par jour, je ne sais pas pourquoi, mais vous serez accusé d’écrire des histoires irréalistes et gnan-gnan.” Pour lui, ces histoires sont drôles et fortes car il connaît “intimement les sujets” et “aussi parce que j’utilise beaucoup le mot Fuck”, aime-t-il préciser en interview.

Les personnages de Richard Curtis sont un peu paumés, comme lui, comme nous. Ils sont dépassés par leurs histoires somme toute ordinaires. “La différence avec les comédies américaines en vogue à l’époque, c’est qu’elles sont crédibles. Elles nous donnent l’impression qu’elles pourraient nous arriver à nous”, explique Lorena, cinéphile chevronnée et fan inconditionnelle des rom-com à l’anglaise.

Des touristes profitent de Notting Hill, un samedi après-midi, malgré le temps changeant.

C’est parce que Richard Curtis tient à écrire sur son monde, qu’il parle tant de la Grande-Bretagne dans ses films. C’est certainement grâce à cette discipline d’écriture que sa britannité transpire avec autant d’authenticité de chaque image de la pellicule.

Le retour en grâce des rom-com de sa majesté constitue d’ailleurs une sorte d’ironie extra-diégétique. Dans la première moitié des années 1990, Hollywood venait de relancer l’engouement du public (féminin) pour les comédies romantiques, un genre tombé en désuétude depuis les années 1960, avec des succès populaires comme Nuit Blanche à Seattle ou le culte, Pretty Woman, des histoires d’amours aux allures de contes de fées façon American Dream.

Une comédie vue de loin

La prise de pouvoir britannique sur ce genre jusque là colonisé par les Yankees est “une forme de retour aux sources”, s’amuse Kiernan Ryan, professeur et chercheur au Shakespeare Institute. “Shakespeare, le pilier de la littérature anglaise, est l’inventeur des comédies romantiques. Dans des comédies comme La mégère apprivoisée, Beaucoup de bruit pour rien et Le songe d’une nuit d’été, on trouve les mêmes essentiels du genre qu’au cinéma”. Les premières rom-com au cinéma, les screwball comedy, dont le New-York-Miami (1934) de Frank Capra est le plus fier représentant, “tenaient énormément des comédies de Shakespeare dans la dynamique antagonique du couple formé par les héros”. On retrouve la structure en trois actes et deux éléments perturbateurs des comédies romantiques classiques du cinéma dans les cinq actes de la Old Comedy shakespearienne.

Mais l’héritage le plus important des comédies de Shakespeare selon Kiernan Ryan, c’est “l’idée que la vie est une tragédie vue de près et une comédie vue de loin. La base de l’humour anglais”. Pour l’expert, cette idée infuse les rom-com à l’anglaise : “Hugh Grant n’a rien d’un acteur shakespearien au sens classique, mais son jeu de distanciation constante des situations, ça aurait beaucoup fait rire Shakespeare”.

Selon lui, l’humour n’est pas la seule filiation entre les succès de Richard Curtis et l’illustre dramaturge. “Le fait que ces films soient si ostentatoirement de culture anglaise crée des parallèles. D’ailleurs Shakespeare est explicitement cité dans plusieurs dialogues”, avance Kiernan Ryan. Pour lui, tout ce qui est anglais est un peu shakespearien. “Shakespeare est comme l’air que respire la culture anglaise, argumente l’universitaire, il est présent jusque dans le langage sans même qu’on le remarque. Il y a une blague qui fait beaucoup rire mes collègues où un étudiant emmène sa tante provinciale voir une pièce de Shakespeare et en sortant elle lui dit “c’était bien, mais il y avait beaucoup de proverbes”.

Mais il n’y a pas que dans des références vieilles de quatre siècles que les rom-com à l’anglaise entrent en résonance avec la culture anglaise. En réalité, elles s’inscrivent dans un mouvement culturel des années 1990–2000 : Cool Britannia.

En sortant du XXème siècle, une Grande-Bretagne branchée émerge de cet vénérable nation où des gentlemen en tweed buvaient des bières claires et tièdasses au pub entre deux parties de polo. Exit les chapeaux aux couleurs douteuses de sa majesté. Bye bye aux cornemuses, aux corgi, aux Tea Party garnies d’affreux canapés aux concombres. Welcome aux robes excentriques d’Alexander McQueen, aux guitares d’Oasis, aux refrains de Blur, aux requins dans le formol de Damien Hirst et, surtout, aux folles nuits londoniennes.

