Quand l’invisible devient souffrance

Par Anaïs Kerdraon, Marie Gicquel et Kozi Pastakia

Kozi Pastakia
3 min readMar 11, 2015

Démangeaisons, sensations de piqûre, d’humidité et de chaleur … A la suite d’une amputation, plus de 80% des patients continuent de ressentir les membres qu’ils ne possèdent plus. Ce phénomène porte un nom : le “syndrome du membre fantôme”. Au quotidien, les sensations se manifestent de façon beaucoup plus douloureuses. Martine, 51 ans, est amputée fémorale droite depuis six ans. Elle a perdu sa jambe dans un accident de moto. Son compagnon Pierre, présent sur le véhicule, a lui aussi été amputé. Séparés quelques semaines après l’accident, ils ont été réunis le temps de la rééducation. Ensembles, Martine et Pierre ont redécouvert la vie, “une patte en moins”.

“ Je me suis réveillée, j’ai soulevé le drap. J’ai vu que ma jambe n’était plus là ”

Impossible de connaître concrètement l’origine de ce syndrome. Seule explication avancée par les spécialistes : le cerveau continue d’envoyer des messages aux nerfs du membre amputé et crée ce type d’illusions. Lorsqu’un membre est amputé, il y aurait une discordance entre le schéma cérébral du corps et ce qu’aurait enregistré le cerveau. Mais l’intensité des douleurs n’est pas la même pour tous. En effet, le syndrôme diffère selon les patients, comme l’explique Martine.

“ Découpage de la jambe à la lame de rasoir … morceau de charbon chauffé et des brûlures ”

Si Martine continue de suivre un traitement pour apaiser cette souffrance, son compagnon Pierre, également amputé de la jambe droite, n’a pas connu les mêmes douleurs. Pour lui, il était davantage question de crampes.

Pas de cure à l’horizon

Après le deuil du membre, la souffrance. Martine ne sait pas vers qui se tourner. “Quand on sort des centres, il faut vraiment aller à la pêche aux informations”. Elle déplore le manque de conseils ou de “guide” pour mieux accepter sa nouvelle vie. Que faire lorsque la douleur, invisible mais bien réelle, est trop dure à supporter ?

“ Je suis restée 1h40 avec ce [piment] sur le moignon … Tu sens une énorme douleur. On a dû me shooter à la morphine ”

Le cerveau garde en mémoire la dernière position du membre juste avant l’accident. Pour Martine, qui était sur une moto, la sensation est celle d’une jambe recroquevillée. “J’ai l’impression que ma jambe est toujours pliée et j’aimerais la redréssée”, révèle Martine. Si le patient retire sa prothèse la douleur se fait plus forte. Mais les désagréments peuvent également être le signal d’une prothèse mal fixée.

Psychologiques, chirurgicaux ou physiques. Pour soigner ce syndrome du membre fantôme, les traitements n’en sont qu’au stade expérimental. La solution miracle n’a pas encore été trouvée. Une personne amputée peut subir les douleurs toute sa vie, pour certains elles s’en vont au bout de quelques années quand chez d’autres, elles peuvent réaparraître.

Un remède a été rendu célèbre par la série télévisée “Dr House” (extrait en anglais ci-dessous). Il s’agit de la thérapie du miroir mise au point par les neuroscientifiques américains Ramachandran et Hirstein. Un miroir est placé face à la jambe ou le bras amputé. La personne handicapée aperçoit le reflet du membre et a l’impression de voir ses deux jambes ou ses deux bras. Un traitement qui permettrait d’apaiser psychologiquement les patients.

Dans un épisode de la saison 6 de la série américaine “Dr House”, le médecin utilise la thérapie du miroir pour soulager les douleurs d’un ancien militaire, amputé du bras droit.

Continuer à vivre malgré le handicap

Après plusieurs mois de rééducation, Martine a enfin pu bénéficier d’une prothèse : le début d’une nouvelle vie. La prothèse est un membre qu’il faut savoir appréhender, apprivoiser. L’appareillage technologique coûte très cher (à partir de 20 000 euros) et suscite parfois de drôles de regards. Une attention à laquelle Martine doit faire face au quotidien.

Plus que physique, l’amputation peut aussi devenir un handicap social voire un tabou. Un combat de tous les jours que mène Martine et son compagnon Pierre pour une meilleure intégration des personnes en situation de handicap dans la société. “Ce n’est pas parce qu’il vous manque un bout, qu’il faut arrêter de vivre”, conclut Martine, le sourire aux lèvres.

http://www.photosnack.com/Mariegicquel28/vivre-avec-un-membre-invisible.html

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