Comment les championnats européens de football ont dépassé le milliard en droit TV ?

9,527 Milliards d’euros par saison, c’est le montant généré par les 5 grands championnats européens en droit TV.

Maxime Kurdali
9 min readJul 20, 2020

Les droits de retransmission des événements sportifs ou Droits TV représentent une part importante de l’économie du sport professionnel. Les championnats européens de football ont vu ces droits exploser sur les dernières années.

Aujourd’hui, les 5 grands championnats génèrent 9,527 Milliards d’euros par saison.

Au-delà de l’explosion des droits TV, l’économie du sport est un secteur dont l’importance est sous estimée. Elle représente une part non-négligeable du PIB mondiale 1200 milliards selon l’OCDE ce qui est bien supérieur à l’industrie du luxe (281 milliards) mais bien inférieur à l’industrie de la culture (2250 milliards selon L’UNESCO). De plus, ce marché connaît une forte croissance et résilience aux conjonctures économique (+19% sur la période 2005–2012 malgré la crise des subprimes.

En France, le bilan serait de 40 milliards annuels.

L’économie du sport est composée de 3 versants

  1. Le marketing du sport correspond aux événements sportifs organisés au niveau mondial (la Coupe du monde de Football, Les JO ou encore Roland-Garros) et local (championnat européen de football, NBA etc.). A ceci s’ajoute les activités de sponsoring utilisées par les marques pour améliorer leur notoriété en s’associant aux différentes équipes ou directement avec les sportifs. Ce secteur représente 20 % du marché (1200 milliards).
  2. Les articles de sport, équipementiers et distributions (matériel) correspondent au marché des produits liés au sport. Ce segment comprend les équipements spécifiques (ballon, raquette), les chaussures et textiles via les distributeurs généralistes ou spécialisés. Il représente environ 30 % du marché.
  3. Les organisations de sport et la gouvernance du sport se rapportent à tous ceux qui organisent et gouvernent le sport : fédérations, ligues, clubs, syndicats, pouvoirs publics et acteurs du tourisme sportifs. Ainsi, on y trouve les acteurs tels que la FIFA (Fédération International de Football Association) ou encore l’ATP (Association Tennis professionnel) qui correspondent respectivement à l’entité mondiale du foot et tennis masculin professionnel. Dans ce segment, nous trouvons également l’investissement des pouvoirs publics dans les infrastructures comme la construction de stades ou de complexes sportifs. Ce secteur correspond à la moitié du marché du sport.

Au sein de l’économie du sport, se trouve une sous-catégorie : les droits TV et leur répartition auxquels nous allons nous intéresser dans la suite de cet article.

Tout d’abord qu’est ce que les droits TV ?

Ce sont les droits que payent, généralement, les chaînes de télévision afin de retransmettre les différentes compétitions sportives.

Les droits TV représentent une part importante de l’économie du sport et d’autant plus pour le plus populaire à travers le globe : le Football.

Les clubs professionnels ont plusieurs sources de revenus comme la vente de billets physiques (recette des matchs), le sponsoring, la vente de produits ou goodies comme les maillots de l’équipe. Toutefois, aujourd’hui, la diffusion à la télévision des matchs et les revenus qui y sont associés correspondent à l’élément le plus rémunérateur pour ces clubs.

En effet, en 1997, le budget moyen d’un club de ligue 1 était de 13,8 millions d’euros dont 4,735 millions provenant des droits TV soit 34 % du budget des clubs.

Tandis qu’en 2018, le budget moyen d’un club de ligue 1 est d’environ 85 millions dont 39,5 millions provenant des droits TV soit 46 % de leur budget.

Nous observons donc à la fois une hausse du budget des clubs, des revenus des droits et de la part des droits TV dans le budget des clubs qui augmenta de 10 % en moyenne sur la période 1997–2018.

Comment expliquer la hausse des droits TV ?

Cette hausse s’explique par une véritable lutte qui se met en place entre les diffuseurs pour s’accaparer ces droits.

L’arrivée de nouveaux diffuseurs

En France, le championnat national de football est un programme très convoité par les chaînes de télévision où plusieurs acteurs s’affrontent. Dans un premier temps, Canal +, le diffuseur historique de la ligue 1 depuis 1984, a bénéficié d’une exclusivité de 84 à 97.

