Agami, une première pièce en composite recyclable

Jute Lab
9 min readJan 15, 2019

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Depuis ses débuts au Bangladesh en 2011, le Jute Lab a dans ses missions le développement de preuves de concepts valorisant l’emploi de composites à renfort fibre de jute pour des applications à haute valeur ajoutée. C’est dans ce cadre que le projet Agami est né en 2017. Son objectif : donner à voir et à tester un panel de matériaux pour pouvoir recommander, en réponse à un cahier des charges de pièce ou d’application automobile donné, une solution composite thermoplastique à renfort en fibre de jute. Ce projet consiste donc à réaliser un démonstrateur automobile fonctionnel, sur la base de la Mazana II, produite par le constructeur solidaire Karenjy à Madagascar.

La Karenjy Mazana II est fabriquée à façon par les employés du Relais, entreprise à but socio-économique

Un composite thermoplastique à renfort fibre de jute

La toute première phase du projet Agami a consisté à réaliser une étude et une veille technologique, afin de dénicher les matériaux à base de fibres naturelles existants qui permettraient de réaliser les différentes pièces du véhicule démonstrateur en composite de jute.

C’est à la suite de diverses recherches et de rencontres qu‘EcoTechnilin est devenue partenaire du projet Agami début 2018. Cette entreprise normande fabrique des feutres aiguilletés, principalement à base de fibres naturelles. Ces matériaux sont développés pour, et largement utilisés dans l’industrie automobile, notamment pour la production de pièces d’habillage intérieures thermo-estampées — la matière composite thermoplastique est chauffée puis pressée à froid.

En juin 2018, EcoTechnilin a contribué au projet Agami en fournissant au Jute Lab une quantité suffisante d’aiguilleté 50 % fibre de jute (et plus précisément de kenaf) et 50 % fibre de PP (polypropylène) d’ores et déjà validé et utilisé dans l’industrie automobile, afin de développer les première pièces du futur concept-car. À la réception de cette matière, l’équipe du Jute Lab a d’abord réalisé différents essais pour mieux connaître le matériau—sur plaques puis sur « moule-école » — ; six mois plus tard, les premières pièces démonstratrices réalisées en partenariat avec le bureau d’étude Kaïros Biocomposites sortaient de l’atelier !

D’ici l’année prochaine, ce non-tissé aux faibles propriétés mécaniques et bonnes propriétés acoustiques servira à fabriquer plusieurs pièces d’habillage intérieures de la Mazana II comme les panneaux de garnissage intérieurs des portes et le plafonnier.

Préparation des morceaux de feutre aiguilleté 50% jute et 50% PP ; Moussa, Nicolas, Cyprien.

Des essais pour mieux appréhender la matière

  • Essais sur plaques

La première étape du développement pièce a consisté à mieux connaître la matière, en la thermo-compressant à différentes épaisseurs (donc à différents taux de compression et de porosité, puisque le produit de départ est un feutre de grammage constant) sous presse industrielle. Cette première série d’essais réalisés en juillet 2018, avait pour objectif de déterminer les plages de propriétés mécaniques du matériau qu’il était possible d’obtenir, et de définir l’épaisseur optimale à viser — ainsi que les paramètres machines associés—pour arriver aux propriétés souhaitées. Margaux et Cyprien sont donc ensuite passés par une étape de caractérisation mécanique (essais de traction) des plaques réalisées.

Par ailleurs, la découpe des éprouvettes normées, nécessaire à la réalisation de ces essais destructifs, a également permis d’appréhender le comportement de la matière à la découpe.

Mesure des épaisseurs et calcul des taux de compression des différentes plaques obtenues.
  • Conception et fabrication d’un “moule-école”

Une fois la matière et son procédé de mise en œuvre par thermo-estampage mieux appréhendés, d’autres essais ont été réalisés sur un moule dit “école” ou “test”. Ce type de moule intègre différentes géométries plus ou moins sévères, et permet de caractériser la formabilité du matériau : sa capacité à se déformer et surtout à prendre ou non la forme de la pièce visée. Les premiers tests sur ce moule ont également permis de définir de nouveaux paramètres, spécifiques à la mise en forme du matériau. Globalement cette étape intermédiaire entre la simple mise en œuvre matière et la fabrication des pièces finales est essentielle puisqu’elle permet de pré-valider tous les facteurs permettant la bonne réalisation d’une pièce.

