Peut-on évaluer les politiques publiques par la recherche?
par Laurène Tran |Regards Croisés sur l’Economie
- En 2011, Regards Croisés sur l’Economie avait rencontré Etienne Wasmer et se demandait “Peut-on évaluer les politiques publiques par la recherche ?”
- Dans un document publié la semaine dernière, le président et le rapporteur du groupe de travail sur les moyens de contrôles et d’évaluation de l’Assemblée nationale proposent de créer une “agence parlementaire d’évaluation” (APE).
- L’APE compterait quarante personnes, principalement des analystes et des chercheurs.
- Le fer de lance du projet est le député Jean-Noël Barrot, économiste et associate professor au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il organise un colloque le jeudi 28 juin à l’Assemblée Nationale.
- Des membres de Regards Croisés sur l’Economie seront de la partie, retrouvez-les jeudi!
Vers une agence parlementaire d’évaluation
Ces derniers mois, l’évaluation des politiques publiques s’est de nouveau immiscée dans le débat politique. Diverses tribunes portées tant par des parlementaires que des chercheurs en sciences sociales (tels que Bruno Palier, David Thesmar, et Etienne Wasmer — tous anciens contributeurs à Regards Croisés sur l’Economie!) plaident pour un renforcement des moyens de contrôle et d’évaluation du Parlement.
Le sujet n’est pas nouveau. La Loi organique relative aux lois de finances (Lolf) de 2001 prévoyait déjà de dépasser la notion de contrôle budgétaire en consacrant celle d’évaluation. Quelle nouveauté dans ces tribunes ? Il est suggéré de constituer une structure sui generis plutôt qu’un nouveau service au sein des assemblées. Dans cet esprit, un document publié la semaine dernière par le président et le rapporteur du groupe de travail sur les moyens de contrôles et d’évaluation de l’Assemblée proposent de créer une “agence parlementaire d’évaluation” (APE).
Le précurseur : le Congressional Budget Office (CBO) américain
Les principes qui guident l’action de “l’agence parlementaire d’évaluation” (APE) ont explicitement inspirés par le Congressional Budget Office (CBO) américain: (i) expertise non partisane, (ii) transparence des méthodes de travail, (iii) relations étroites avec le monde scientifique et universitaire.
En 40 ans, le Congressional Budget Office (CBO) a construit son influence et sa crédibilité en embauchant du personnel légitimé par une “compétence technique”, en décidant que l’organisation ne ferait pas de recommandations politiques au Congrès et en critiquant les propositions présidentielles qui vantent des projections trop optimistes, même dans les cas où le directeur venait du même parti que le président.
Par ailleurs, le mandat du CBO restreint son champ à l’évaluation ex ante et en particulier à la question les coûts purement économiques et financiers, plutôt qu’à l’investigation des conséquences sociales, environnementales d’une politique publique.
Alors qu’au Mexique, la Corée du Sud, le Canada ou encore de la Jordanie, les agences équivalentes ont été construites dans le cadre de programmes de coopération bilatéraux menés directement avec le CBO lui même, dans le but de répliquer l’organisation, l’APE semblerait plus autonome dans son émergence.
Une agence d’évaluation des politiques publiques indépendante et experte au service du parlement français
D’emblée, l’agence parlementaire d’évaluation (APE) devrait s’adapter aux particularités du contexte institutionnel français dominé par les corps d’inspection ministériels, le Conseil d’État, ou la Cour des comptes. Par ailleurs, deux autres organisations sont déjà officiellement en charge de l’évaluation des politiques publiques: France Stratégie, et le Secrétariat général à la modernisation de l’action publique.
En France, l’APE aurait un champ d’intervention plus large que le CBO américain. Les activités de contrôle et d’évaluation devraient irriguer plusieurs étapes du travail parlementaire à la fois ex ante et ex post.
Croiser les regards sur l’évaluation des politiques publiques
En 2011, Etienne Wasmer dans Regards Croisés affirmait:
“combiner deux approches, ex ante et ex post, apporte plus de force à la diffusion dans le débat public et pour cela croiser les regards est essentiel”.
Pour en juger nous-mêmes, rendez-vous le jeudi 28 Juin à l’Assemblée Nationale! (inscription obligatoire).
Parmi les intervenants, on retrouve Esther Duflo, professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et récipiendaire de la médaille John Bates Clark en 2010 mais aussi des députés et des représentants d’organismes d’évaluation tels que le Conseil d’Analyse Économique, l’Institut des politiques publiques et bien sûr le Congressional Budget Office.
Aller plus loin
1. La confiance dans les chiffres La recherche de l’objectivité dans la science et dans la vie publique (Theodore M. Porter, 2018).
Le rapport parlementaire de mars 2018 observe que “l’évaluation des politiques publiques est un enjeu majeur pour les sociétés démocratiques, marquées par une crise de confiance à l’égard du politique”. C’est exactement c’est qu’explique Theodor Porter. Il montre que la quantification naît d’une tentative pour élaborer une stratégie d’impersonnalité permettant de résister aux pressions de l’extérieur. C’est dans ce contexte culturel que l’objectivité prend son essor, la quantification devenant plus importante lorsque les élites sont faibles et les négociations privées suspectes, et que la confiance fait défaut. Alors qu’on a tendance à considérer que la quantification est considérée comme souhaitable dans l’enquête sociale et économique depuis ses succès dans l’étude de la nature, Theodor Porter retourne la question. C’est en comprenant l’intérêt pour la quantification dans le monde des affaires et des politiques publiques que nous apprendrons quelque chose de nouveau sur son rôle dans les sciences expérimentales.
2. The Congressional Budget Office: Honest Numbers, Power, and Policy (Philip Joyce, 2011).
Ce livre fait le récit de la montée en puissance du CBO. En mêlant, histoire politique et économique, il décrit la lente institutionnalisation d’une agence “experte” et “indépendante” face au pouvoir politique.
3. A chat with Alice Rivlin on her career in economic policymaking (Financial Times Alphaville, mai, 2017).
Alice Rivlin a été la première directrice du Congressional Budget Office. Elle a servi sous trois administrations présidentielles (Johnson, Clinton, Obama) et a été vice-présidente de la Fed. Aujourd’hui, elle continue de publier des travaux de recherche et des chroniques à la Brookings Institution.
Références
Tribunes
« Le Parlement doit se doter d’une structure propre d’évaluation des politiques publiques » (février, 2018).
« Pour un débat budgétaire responsable et libéré de l’arbitraire » (avril, 2018).
« Il faut « couper le lien » entre l’exécutif et les agences de notation des politiques publiques» (juin, 2018).
Rapports
1er rapport du groupe de travail sur les moyens de contrôle et d’évaluation du Parlement (décembre, 2017).
Format et compétences d’un organe d’expertise propre au Parlement (mai, 2018).
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La revue Regards croisés sur l’économie vise à combler le fossé entre la recherche académique et le débat public. Clairs et didactiques, ses articles rendent compte des dernières avancées des sciences sociales et de leurs implications concrètes pour les politiques publiques.
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