Pourquoi En Marche doit devenir un parti de gauche.
Les classes moyennes sont la base de la démocratie. Mais, enFrance, l’affaiblissement des classes moyennes est très net, comme en témoignent les nombreux ouvrages parus sur le sujet, que ce soit No society, la fin de la classe moyenne occidentale, par Christophe Guilluy (éd. Flammarion), La précarisation des classes moyennes, par la revue Études, Le chagrin des classes moyennes , par Nicolas Bouzou (éd. JC Lattès), ou encore Cadres, classes moyennes: vers l’éclatement ? par Paul Bouffartigue (éd. Armand Colin.)
Dans leur essai “Le grand malaise, enquête sur les classes moyennes”, Jérôme Fourquet, Alain Mergier et Camille Peugny indiquent que, entre 2010 et 2013, “le poids des classes moyennes véritables est passé (…) de 28% à 20% quand celui des classes moyennes inférieures augmentait de quatre points, de 24% à 28%.”
Ce rétrécissement de la classe moyenne en France et sa paupérisation expliquent l’apparition en France du mouvement des “gilets jaunes” :
D’une part, les professions caractéristiques des classes moyennes sont sur-représentées dans le mouvement : selon une étude de plusieurs universitaires parue dans Le Monde, les employés représentent 45% des gilets jaunes actifs, alors qu’ils ne représentent que 27% de la population active française.
Et les gilets jaunes ne font pas partie des catégories les plus précaires : selon les auteurs de l’étude citée ci-dessus, “ils n’appartiennent pas aux catégories les plus précarisées économiquement : 10 % d’entre eux déclarent avoir un revenu inférieur à 800 euros par mois (contre 519 euros pour les 10 % des ménages français les plus pauvres).” Toujours selon cette même étude, les ouvriers ne représentent que 14,4% de l’ensemble des gilets jaunes, alors qu’ils représentent 20,8% de la population active.
Les “gilets jaunes” appartiennent ainsi à la classe moyenne de la France rurale et périurbaine, celle dont les portions à la table prandiale de la social-démocratie évoquée plus haut sont de plus en plus congrues, celle qui bénéficie de moins en moins de l’accès aux services de la vie courante et notamment aux services publics, comme le montrent les deux cartes ci-contre, analysées par le démographe Hervé Le Bras :
Par ailleurs, on observe qu’à l’échelle européenne, les trois pays qui sont le plus profondément social-démocrate (Danemark, Suède, Norvège) n’ont pas été affectés par le mouvement des gilets jaunes, comme le montre la carte ci-contre.
Autrement dit, le mouvement des gilets jaunes est la conséquence du paradoxe qui a caractérisé l’élection de Emmanuel Macron en 2017 :
Lors de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron a en effet déclaré qu’il n’était “ni de droite, ni de gauche”.
Mais ce positionnement centriste a pu faire perdre de vue que c’est bel et bien grâce à aux électeurs de gauche que M. Macron a été élu, puisqu’ils ont massivement voté pour lui :
Lors du premier tour, selon une étude de Pierre Bréchon, professeur à Sciences Po Grenoble, “sur 100 électeurs de François Hollande en 2012, 45 ont voté Macron en 2017 et seulement 14 pour le candidat socialiste ! L’électorat Macron de 2017 provient à 58 % d’électeurs Hollandais, à 7 % de Bayrouistes et à 24 % de Sarkozystes.”
Au second tour, 92% de ceux qui se déclarent “à gauche”, “plutôt à gauche” ou “très à gauche” ont voté pour Emmanuel Macron (et 8% seulement pour Marine Le Pen).
Tandis que seuls 48% de ceux qui se déclarent “à droite” ont voté pour lui au second tour (et que 52% d’entre-eux ont voté en faveur de Marine Le Pen).
Le pourcentage de ceux qui se déclarent à gauche et qui ont voté pour M.Macron est même plus important que le pourcentage de centristes qui ont voté pour lui (89%), alors même que les centristes étaient en principe son électorat principal et naturel.
Pour le dire autrement : 71% des électeurs de Benoît Hamon ont voté pour Emmanuel Macron au second tour, ce qui fut aussi le cas de 52% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon.
Soit, au second tour, 5 millions de voix pour Emmanuel Macron en provenance de la gauche (les électeurs de MM. Hamon et Mélenchon), et 3,9 millions de voix seulement pour lui en provenance de la droite (les électeurs de MM. Fillon et Dupont-Aignan.)
Au risque de se répéter, c’est donc bel et bien l’électorat de gauche qui a rendu possible la victoire de M. Macron.
Mais sur un plan sociologique, a-t-il plutôt séduit les “riches” ou les “pauvres” ? -désolé pour cette distinction “basique”, mais les gens qui disposent de moins de 1.250 euros par mois se retrouvent de fait dans une situation “basique”.
L’enquête Ipsos-Steria pour Public Sénat relève que “M. Macron recueille 75% des voix dans les foyers gagnant plus de 3.000 euros, mais ne séduit que 55% des électeurs dont le foyer gagné 1.250 euros par mois. 69% des électeurs affirmant s’en sortir “très difficilement” avec leurs revenus ont donné leur voix à Marine Le Pen”.
Ce qui explique sans doute le mouvement des “gilets jaunes” : contrairement à ce que les invectives ou déclarations intempestives de certains de leurs leaders ont pu faire croire, la grande majorité des manifestants n’est pas d’extrême-droite, ni même de droite.
En effet, parmi les manifestants qui se positionnent politiquement, 42,6% d’entre-eux se situent à gauche ou à l’extrême-gauche, et 12,8% à droite ou à l’extrême droite (cf graphique ci-dessous.)
Les gilets jaunes sont des “pauvres de gauche” qui ne se retrouvent pas dans le programme et l’action d’un président élu par des “riches de gauche”.
C’est ici qu’apparaît le paradoxe de l’élection d’Emmanuel Macron : il a séduit les riches de gauche, tandis que Mme Le Pen a séduit les pauvres de droite.
Que ce paradoxe ait permis son élection ne doit pas faire oublier qu’un quinquennat ne peut pas se fonder durablement sur un tel paradoxe.
Autrement dit, si Emmanuel Macron et son parti En Marche veulent repartir du bon pied, il serait bon de résoudre ce paradoxe et de faire en sorte d’attirer non seulement les riches de gauche -pourquoi pas, s’ils sont vraiment de gauche-, mais aussi les classes moyennes et les pauvres, que la gauche a en principe vocation à accueillir.
Et de faire d’En Marche un véritable Parti Social Démocrate -objectif si difficile à expliquer qu’il nécessite l’ouverture nouvelle galerie souterraine. Un Parti Social-Démocrate, c’est-à-dire un parti de gauche de gouvernement qui prend vraiment en compte les intérêts des plus démunis, des classes moyennes, des jeunes des cités, des populations délaissées des zones périurbaines et rurales
(En Marche, futur Parti Social Démocrate… On peut rêver. Laissez-moi rêver, je suis social-démocrate et pro-européen, j’ai le droit de rêver.)