Pour pouvoir la mener à bien, l’équipe du Jute Lab a d’abord dû concevoir et fabriquer un “moule-école” adapté. À partir des dimensions générales et des géométries des pièces visées sur le véhicule (en l’occurrence les panneaux intérieurs de porte), Quentin et Nicolas ont commencé par définir un plan d’expériences permettant de mesurer la tenue du matériau à différentes déformations ; toutes les parties du moule-école ont été dimensionnées en conséquence. Le moule a ensuite été modélisé en 3D à l’aide d’un logiciel de CAO (Conception Assistée par Ordinateur), et enfin usiné dans du bois de type “medium” (MDF - Medium Density wood Fibers) sur une fraiseuse à commandes numériques (CNC - Computer Numerical Control). Ce matériau à base de fibres de bois et de résine a été choisi pour ses différentes propriétés : répartition homogène des efforts sous la pression, résistance à l’humidité et relative résistance à la chaleur.

La fraiseuse à commande numérique est un outil libre et polyvalent, souvent utilisé dans les Fab Lab.

Cyprien et Quentin ont assuré, avec l’aide de Margaux et Nicolas, la fabrication de ce moule au Konk Ar Lab, le Fab Lab de Concarneau. Comme ils n’avaient à disposition qu’une fraiseuse 2D et demi (à faible déplacement vertical), le moule et le contre-moule ont dû être usinés par parties. 37 plaques de MDF découpées ont été nécessaires pour constituer chacune des deux parties du moule, soit au total 74 éléments, avec pour chacun plusieurs étapes de découpe à la CNC — plus de 80h d’usinage.

Le Konk Ar Lab est un lieu dédié à la fabrication numérique et au partage de connaissances, à Concarneau.

Les panneaux de MDF ont d’abord été découpés en planchettes aux dimensions hors-tout du moule. Puis les planchettes ont été fixées sur le martyr de la fraiseuse à commande numérique pour être usinées.

Fixation des planches de MDF et pré-visualisation du cycle d’usinage sur le terminal contrôlant la CNC.

C’est le G-code produit à l’aide d’un logiciel de FAO (Fabrication Assistée par Ordinateur) qui définit les étapes d’usinage que doit suivre la machine pour obtenir la géométrie voulue (contour de pièces, perçages, passes successives pour les arrondis, etc.). Ces différents types d’usinages sont tous donnés par rapport à l’origine de la pièce et l’origine de la machine, qu’il a fallu préciser à chaque nouvelle planchette.

Après plusieurs jours d’usinage et un ponçage rapide de toutes les pièces, un premier assemblage a été réalisé au moyen de tiges filetées traversantes. Cette étape de contrôle est essentielle : elle permet de recompter les pièces, de les numéroter et surtout de vérifier que la forme et les dimensions du moule usiné correspondent bien à celle du modèle numérique.

Premier aperçu de la partie basse du moule-école lors de l’étape de vérification.

L’assemblage définitif n’a été réalisé qu’une fois l’ensemble des tranches composant le moule et le contre-moule usinées. En raison des fortes pressions auxquelles le moule pouvait être exposé en situation d’utilisation (sous presse industrielle), il a été décidé de réaliser un collage à la résine époxy. Lors de cette étape cruciale, la durée de prise de la colle a été fixée à “moyenne” plutôt que rapide — en jouant sur la quantité de durcisseur mélangée à la résine—afin d’avoir la possibilité de rectifier légèrement le positionnement
des tranches les unes par rapport aux autres une fois le tout assemblé.
Le maintient en position pendant la prise s’est fait à l’aide de serre-joints.
Les tiges filetées servant initialement à l’alignement des éléments ont été transformées en poignées de manipulation à l’aide d’un système équilibré
de boulons et rondelles.

Le collage a l’époxy se fait dans une salle à température et taux d’humidité contrôlés.

Au moins 24h après que la colle époxy ait prise, le moule-école a été poncé (pour rattraper les éventuels défauts d’usinage à la CNC), avant d’être revêtu au pistolet d’un apprêt époxy blanc, toujours dans l’objectif d’homogénéiser et de renforcer la résistance à la pression et à la température du MDF. Pour cette étape délicate le Jute Lab a pu faire appel à l’expertise de Steven, stratifieur indépendant et membre du réseau de préparateurs de bateaux de l’écurie Kaïros.

L’apprêt est posé au pistolet pour obtenir une couche fine et la plus homogène possible.

Après séchage de l’apprêt, Cyprien et Quentin ont une nouvelle et dernière fois poncé toute les surfaces utiles du moule et du contre-moule. À la fin du mois d’août 2018, le moule-école était prêt à être utilisé !

