Bégayer un 22 octobre

J-Y Beaudoin
12 min readNov 8, 2016

Le 22 octobre c’est mon anniversaire, mais cette année j’ai aussi appris que le 22 octobre est la journée internationale du bégaiement, ce problème avec lequel je vis depuis près de 30 ans. Ensuite vous direz que la vie n’a pas le sens de l’humour. C’est grâce à un excellent article de Stéphane Laporte dans la Presse que j’ai appris que la journée de ma fête, c’est un peu la fête de tous les bègues. C’est aussi cet article qui m’a inspiré à vous partager mon histoire, une parmi tant d’autres (on estime que près de 1% de la population aurait un problème de bégaiement, soit près de 60 millions de personnes), pour vous permettre de comprendre un peu mieux ce problème trop souvent méconnu.

Lorsque j’étais plus jeune, je me suis toujours dit que lorsque je serai un adulte, je m’impliquerais pour faire avancer cette cause, surtout pour la faire connaître, pour faciliter la vie des plus jeunes qui doivent vivre avec ce problème et le jugement des gens autour d’eux. Maintenant que je suis un adulte (la plupart du temps), je me suis rendu compte que comme plusieurs bègues, je m’étais caché en silence derrière le problème, voulant l’oublier plutôt que d’en parler. Cet article est donc un premier pas pour moi et si cela peut aider simplement 1 personne à mieux comprendre le problème de quelqu’un dans son entourage, ce sera mission accomplie.

Voici donc ma petite histoire…

Premièrement le bégaiement est un problème qui n’est pas encore très connu même par la communauté scientifique (selon mes lectures sur le sujet). Ce que j’ai lu sur le sujet semble pointer vers un problème génétique, c’est-à-dire qu’on ne devient pas bègue, mais on nait bègue. Par la suite, plusieurs événements tels qu’un traumatisme, accident ou autres peuvent déclencher le problème chez un enfant.

Pour ma part, je ne sais pas quand cela a commencé, je devais avoir 4 ou 5 ans. On dit que de 2% à 3% des enfants bégaient, mais pour la grande majorité d’entre eux le problème se règle en vieillissant ou en consultant un orthophoniste. La première fois que j’ai consulté un orthophoniste, je devais avoir 6 ans. À ce moment, je ne comprenais pas vraiment le problème, j’allais simplement chez une dame pour discuter avec elle, faire des petits jeux et exercices de paroles. À ce moment, je ne croyais pas vraiment avoir de problème et personne dans mon entourage ne me faisait sentir comme si j’en avais un; c’est beau la naïveté d’un enfant.

Phase 1 : L’imitation

C’est à la petite école que j’ai commencé à me rendre compte de mon problème. Nous savons tous comment des enfants dans une cours d’école peuvent être méchants. Les enfants vont trouver n’importe quelle raison pour rire les uns des autres, ça prend simplement un nom qui rime avec quelque chose de cocasse pour devenir la risée de la récréation. Parlez-en à mes amis “Jimmy fait pipi” ou “Francis le pénis”. Par chance, mon nom ne rime pas avec beaucoup de chose (Jean-Yves la gencive?). Par contre, mon bégaiement lui ne passait pas aussi inaperçu.

J’ai donc passé une grande partie de mon primaire et de mon secondaire à me faire imiter. Dès que je commençais à bégayer sur un mot, cela ne prenait que quelques secondes avant qu’un camarade de classe commence à m’imiter “Ca-ca-ca-ca-lcul mental”. Le premier réflex à ce moment est de se taire, se refermer, tout garder à l’intérieur. Mais on ne peut pas leurs en vouloir, ce problème n’est pas compris par la majorité des adultes, on ne peut donc pas espérer que leurs enfants de 9 ans le comprennent. Le problème est que plusieurs enfants vont rester enfermés dans cette prison silencieuse pendant de nombreuses années.

De mon côté, j’ai décidé de donner le moins de raisons possible aux autres de rire de moi. J’étais donc un sportif accompli et dieu sait que personne ne veut rire du roi du ballon chasseur de la cours de récréation. J’ai aussi toujours eu de la facilité à l’école donc en étant un élève modèle en plus d’exceller dans les sports de cour d’école, j’ai réussi à m’acheter un peu de paix d’esprit.

Phase 2: Les sueurs

Chaque bègue est différent et le problème ne se manifeste pas de la même manière pour tous. De mon côté, j’ai compris assez jeune que lorsque je lis à voix haute, les chances que je bégaie sont extrêmement fortes. Je ne sais pas si vous vous rappelez de vos cours au secondaire, mais c’est plutôt fréquent pour un professeur de demander à un élève de faire la lecture d’un paragraphe dans un livre de cours, puis on passe à un autre et ainsi de suite.