L’arrivée d’Orange puis d’Al Jazeera Sports à travers sa filiale Bein Sport en 2012 rabat les cartes. Les droits TV augmentent continuellement passant de 375 millions d’euros par an sur la période 2002–2005 à 726 millions sur la période 2016–2020 jusqu’à dépasser le milliard d’euros par an de revenus pour la ligue 1 de 2020–2024. Cette hausse de 60 % s’explique par l’entrée d’un nouvel acteur Media Pro qui s’empare du gros lot tandis que le diffuseur historique, Canal + n’en obtient aucun pour cette période.

L’émergence d’une icône ambassadrice de son sport

Ce phénomène n’est pas une singularité dans le monde de la diffusion sportive. Nous retrouvons des similitudes dans d’autres sports avec la NBA (National Basket Association) qui a connu des temps sombres dans les années 70. Difficile à croire aujourd’hui, mais la NBA, à cette époque, était vue comme une ligue de drogués qui n’intéressait pas le grand public. Preuve du désamour pour la ligue, CBS ne diffuse pas toutes les rencontres des finales en direct.

Cependant, dans les années 80, la ligue connaît une renaissance avec la rivalité entre Magic Johnson et Larry Bird qui débuta dès le championnat universitaire. L’explosion de la ligue intervient avec la mythique équipe des Bulls de Jordan dans les années 90 et le rayonnement à l’international de ces stars en 92 avec la présence de la Dream Team aux JO de Barcelone.

Suite à ce rayonnement médiatique de 92, le montant des droits TV augmenta de manière exponentielle passant de 1,5 millions en 1980 à 2.7 milliards par an à partir de 2016.

L’arrivée de nouveaux marchés : les Droits TV internationaux

Les droits TV expliquent partiellement la hausse des revenus des sportifs, mais la mondialisation et la globalisation sont également à l’origine de l’explosion des droits TV. En effet, les droits TV se décomposent en deux :

  • Les droits TV domestiques c’est-à-dire les droits de diffuser une compétition nationale sur une chaîne nationale
  • Les droits TV internationaux c’est-à-dire le droit de diffuser une compétition provenant d’un autre pays sur une chaîne nationale.

La différence entre les grands championnats européens s’effectue majoritairement sur l’exportation du championnat à l’internationale.

Nous remarquons que le championnat anglais s’exporte très bien avec 1,582 milliards d’euros par saison tandis que le championnat français est loin derrière avec “seulement” un gain de 80 millions par saison via l’exportation. Le ratio est de 20 contre 1 alors que pour les droits TV domestiques ce ratio est inférieur à 2.

Pourquoi le championnat anglais est-il aujourd’hui le championnat européen le plus lucratif ?

En 1992, création d’un nouveau format du championnat anglais (Premier League) afin de se séparer de la Football Association (fédération anglaise de football) et de la ligue précédente Football league. Cette séparation a permis à la Premier League de négocier elle-même avec les diffuseurs les droits TV et les contrats de sponsoring.

Cette indépendance a permis à la Premier League de passer de 246 millions par saison lors de la période 92–95 à 2,034 milliards par saison sur la période actuelle pour les droits domestiques. En ajoutant les droits TV internationaux, les clubs se partagent 3,35 milliards par saison.

La Premier League devient ainsi la 3e ligue sportive la plus lucrative derrière la NFL ( National Football League (Foot US)) et la MLB (Major League Baseball).

Note : les montants affichés sont les droits TV totaux sur la période considérée (pas pour une saison)

Les montants astronomiques des droits TV permettent à la Premier League d’asseoir son avantage économique bénéficiant d’un effet boule de neige. En effet, les clubs sont d’autant plus riches et peuvent piller les autres championnats en proposant des salaires plus élevés. L’arrivée de nouveaux joueurs, l’investissement dans des infrastructures neuves et la hausse global des budgets permettent de rendre plus attractif le championnat pour les spectateurs. Les sponsors sont aussi prêts à payer d’avantages pour associer leur marque à une équipe ou directement à la Premier League. Cet effet boule de neige crée une boucle vertueuse rendant le championnat toujours plus attractif pour les différents parties.