Ponçage de finition : de 120 (macro) à 800 (micro) grains par cm2.
  • Essais sur moule-école

À l’aide de ce moule de test, différents essais de mise en forme ont pu être réalisés courant septembre, toujours sur presses industrielles et avec l’aide des responsables du bureau d’étude Kaïros Biocomposites : Erwan et Moussa. Cette étape a permis de déterminer l’épaisseur optimale des pièces, le comportement du matériau lors de déformations importantes (géométries complexes et/ou sévères), sa capacité d’étirement lors du procédé de mise en forme, ainsi que sa rigidité une fois moulé.

Pose d’agent de démoulage sur le moule-école et découpe de films de transfert.

Réalisation d‘une première pièce démonstratrice

À partir du moment où le comportement du matériau en conditions de fabrication était connu, la deuxième phase du développement a pu commencer : le prototypage d’une pièce à proprement dit. Étant données les propriétés de la matière fournie par EcoTechnilin, c’est la garniture de porte avant gauche de la Mazana II qui a été choisie. Cyprien a donc réalisé le modèle 3D du moule à partir de la maquette numérique de la pièce de Karenjy, pour ensuite le faire fabriquer (moule et contre-moule) par un partenaire industriel du bureau d’étude Kaïros Biocomposites.

C’est au mois d’octobre 2018 que le Jute Lab a réceptionné le moule en MDF brut d’usinage à Concarneau ; les étapes de finition restantes ont été assurées par Ludovic, le chef d’atelier de l’écurie Kaïros. Il a d’abord étuvé le moule pour en évacuer toute l’humidité. Il l’a ensuite imprégné de résine époxy pour le rendre plus dense et ainsi plus résistant à la température et la pression. Comme pour le moule-école, un apprêt époxy a ensuite été projeté au pistolet pour homogénéiser et renforcer encore la surface du moule. Ludovic a encore réalisé quelques retouches à l’époxy, avant de laisser Cyprien assurer les différentes dernières étapes de ponçage nécessaires. Enfin, Cyprien a également conçu et fabriqué des systèmes de préhension et de manipulation de chaque partie du moule — l’ensemble pesant plusieurs dizaines de kilos.

La “salle de poussière” de l’atelier composite de Kaïros, est particulièrement adaptée à ce type de finitions.

En novembre 2018, l’équipe du Jute Lab et les responsables de Kaïros Biocomposites se sont à nouveau rendus sur le site industriel d’un de leur partenaire pour pouvoir réaliser les premières pièces prototypes sur presses industrielles. Même avec la connaissance de la matière et de son comportement de mise en forme acquise lors de la première phase de développement, un certain nombre d’essais ont encore été nécessaires pour déterminer les bons paramètres de mise en œuvre des pièces.

Préparation de la matière pour les essais réalisés avec l’aide d’Erwan et Moussa.

Le principal objectif était d’obtenir une pièce constituée uniquement de fibres de jute et de PP, sans retrait de la matière, sans pli, et avec une bonne répartition des fibres. Puis, Cyprien, Quentin, Erwan et Moussa ont cherché à obtenir les mêmes résultats en utilisant différents films de surface et d’aspect, afin de tester diverses options de finition (fibres apparentes, couleurs, textures, degrés de brillance, etc.).

Découpe des pièces à la scie à ruban.

Pour terminer, Cyprien et Mathilde ont testé différents procédés d’ébavurage puisque les pièces mises en œuvres sont brutes d’usinages et doivent encore être délignées pour correspondre aux formes et dimensions prévues par la CAO. L’intégration de cette problématique en amont, lors de la conception du moule, a permis de gagner du temps une fois le projet rendu à cette étape.

Très exactement 6 mois après réception de la matière d’EcoTechnilin, les dernières étapes d’usinages sont encore à effectuer : les trous de fixation de la pièce sur le cadre intérieur de la portière, les trous de fixation de la planche d’appoint au niveau de l’accoudoir, le perçage circulaire permettant d’intégrer le monte-vitre au système interne à la porte, ainsi que le perçage rectangulaire pour la poignée intérieure … mais les résultats obtenus sont déjà plus qu’encourageants !

Panneau de porte de la Karenjy Mazana II avec fibre de jute apparente.
Panneau de porte finition gris brillant (film d’aspect en PP).

La phase d’étude et le prototypage de ces panneaux de porte en aiguilleté 50% fibre de jute et 50% fibre de polypropylène, conclut le premier cycle de développement de pièces de la Mazana II en composite thermoplastique à renfort fibre de jute. À venir pour 2019 : la réalisation d’autres pièces à partir d’autre matières composites fibre de jute !

Le Jute Lab veut remplacer un maximum des pièces de la Mazana II par des versions en composite de jute.

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Acting as a catalyser for the jute sector 🌿: prototyping higher value added applications of the golden fibre to initiate industrial-scale development.