Chaque fois que cela se produisait dans ma classe, je sentais la température monter, ma gorge se nouer, tout pour m’aider à mieux m’exprimer. J’essayais par la suite d’anticiper quel paragraphe je devrais lire pour me préparer, voir s’il y a des mots sur lesquels je pourrais bloquer (dans mon cas, ce sont les syllabes dures qui sont les plus difficiles, les “c” “k” “p” et parfois les “s” et “f”, il y a donc un bon buffet de mots compris dans tout cela).

Il m’arrivait aussi d’essayer d’apprendre les phrases que j’aurais à lire par coeur un peu avant que ce soit à mon tour, car j’ai aussi compris assez tôt que lorsque j’apprends un texte par coeur, je ne bégaie pas. Puis c’était au tour de la personne devant moi, la température montait encore plus, je tentais de me calmer, de respirer, de me dire que tout allait bien aller, l’air se faisait de plus en plus rare, je relisais ma phrase dans ma tête, je me préparais.

Puis le professeur disait la phrase qui tue “Jean-Yves, tu peux continuer…” Mais c’était une phrase trop tôt, je n’étais pas prêt, cette phrase n’était pas la mienne, cette satanée phrase qui débute par “Comment peut-on associer la faune du Québec…” un beau party de “c”, “s”, “f” avec un extra de “q” pour terminer le tout. Je commence, je m’enligne sur le “Comment”, ça bloque, tout est bloqué, aucun son ne sort, l’air ne passe plus, le temps, tout comme l’air dans ma gorge, refuse d’avancer. On entend quelques murmures, quelques rires, les gens se demandent si je sais lire ou non.

Le professeur en rajoute “Jean-Yves, c’est à toi, lis à partir de Comment peut-on…” Je joue le jeu, “Ah désolé, je croyais que c’était encore à Francis”. Je reprends mon courage, j’ai chaud, je me lèche les lèvres (un semi-truc qui m’aidait parfois), je prends un grand respire pour faire circuler l’air et enfin je réussis à partir la machine “Comment peut-on associer la faune du Québec…” Je termine ma partie sans trop d’embûches, avec quelques hésitations, mais surtout sans savoir ce que je viens de lire.

Le calme revient, je respire enfin, je m’essuie le front, je me calme, mais je n’ose pas regarder aucun camarades de classe dans les yeux, pour ne pas qu’ils voient le soulagement dans mes yeux, après tout ce n’est que de la lecture, rendu au secondaire, ce devrait être facile. L’exercice se termine, je n’ai aucune idée de ce qu’on vient de lire, n’écoutant pas ce que les gens ont lu devant parce que je me préparais et ne suivant pas ce qui s’est passé après mon tour, car j’étais simplement soulagé d’avoir survécu, jusqu’à la prochaine période…

Phase 3 : La performance

Avec l’anecdote que je viens de vous raconter, vous pouvez être porté à croire que les présentations orales devaient être un vrai calvaire pour moi. Mais comme j’ai dit plus tôt, c’est aussi au secondaire que j’ai compris que lorsque j’apprends un texte par coeur ou lorsque je joue un personnage, mon bégaiement semble disparaître comme par magie. J’ai toujours aimé “performer” donc dès le début du secondaire, j’ai commencé à faire du théâtre et de l’improvisation et cela a continué jusqu’à la fin de mon CEGEP. Lorsque je suis sur une scène, devant un public, je me sens vivant, et surtout je ne pense presque pas à mon bégaiement, les mots coulent tout naturellement.

C’était la même chose pendant les présentations orales, j’adorais le feeling de présenter devant la classe. Par contre, j’étais probablement l’élève le plus préparé de tous. Pour m’assurer de bien présenter, j’avais écrit chaque mot à la main sur une feuille de papier, tout était préparé, pratiqué, répété; chaque respire, chaque blaguette, chaque pause, chaque intonation qui pouvait paraître spontanée ne l’était pas, tout était planifié et j’adorais chaque moment passé devant la classe à présenter. J’avais enfin le contrôle sur ma parole. Enfin, j’étais normal.

