D’un budget inexistant à une sortie mondiale sur Netflix : ‘Paris est à nous’ raconte (et envoûte) toute une ville

Les coulisses de la campagne Kickstarter virale qui a retenu l’attention du géant de la diffusion en streaming.

Kickstarter
5 min readOct 24, 2018
Noémie Schmidt dans ‘Paris est une fête

Traduit vers le français par Angela Benoit.

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Au moment de commencer à tourner, l’équipe de Paris est à nous sait que son film jouera avec les frontières de la réalité. Ce qu’elle ignore, c’est qu’une expérience surréaliste l’attend — sa campagne Kickstarter, lancée dans le but de financer la post-production du film, va dépasser toutes les attentes, puis se fait repérer par Netflix.

Tourné sur fond de spontanéité et de gros titres, le film lui-même est une œuvre de fiction. C’est l’histoire d’Anna, une jeune femme emportée par un coup de foudre aussi intense que tragique. La scène de la rencontre amoureuse est scriptée ; le gigantesque festival de musique électronique où elle se déroule ne l’est pas. Filmé entre 2014 et 2017, l’ensemble de l’histoire s’enroule autour d’événements de la vie réelle, y compris la manifestation de 2015 en hommage à Charlie Hebdo.

Le résultat : la question de ce qui est vrai n’est jamais loin de l’esprit du spectateur. La tension entre fiction et réalité consomme le film. Le cliché de l’histoire d’amour qui finit mal prend soudain un goût d’inhabituel.

La campagne Kickstarter s’est terminée à 91 500 €, presque dix fois l’objectif de financement initial, grâce au soutien de 2 300 contributeurs. La France tout entière s’est passionnée pour le projet. Le mois dernier, Netflix annonce que le film sortira sur sa plateforme début 2019.

D’après Paul Saisset, le scénariste du film, l’équipe n’en revient pas.

« Nous n’étions personne dans l’univers du film français. Nous ne sommes pas des célébrités, nous n’avons pas de public établi et nous ne sommes pas soutenus par une grande société de production, explique-t-il. Nous avons simplement demandé à nos amis de jeter un coup d’œil à notre campagne et, si elle en valait le coup, d’en parler autour d’eux. »

Paris est une fête (titre original du film) est le titre francophone donné au récit autobiographique d’Ernest Hemingway (titre anglais : A Moveable Feast), publié en 1964 aux États-Unis. Saisset se souvient que pendant les années de tournage du film, l’expression devint un mantra dans les conversations publiques et privées, utilisée pour rappeler le Paris insouciant du passé et satiriser le climat de peur qui envahit la ville au lendemain des attentats terroristes de Charlie Hebdo et, quelques mois plus tard, du Bataclan.

« Un peu comme si Paris était une fête, mais une fête qui tourne mal. »

« Une fête qui fait même peur, insiste-t-il. Nous avons voulu capturer l’époque dans laquelle nous vivons et exprimer ce que nous avons ressenti ces dernières années. Politiquement et émotionnellement. »

Paul Saisset, Élisabeth Vogler (réalisatrice) et une équipe d’environ 24 acteurs, scénaristes, cinématographes, ingénieurs du son, spécialistes des effets spéciaux et autres s’embarquent dans ce projet sans budget, sans influence ni relations dans le monde du cinéma. Ils se cotisent, mettent leur entourage à contribution et s’organisent autour de leur emploi à temps plein. Restés sans producteur de cinéma, livrés à eux-mêmes, ils se tournent vers Kickstarter, avec l’espoir de récolter 10 000 € pour couvrir le strict minimum des frais de post-production. « Peut-être qu’une société de production nous remarquerait et injecterait le reste de l’argent dont nous avions besoin pour terminer le film », commente le scénariste.

Ils s’appuient sur leur réseau d’amis pour faire parler de leur campagne sur les réseaux sociaux et, tout à coup, un miracle se produit. Ils observent en spectateurs abasourdis l’afflux de soutien provenant d’inconnus qui se sont vus dans le film et qui se sont mobilisés.

« Le pourquoi du comment de ce qui marche et de ce qui échoue est une chose difficile à analyser, déclare Saisset. Comment expliquez-vous le succès planétaire de Nirvana ? Par le lien entre le groupe et son public à une époque donnée, tout simplement, et par ce que les gens recherchaient. Avec ce projet, nous avons touché la corde sensible et les gens nous ont répondu : ‘J’ai envie de voir ce film.’ »

Grâce aux fonds supplémentaires, l’équipe conserve son indépendance créative. Elle termine la post-production du film de façon autonome, sans avoir à compter sur le soutien financier d’un producteur qui, d’après le scénariste, aurait voulu contrôler les aspects artistiques. Le soutien massif reçu « nous a permis de rester maîtres de notre création. »

Puis, fait encore plus incroyable, Netflix frappe à leur porte, sans que personne ne sache comment la société de streaming a entendu parler du film. Et pourtant, le directeur européen des acquisitions de droits, qui est d’origine française, contacte l’équipe avant même que la campagne de financement ne soit terminée pour lui proposer d’en faire un « Original Netflix ».

« Accepter leur offre n’était pas une décision facile, admet Saisset. Nous voulions l’expérience cinéma, avec une grande sortie. Nous étions un peu tristes [de penser] que certaines personnes regarderaient le film sur un ordinateur portable. En même temps, nous avons compris que plus de gens y auraient accès, ce qui était aussi un avantage. Nous avons grandi dans un monde où l’accès au cinéma, à de grandes œuvres d’art, se fait en ligne. Notre passion pour le cinéma s’est construite [sur Internet]. Donc, le choix Netflix, c’est aussi aller à la rencontre de notre public. »

Paris est à nous sortira (sur ordinateur portable et ailleurs) dans le monde entier début 2019, tout ça parce que l’équipe a pris des risques et diffusé son film atypique par des méthodes atypiques.

« Après avoir essayé, essayé et essayé encore, après toutes les portes qui sont restées fermées, et en même temps convaincus que cette idée était folle et qu’il fallait en faire quelque chose, nous avons conclu que nous devions essayer », raconte Saisset au sujet du projet Kickstarter. « Qu’avions-nous à perdre ? »

Pour soutenir d’autres films aux croisements des genres avant qu’ils ne se retrouvent chez Netflix, rendez-vous sur Kickstarter, catégorie Cinéma.

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