Une disparité dans la redistribution des droits TV

Au-delà de la disparité des revenus entre les championnats, la répartition entre les clubs diffère d’une ligue à l’autre.

En Premier League, la répartition est plus équitable que les autres championnats. Liverpool qui perçoit le montant le plus élevé (248 millions par saison) ne récolte que deux fois plus que Stoke city.

En Liga, l’écart est beaucoup plus élevé puisque le Real Madrid obtient six fois plus de revenus que Leganès

Le delta le plus grand se situe en Série A, où la Juventus dispose de droits TV dix fois plus importants que le petit poucet italien Crotone.

En Ligue 1, lors de la saison 2017–2018, le PSG a perçu 56,7 millions d’euros de droits TV, soit presque 4 fois le montant obtenus par Troyes (15,7 millions d’euros).

Comment de telles disparités entre et au sein d’un même championnat peuvent-elles apparaître ?

Disparité entre les championnats

La répartition des droits TV est négociée différemment selon les championnats européens. Elle peut soit être négociée individuellement par les clubs soit l’être collectivement. Ce mode de négociation influence la répartition des droits.

En Italie et en Espagne, où les écarts entre les clubs sont le plus important, la négociation se fait individuellement. Ainsi les clubs historiques, Bankable et généralement ayant les meilleurs résultats sportifs ont plus de poids lors des pourparlers avec les diffuseurs. Ils peuvent négocier à titre individuel une part plus élevée que les plus “petits” clubs du championnat. Ici, c’est l’attractivité commerciale qui prime.

Ces écarts de revenus entre les petits et les gros tendent à accroître les écarts également au niveau sportif.

Au contraire, les championnats Français et Anglais ont fait le choix d’une négociation collective et centralisée des droits TV. Ici les écarts de redistribution se justifient par les résultats sportifs lors du championnat.

Disparité au sein d’un championnat : le modèle français

C’est la LFP (Ligue de Football Professionnel) qui négocie et redistribue le montant des droits TV. Cette répartition repose sur un double principe de solidarité et de compétitivité.

Nous trouvons une part fixe et une part variable.

La part fixe est identique pour tous les clubs du championnat et correspond à 50 % des droits partagés. Ainsi, avec le nouveau contrat à 1,1 milliards d’euros, les équipes recevront chacune 27,5 millions par saison.

Les 50 derniers pourcentages sont partagés selon un critère sportif (30 %) et un critère commercial (20 %) c’est-à-dire l’attractivité du club pour les sponsors.

Les années paires : croissance accrue des droits TV

Enfin globalement, les revenus issus des droits TV varient d’une année sur l’autre, mais un pattern semble émerger. Chaque année paire, le montant des droits TV connaît une hausse importante.

Pourquoi une hausse des droits TV les années paires ?

Les grosses compétitions sportives sont à l’origine de la majorité des revenus générés. Or, les plus grands événements internationaux se déroulent les années paires comme la Coupe du monde de Football et les JO.

C’est pourquoi, nous observons une certaine saisonnalité dans l’évolution des droits TV. Outre la présence de ces 3 événements mondiaux, il convient cependant de noter que le marché des droits TV croît de manière régulière, comme en atteste l’évolution des années impaires (+11,3 Milliards de dollars entre 2007 et 2015, soit une augmentation de plus de 47 %).

Ainsi les droits TV et plus globalement le secteur du sport connaissent une croissance forte et ininterrompue depuis deux décennies faisant fi des divers crises.

En résumé

  1. Les droits TV constituent une part importante du budget des clubs de football.
  2. Les 5 grands championnats européens connaissent une hausse de leur revenu grâce au droit TV. Les Anglais sont ceux qui s’en sortent le mieux avec une exportation à l’international bien supérieur aux autres.
  3. Le mode de négociation (collectif ou individuel) des droits TV influence les écarts de revenus entre les clubs.
  4. Hausse globale des droits TV lors des années paires.

Après avoir vu de manière descriptive le marché des droits TV, j’aborderai analytiquement le sujet afin de comprendre comment les droits sont distribués, quels sont les acteurs du marché, quels mécanismes entrent en jeu, quels sont les avantages et les inconvénients des différents méthodes d’enchère, etc.

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Maxime Kurdali

Fondateur de Beyond The Court le média qui explore et analyse l’argent et le business du sport