Malgré ma facilité à présenter ou à faire de l’impro, je suis toujours resté très conscient de mon problème. Plus je tentais de le comprendre, plus je devenais frustrer. Pouquoi moi ? À 16 ans, j’ai donc demandé à mes parents de consulter à nouveau un orthophoniste, pour tenter de régler le problème une fois pour toutes. Comme les autres fois où j’ai consulté, cela a aidé, les exercices m’ont permis de le contrôler un peu mieux, la plupart du temps…

Par contre, lorsque revenait une situation dans laquelle j’avais tendance à bégayer (un appel avec un inconnu, lecture en classe…) le bégaiement revenait au galop. C’est à ce moment que j’ai commencé à réaliser que je ne me débarrasserais probablement jamais de mon bégaiement.

Phase 4 : La vie d’adulte

Plusieurs personnes croient que c’est le stress qui déclenche le bégaiement, les gens te disent de te calmer, de ne pas être nerveux, de simplement dire ce que tu as à dire. Si seulement c’était aussi facile… De mon côté je sais que ce sont les situations dans lesquelles je manque de contrôle qui sont le plus problématiques, ainsi que les conversations au téléphone (merci pour les SMS!), c’est aussi le cas pour plusieurs bègues.

Et il n’y a pas de moments où nous avons moins le contrôle que lors d’une entrevue pour un emploi, nous sommes complètement à la merci de l’interviewer. J’ai été chanceux, mes premiers emplois ont été pour mon père, donc le processus d’embauche était plutôt simple “Tu vas travailler dans le resto cet été” et moi de répondre “Parfait!” et le tour était joué. Par contre, le processus n’est toujours pas aussi simple dans la vie d’adulte.

Après mon baccalauréat, les choses se sont compliquées lorsque j’ai commencé à passer des entrevues pour de vrais emplois, pour bâtir ma carrière. Je revivais la lecture en classe du secondaire à nouveau. Sueur, gorge nouée, stress, détresse… Pour moi les 2 situations dans lesquelles je bégaie le plus sont lors d’une entrevue pour un emploi et lorsque je parle au téléphone. Imaginez donc le plaisir que j’avais lorsque l’on me disait “Nous allons te contacter par téléphone pour une première entrevue…” Je ne compte plus le nombre d’entrevues que j’ai passées après lesquelles je savais immédiatement que je n’aurais pas l’emploi, peu importe mes qualifications.

Lors d’entrevue en personnes, dès que commençais à bégayer, à hésiter, je voyais le visage de la personne changer devant moi, porter un regard sur moi que je connais trop bien, prendre des notes sur mon manque d’assurance, de confiance, qualités très souvent recherchées par un employeur. Tout cela est sans parler que je travaille dans le monde du marketing, alors disons qu’un marketeur qui ne réussit pas à exprimer ses idées, à se vendre, ce n’est pas ce qui est le plus populaire.

C’est ce regard des gens, un mélange de mépris, de malaise et d’incompréhension que je cherche à éliminer, pour que mes confrères bègues n’aient plus à l’affronter et surtout à avoir honte de s’exprimer.

Le plus grand problème avec le bégaiement, c’est que la plupart des gens ne le comprennent pas. Ils confondent le contenant avec le contenu.

Alors je peux comprendre un interviewer qui confond bégaiement avec manque d’assurance.

Je peux dire que j’ai bégayé dans 100% des entrevues que j’ai passé dans ma vie (je dirais plus d’une trentaine ou même quarantaine maintenant) et à chaque fois je me suis demandé si je devrais parler du problème au début de l’entrevue, pour aider les gens à comprendre. Par contre, je n’ai jamais voulu que ce soit une excuse, ou mettre quelqu’un mal à l’aise (autre que moi-même) par rapport à la situation, je n’en ai donc jamais parlé. C’est arrivé une seule fois qu’un interviewer m’en parle, c’était lors d’une dernière entrevue avant d’obtenir l’emploi.

Il m’a dit carrément “J’ai remarqué que tu bégaies, est-ce que tu crois que ça va t’empêcher à bien vendre tes idées ?” Bien qu’elle m’a pris par surprise, c’est la meilleure question que j’ai eue de ma vie. C’est probablement aussi la question sur laquelle j’ai le moins bégayer. Envahi d’un élan de passion, je me suis lancé dans un discours sur le fait que mon bégaiement me force à travailler plus fort sur tous les aspects de mon travail, pour m’assurer que lorsque je présente une idée, le contenu sera parfait, même si le contenant ou la livraison peut laisser à désirer (c’est aussi pourquoi je crois que les bègues font d’excellents employés).