Le Time Magazine décrit Cool Britannia comme “la célébration de la culture jeune britannique”, dans un article de 2016,“Une leçon d’histoire anglaise donnée par les Spice Girls”. “En supposant qu’on puisse vraiment en donner une définition, le terme fait d’abord référence au monde de la nuit branchée à Londres avec des clubs comme le Ministry of Sound et le plus underground Megatripolis”.

Aujourd’hui, le mouvement est le plus souvent associé à la Britpop, sa branche musicale. Sous genre du rock alternatif, la Britpop est composée d’airs de groupes comme Supergrass, Blur, Oasis mais surtout des Spice Girls. Dire que la Britpop a eu du succès serait un euphémisme. Avec cette vague rock, l’hystérie s’empare du Royaume-Uni et gagne l’Europe occidentale et les côtes outre-atlantiques. Le mouvement a été porté autant par le style novateur de la musique que par la fierté britannique et la hype des médias anglais, trop heureux de pouvoir enfin répondre au Grunge venu de Seattle.

Damien Hirst dans l’art, Kate Moss pour la mode, Harry Potter pour la littérature, même au foot, les Anglais semblent être au top dans tous les domaines. Au cinéma, ce renouveau est représenté par des films indépendants comme le Trainspotting (1996) de Danny Boyle.

Mais c’est les rom-com à l’anglaise qui portent le rayonnement de Cool Britannia dans les salles obscures du monde entier. La bande originale de Quatre mariages et un enterrement propulse sur le devant de la scène le groupe de pop écossais Wet Wet Wet qui reprennent l’un des hymnes du Swinging London des 1960’s : Love is all around. Le titre revient d’ailleurs comme thème principal dans Love Actually.

Le film réalisé par Richard Curtis est la rom-com à l’anglaise qui fait le plus de clin d’oeil au phénomène Cool Britannia. L’une de ces intrigues met en scène la compétition entre deux hits pour parvenir en tête des ventes de Noël, une référence directe à la très médiatisée Battle of Britpop qui opposait les singles Roll with it d’Oasis et Country House de Blur pour la première place des charts britanniques en 1994. Le film contient aussi des références plus discrètes au fleurissement des galeries d’art dans certains quartiers de bobo de Londres.

Mais l’image que beaucoup gardent de la comédie romantique de Noël est celle du premier ministre le plus cool et le plus cute de tous les temps. Cela peut surprendre, mais la scène qui voit Hugh Grant se déhancher sous les portraits de Churchill et de Thatcher dans l’escalier du 10 Downing Street n’est pas totalement étrangère au mouvement Cool Britannia.

Quoi ? T’es jamais allé à Londres ?

En effet, l’une des figures les plus emblématiques de ce mouvement culturel n’est autre que Tony Blair. Arrivé à la tête du Labour party en 1994, le quarantenaire pimpant dynamise son image et son programme politique. En acceptant l’économie de marché, le Labour devient le New Labour. Élu premier ministre en 1997, Tony Blair veut donner le même coup de jeune au Royaume.

Peu après son élection, le premier ministre et son équipe organisent à Downing Street une réception pour remercier les célébrités qui avaient soutenu le parti pendant la campagne et pour communiquer sur la proximité du nouveau régime avec la coolitude des milieux créatifs. La scène devait tenir du tableau burlesque. Eddie Izzard, Vivienne Westwood, Ian McKellen, les Pet Shop Boys, Noel Gallagher parmi d’autres et le premier ministre britannique papotant sous les moulures dans une débauche de champagne, de gin et d’alcopops. A demi-mot, lors d’une interview télévisée, le leader d’Oasis avouera qu’il a aussi consommé solide ce soir-là.

Mais, comme le note l’étude Britain Trade Mark en 1998, le Cool Britannia ce n’est pas que des paillettes, c’est aussi une réalité économique. Avec un chiffre d’affaires estimé à plus de 35 milliards de livres (environ 39 milliards d’euros, aujourd’hui), les industries culturelles, technologies de l’information et des médias, mode et design dépassaient largement les activités plus traditionnelles comme l’automobile et l’acier. A l’époque, 100 000 personnes travaillaient dans la musique, devenue la première source d’exportation du pays, 300 000 étaient employées dans le design.

Le tourisme est l’autre secteur qui a grandement bénéficié du rayonnement international de la culture made in Britain. En 1998, les dépenses des touristes étrangers sur le sol anglais frôlent les 15 milliards de livres soit quasiment le double du chiffre de 1990. Tous les occidentaux partent visiter Londres, les Français surtout, instaurant l’agaçante tradition du “Quoi ? T’es jamais allé à Londres” encore en vigueur à la pause-café de nos jours.

