La diversité, la tech et moi

Kat Borlongan
4 min readOct 7, 2020

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Le 1er octobre dernier, j’étais invitée à parler aux Diversidays. Cette prise de parole m’a donné l’occasion de réfléchir à mon propre parcours, celui d’une femme immigrée parvenue à un certain niveau de responsabilité, et qui a longtemps nourri des sentiments mitigés à l’égard du discours sur la diversité. Ce texte est la version écrite de mon intervention.

Je m’appelle Kat Borlongan. En fait, dans ma langue maternelle, le philippin, ça se prononce bˈɔrlɔŋæn. Je suis immigrée. Je me suis enfuie de mon pays et suis arrivée en France, toute seule, à l’âge de 20 ans. À l’époque, je ne parlais pas un mot de français. Aujourd’hui, je dirige la Mission French Tech, le bras armé de l’écosystème tech français au sein de l’Etat.

Je suis ravie d’être parmi vous ce soir, car c’est la première fois que je me présente ainsi devant autant de monde. Je crois que c’est parce que je n’aime pas que l’on me ramène sans cesse à mes origines.

Je vais vous raconter une anecdote : le jour où ma nomination a été annoncée, j’ai reçu énormément de félicitations sur Twitter. Beaucoup se terminaient avec le #diversité. Je ne vais pas vous mentir, je me suis sentie vexée. Vexée qu’on me réduise à cette dimension, en mettant de côté mes capacités, mon expertise et tout ce que j’avais déjà accompli.

J’étais tellement vexée que pendant ma première année à ce poste, j’ai refusé la plupart des occasions de parler de diversité. Y compris à Diversidays (désolée, Anthony Babkine et Mounira Hamdi). Je pensais sincèrement que la meilleure façon de servir cette cause, c’était de travailler, d’accomplir la mission pour laquelle on m’avait nommée à la tête de la French Tech. Bref, de réussir. Je me disais : c’est seulement après avoir obtenu des résultats que tu pourras t’offrir le luxe de parler de diversité en public. En fait, j’avais tort !

Il y a deux choses dont je ne tenais pas suffisamment compte à l’époque.

La première, c’est que la représentativité, c’est important.

Tout le monde n’a pas eu ma chance. Je pense à toutes ces femmes jeunes, immigrées, celles qu’on regarde de travers à cause de leur accent et qui rêvent d’occuper un poste à responsabilité. En même temps, je sais qu’on ne peut pas tout ramener à un profil unique.

C’est pourquoi je suis si heureuse d’être partenaire de Diversidays. Grâce à eux, des personnes qui n’ont pas l’habitude de se voir représentées à l’écran, sur scène ou dans l’actualité, peuvent s’identifier à des rôles modèles qui leur ressemblent. Pour beaucoup, ça peut être un premier pas, et c’est celui qui compte le plus.

La deuxième, c’est que je ne suis pas directrice de la French Tech en dépit de mon parcours, mais grâce à ce dernier.

Mon histoire, mes combats, mes différences, c’est aussi ce qui me définit. C’est une infinité de petites choses que j’apporte avec moi chaque matin au bureau. Elles constituent une vision particulière du monde, une vision que d’autres n’auraient pas forcément.

C’est pourquoi je suis fière d’avoir créé French Tech Tremplin avec Audrey Yvert de la Mission French Tech. Je vous le dis franchement : ce n’est pas un gadget RSE ou un projet caritatif inventé pour se donner bonne conscience. C’est un vrai espoir pour faire émerger des talents dont la French Tech était jusque-là privés.

Comme vous le savez, les effets ravageurs de la COVID19 sont en train de chambouler notre économie. Pour surmonter la crise qui s’annonce, le pays va avoir besoin de beaucoup de choses. Du courage, de la solidarité et du partage. Il va aussi falloir compter sur les meilleurs entrepreneurs.

Ces entrepreneurs, je suis persuadée qu’ils ne viennent pas uniquement d’HEC ou de Polytechnique. Ces entrepreneurs, ils viendront aussi des quartiers, de la ruralité, on les trouvera aussi parmi les immigrés, les réfugiés. Je parle de talents entrepreneuriaux incroyables, mais qui doivent souvent se battre dix fois plus pour faire face à des obstacles structurels.

Et pas seulement pour une question d’argent. Souvent, ce qui leur manque, ce sont un certain nombre de codes, de réseaux, de réflexes. C’est cela que vise à corriger French Tech Tremplin. L’initiative peut se résumer de manière très simple : nous identifions les meilleurs entrepreneurs répondant à ce profil et nous leur offrons les avantages auxquels ils auraient eu accès s’ils étaient issus d’un milieu plus favorisé : 30 000 euros de financement non dilutif, le mentorat de startuppers aguerris, un accès privilégié à plus de 160 incubateurs partenaires, un programme collectif à travers lequel ils pourront apprendre les uns des autres et accéder à un réseau de personnalités de la French Tech susceptibles de leur ouvrir des portes.

Ma conviction, c’est qu’en rejoignant la French Tech à travers ce programme, les quelques 200 entrepreneurs accompagnés ne feront pas que s’assimiler au paysage : ils peuvent aussi le transformer. Non seulement, ils en apprendront certains codes, mais ils contribueront à en briser d’autres. Rien qu’en étant eux-mêmes et en accomplissant leurs rêves, ils rompront avec certains stéréotypes associés à l’entrepreneuriat dans la Tech en France.

C’est le pari que nous faisons avec Cédric O et mon équipe et avec tous ceux qui soutiennent ce programme. La French Tech a besoin de ces changements. Rendez-vous d’ici le 15 octobre pour nous aider à les accomplir.

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Kat Borlongan

Director, French Tech Mission (French Ministry of Economy and Finance)