Ce fût une des dernières questions de l’entrevue, et 20 minutes plus tard, je me suis fait appelé (par chance je n’ai pas trop eu à parler) pour me dire que j’avais l’emploi, mon premier “vrai” emploi en marketing. Je serai toujours reconnaissant envers Yves Léveillé d’avoir pris une “chance” sur moi, d’avoir voulu voir plus loin que le contenant et surtout d’avoir voulu me comprendre.

Phase 5 : L’acceptation

En devenant adulte, la réaction des gens autour de moi a changé lorsque je bégaie. Les gens ne m’imitent plus, ils ont appris que ce n’était pas poli de se moquer de quelqu’un comme cela. Maintenant les gens ont tendance à vouloir m’aider, à terminer la phrase sur laquelle je bloque à ma place. Je sais que vous croyez bien faire, mais ne le faites pas, laissez-nous le temps de terminer, de dire ce que nous avons dire.

Si vous croyez que le silence qui accompagne le bégaiement est inconfortable pour vous, je vous confirme c’est dix fois pires pour la personne qui bégaie. Tout ce que vous pouvez faire est d’attendre, soyez patient, laisser le noeud se dénouer.

J’ai maintenant 34 ans et j’ai compris que j’allais bégayer jusqu’à la fin de ma vie. Je l’accepte. Il m’arrive encore parfois d’être frustré par rapport à cela, de trouver cela injuste, mais je comprends qu’il y a des problèmes bien pires dans la vie. Je suis entouré de personnes merveilleuses, ma famille que j’adore et des amis extraordinaires, des gens qui prennent le temps, mais surtout des gens qui me laisse le temps, le temps de m’exprimer, d’aller au bout de ma pensée et j’en suis très reconnaissant.

Le problème avec le bégaiement, c’est que personne n’en meurt.

Il y a sûrement une histoire d’un bègue qui a tenté d’appeler le 911 après avoir senti un malaise et qui n’a jamais réussi à dire son adresse à temps “Je suis au “Di-di-di-di-dix Sssssssept…..” clic. Désolé pour cette blague douteuse, l’humour est un mécanisme utilisé par plusieurs, dont les bègues, pour détourner la conversation.

En effet, on ne meurt pas du bégaiement, c’est un problème assez banal. C’est probablement pourquoi j’ai attendu aussi longtemps avant d’en parler, avant d’écrire ces lignes. Il y a tellement de problèmes qui méritent plus qu’on s’y attarde. Mon but ici n’est pas d’attirer votre sympathie, loin de là, c’est plutôt de vous aider à comprendre ce que l’on vit.

À l’adolescence je me suis toujours dit que lorsque je serais un adulte, j’aiderais les gens à mieux comprendre ce problème, pour tous les petits culs dans la cour d’école qui se feront imiter demain et tous les employeurs qui n’engageront pas un candidat sous prétexte qu’il manque d’assurance.

Donc la prochaine fois où vous serez avec quelqu’un qui bégaie, écoutez-le, laissez-lui tout le temps qu’il faut, et surtout ne le laisser par se taire, se renfermer.

Lorsqu’on est bègue, on nous parle souvent des grands bègues de l’histoire. Des gens avec qui il est impossible de s’associer. C’est aussi pourquoi je vous écris ceci aujourd’hui, je ne suis pas Aristote, je ne suis pas Winston Churchill, je suis loin d’être Einstein, je suis un petit gars de Shawinigan, je suis comme tous les bègues, mais j’ai réussi à passer à travers, à accepter, à vivre avec mon bégaiement.

Je suis aujourd’hui très heureux, j’ai un bon travail en marketing, de merveilleux amis. Même si ça peut paraître difficile en ce moment, je vous confirme que les choses vont s’améliorer. Votre bégaiement restera peut-être le même, mais votre compréhension et surtout votre acceptation vous aidera à passer à travers les obstacles, et c’est ce combat continu contre vous-même qui vous rendra plus fort !

Confrère bègue, allez-y, parlez, exprimez-vous, votre voix est importante, elle mérite d’être entendue et nous sommes là pour l’écouter.

-Jean-Yves la gencive

P.S. Merci d’avoir lu cet article, il n’a pas été facile à écrire et encore plus difficile à publier. Si vous l’avez apprécié ou si cela vous a aidé à mieux comprendre le bégaiement, n’hésitez pas à cliquer sur le ❤ ci-dessous pour que d’autres personnes le découvrent.

--

--

J-Y Beaudoin

Creative Marketer. Music lover. Coffee & Scotch drinker. J’étais Jaco dans l’annonce des frites McCain. Runner