Les touristes vont voir Big Ben, mais ils veulent aussi voir des quartiers plus “typiques”. Le plus gros bénéficiaire de cette soif d’authenticité, grâce à un petit coup de pouce de Richard Curtis, c’est le quartier de Notting Hill.

Le n°1 à Portobello Road

Alors c’est l’histoire d’un libraire qui tombe amoureux d’une star de cinéma”, raconte Lucie à son fils, en lui montrant l’enfilade de couleurs pastels de Portobello Road, l’artère battante du quartier. Moïse, 9 ans, visite Londres pour la première fois. “On a été au centre, hier et on vient voir le marché aujourd’hui”.

Effectivement, tout le week-end sur une bonne partie de la rue (qui mesure quand même presque deux kilomètres), c’est jour de marché. Sur Tripadvisor et le site de la ville de Londres, Portobello est un marché aux puces. Sur place, on trouve bien des souvenirs, mais pas d’objets anciens (la plupart des souvenirs de Portobello Road son made in China). En zigzaguant entre les étals de tote bags et les sweatshirts I ❤ London, on peut remonter la rue jusqu’à une boutique en dur, en bleu, The Travel Book Shop qui, n’en déplaise aux plus anglophones, ne vend pas de bouquins.

L’échoppe tire son nom de la librairie que tient William Thacker, le héros du film. Au cas où la référence serait trop subtile, les gérants ont pris soin de mettre une gigantesque affiche du film Coup de foudre à Notting Hill en vitrine. Des petits groupes s’arrêtent devant la façade Klein pour prendre quelques photos. “Je les envoie à une amie à moi qui adore le film”, dit Beatriz, venue de Madrid pour passer le week-end.

A l’intérieur, le lieu baigne dans la lumière blafarde des plafonniers néon et les avertissements excédés des parents qui préviennent leur ados que “c’est soit la casquette, soit le mug. Et si tu choisis pas toute de suite, on s’en va sans rien”. L’ensemble du magasin n’est pas dédié au film “quand le film est sorti, je crois que la majorité des choses que l’on vendait était en rapport avec le film, explique Danielo, vendeuse ici depuis deux ans, le gérant actuel m’a même dit qu’il vendait des livres de voyage.

Le coin des souvenirs du film culte au Travel Book Shop, boutique de souvenirs à Notting Hill.

Aujourd’hui, on ne peut plus trouver de mauvais ouvrages sur la Thaïlande, au Travel Book Shop mais on peut encore acheter des mugs austères qui reprennent les citations les plus connues du film. On peut aussi acheter de quoi customiser son frigo à l’effigie d’Anna Scott ou de William Thacker. En s’approchant, on peut voir que ces souvenirs de Coup de Foudre à Notting Hill, prennent la poussière sur les étagères. “On pensait en vendre, un peu plus pour la Saint-Valentin, regrette Danielo, mais les ventes de souvenirs sont en baisse partout dans le quartier. Les gens prennent juste des photos. Plusieurs fois par jour, on me demande quand même où est The Blue Door”.

La porte bleue en question est le domicile du libraire londonien dans le film. Trois scènes importantes de l’histoire d’amour entre Anna et William se jouent autour de cette porte. Des groupes de filles jeunes et moins jeunes continuent de s’y arrêter pour prendre un selfie. Une à deux fois par mois, les guides du Britmovietour, une agence de tourisme spécialisée dans les lieux de tournage, y emmènent en pèlerinage les fans de rom-com à l’anglaise les plus mordus qui pour la modique somme de 15 euros, peuvent s’offrir une visite guidée dans leurs films préférés. “La porte bleue est le clou de la visite”, martèle l’agence.

Etape romantique indispensable pour les touristes, la façade de cette maison à colonnes dans un coin un peu isolé de Notting Hill, est un tout autre symbole pour les riverains. “C’était un quartier tranquille quand j’ai acheté ici dans les années 1980”, se souvient Robert en jetant un regard exaspéré à un groupe de touristes qui tiennent leurs smartphones à bout de bras. “Pas vraiment tranquille, se reprend-t-il, il y avait de la vie, c’était un quartier très mélangé avec plein de communautés différentes, avec des artistes, des professeurs”.

Fric et Kitsh

Selon la légende urbaine, la désormais culte porte bleue était, dans les années 1990, l’entrée de la maison de Richard Curtis lui-même. Il aurait déménagé peu après la sortie du film, sans doute incommodé par le va-et-vient incessant sous son porche. “Maintenant Portobello Road ce n’est plus que pour les touristes de passage. Les maisons par ici sont à des prix tellement indécents que seuls les riches étrangers peuvent se les payer comme pied-à-terre à Londres. Le supermarché près de chez moi a fermé au début des années 2000, maintenant c’est un restaurant attrape-touriste”, raconte Robert, amer.

Dans une marché immobilier en explosion depuis le milieux des années 1990, Notting Hill se détache comme le quartier de Londres qui a atomisé les compteurs. “Je pense que le film a un peu précipité le phénomène”, analyse le riverain. Depuis 1999, les loyers ont augmenté de 66% (contre 37% dans le reste du centre de Londres), selon une étude de l’agence immobilière Savills. En quelques années à peine, le quartier est passé de gentiment bohème à indécemment bourgeois.

Quelques bonnes chansons et l’impossibilité de se loger au centre”, c’est ce que Ben, trentenaire londonien, garde de Cool Britannia en 2020. Attablés dans un pub d’Hammersmith, quartier excentré en cours de gentrification, le jeune cadre et ses amis s’interpellent sur l’ère Blair. “Au départ, il a été assez fidèle aux électeurs du Labour, et après c’est devenu le petit chien de Bush”, commence l’un d’entre eux. “Non, c’était de la communication tout du long”, le coupe un autre à sa droite. Et pour la face culturel de Cool Britannia ? “Oasis dans les années 1990 puis Coldplay en 2000, je dis ça je dis tout”, ironise Inès, musicienne française installée à Londres.

Avant que Blair fasse le choix controversé de suivre Bush en Irak en 2003, avant que la Britpop deviennent de la soupe mainstream, Cool Britannia avait déjà commencé à sentir le “bas de gamme et le kitsch” selon la formule employée par John Harris dans son livre The Last Party: Britpop, Blair and the Demise of English Rock. Dans son ouvrage, l’auteur voit même dans cette débauche d’Union Jack et de Brit proud, l’embryon de l’insularité qui a mené au Brexit.

Dès le début des années 2000, on note que les rom-com à l’anglaise sont mieux reçues à l’international que sur leurs terres”, pointe Roberta Garrett, professeure de cinéma à l’université d’East London.

Comme le reste du phénomène Cool Britannia, les rom-com à l’anglaise deviennent au cours de la décennie autant des histoires d’argent que des histoires d’amour. “Forcément en dix ans, le charme et la fraîcheur, prennent un coup de chaud, ajoute l’experte, d’un film indépendant un peu insouciant on passe à des films de studio avec une demande de résultats.”

Plus de quinze ans après la sortie de Bridget Jones : l’âge de raison, Working Title évite de parler de ces films sur lesquels la société de production s’est pourtant construite. “Ils n’aiment pas trop être renvoyés à ça”, souffle-t-on au standard. L’héritage sucré des rom-com à l’anglaise peut être gênant aujourd’hui pour des producteurs qui mettent en avant des adaptations de Jane Austen avec la dernière actrice indé à la mode (Emma avec Anya Taylor-Joy) et des collaborations pour des biopics d’époque (Radioactive de Marjane Satrapi).

Il faut dire que la pomme d’amour représentée dans les rom-com à l’anglaise n’en finit pas de se flétrir. Lancée par une tribune de Hadley Freeman dans le Guardian en 2017, le lynchage de Love Actually par les milieux féministes est quasiment devenue une tradition de Noël. Jadis considérée comme le summum du romantisme par les adolescentes, la scène culte où Andrew Lincoln (Rick dans Walking Dead) fait sa déclaration avec des pancartes à la femme de son meilleur ami incarnée par Keira Knightley est aujourd’hui vue comme le move désespéré d’un stalker. Toutes ces romances entre des hommes de pouvoir et des subalternes (Hugh Grant dans Bridget Jones et dans Love Actually et Colin Firth encore dans Love Actually) sont aujourd’hui assez logiquement dénoncées comme assimilables à du harcèlement. Et c’est sans parler de l’obsession un peu étrange de Richard Curtis pour les femmes américaines: dans quatre des cinq rom-com à l’anglaise, on voit (au moins) une bombe américaine prête à se jeter sur un british boy assez banal.

Dernier héritage douteux de Love Actually : l’exemple donné à Hollywood qu’il suffisait de réunir un casting cinq étoiles dans un tissu d’histoires d’amour mielleuses pour faire un carton. C’est ce qu’on appelle un Holiday Choral, un film calqué sur Love Actually où on remplace Noël par la Saint Valentin (Valentine’s day en 2010) ou le Nouvel an (Happy New Year en 2011), des films faciles à écrire (pas besoin d’imaginer une vraie histoire forte quand on peut en fourrer dix faibles dans le scénario) et à faire faire (il suffit de demander à un bon yes-man comme Garry Marshall)

De quoi donner envie à Hugh Grant de dire Fuck et d’aller se recoucher.

Unlisted

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