Contre le Coronavirus : l’Industrie, c’est la vie !

Laurent Moisson
6 min readMar 24, 2020

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Nous manquons de masques, de gel hydro-alcoolique et de kits de dépistage.

Alors que les Coréens et les Singapouriens vivent à peu près normalement malgré le Virus, nous sommes tous assignés à résidence, comme on l’aurait été il y a cent ans, Netflix et Deliveroo en plus.

Parce que nous manquons de masques, de gel hydro-alcoolique et de kits de dépistage.

Le Gouvernement l’a maladroitement nié pendant plusieurs jours en nous chantant qu’aucun de ces machins n’était nécessaire à notre survie.

Des commentateurs experts ont enfoncé le clou : l’utilisation des données personnelles de géolocalisation « à la Coréenne » qui permettent de suivre les individus à risque, de les dépister et de les soigner, est tout simplement im-pos-sible au pays des droits de l’homme ! Oubliant, comme c’est cocasse, qu’en renonçant au contrôle électronique des individus, comme le font certains pays asiatiques, nous nous condamnons à un couvre-feu bien plus contraignant, bien plus liberticide.

Donc, si ! Il nous en faudrait, mais… nous manquons de masques, de gel hydro alcoolique et de kits de dépistage.

Alors, nous, citoyens reclus, nous livrons à notre jeu préféré : du haut de notre expertise de huit jours sur le sujet, nous chargeons nos gouvernants.

Aujourd’hui, c’est la bande à Macron, qui aurait mal prévu l’imprévisible, sous-estimé l’ampleur inestimable du mal. En 2010, face à une autre crise sanitaire, c’était le tour de Roselyne Bachelot. « Incompétente », « dépensière », que n’avons-nous dit à l’époque (moi aussi, je le confesse), quand elle achetait de si nombreux tests, de si nombreux vaccins, alors que le virus de la Grippe A n’a tué, en définitive, qu’un nombre limité de personnes dans le monde.

La polémique était telle qu’elle est restée dans les mémoires de tous les observateurs avisés de notre société, hommes politiques en tête. Peut-être trottait-elle dans l’esprit de nos décideurs en janvier, quand il fallait prendre des mesures rapides et radicales. Certains ont-ils préféré prendre le temps de la réflexion afin de ne pas tomber dans les mêmes travers ? Un temps perdu. Un temps qui manque aujourd’hui.

Nous devrions retenir de cette histoire que nos postures de citoyens perpétuellement exaspérés devant les manquements de leurs gouvernants a ce genre d’inconvénients. Le manque de bienveillance que nous manifestons à leur égard crée de la rigidité dans la décision publique. Je ne dis pas que cette indignation chatouilleuse, cette vigilance braillarde qui font de nous ce que nous sommes, n’ont pas du bon, notamment pendant l’apéro. Mais il faut bien admettre que, ces dernières décennies, nous les avons rarement investies sur les bons sujets.

Car, si nous manquons de masques, de gel hydro alcoolique et de kits de dépistage, c’est essentiellement parce que la France n’en fabrique plus, que les usines chinoises sont à l’arrêt et que les autres pays producteurs les gardent pour eux. Et si la France n’en fabrique plus, c’est parce qu’elle ne fabrique plus grand-chose. C’est incroyable, mais il aura fallu en arriver là pour nous rendre compte que nous avons bel et bien perdu notre souveraineté industrielle. Depuis longtemps.

Cela fait pourtant des décennies que les entrepreneurs, les industriels tirent la sonnette d’alarme. Mais nous préférons concentrer notre attention sur des débats tapageurs que sur des sujets demandant du recul, de la mesure, de la réflexion et de la compétence. Il est indéniable qu’on attirera toujours plus l’attention en parlant du voile islamique ou de l’arrêt des jeux genrés dans les crèches, qu’en remettant à plat les impôts de production, les règlementations trop tatillonnes, les traités internationaux de libre échange ou toute autre directives à mourir d’ennui qui font disparaître usines et investisseurs de nos territoires depuis quarante ans.

Dans notre démocratie du commentaire incessant, nous avons oublié que, depuis des années, des décennies même, notre paresse intellectuelle et notre aversion pour l’économie ont été les co-constructeurs du système que nous critiquons aujourd’hui.

Et c’est à coup de postures faciles et de discours simplistes que nous avons réussi à prendre des décisions absurdes sur des sujets pourtant abordés avec sincérité.

On a voulu lutter contre la pollution ? Excellente initiative ! Notre société ne peut plus continuer à considérer la nature comme une simple ressource.

On a voulu lutter contre la pauvreté des travailleurs les moins qualifiés ? Bonne idée ! Tout le monde conçoit qu’il faut lutter contre les inégalités.

Malheureusement, nous avons fait voter des lois tellement exigeantes en la matière et tellement laxistes sur d’autres[1] que nombre d’entreprises[2] sont allées polluer ailleurs ; dans des pays beaucoup moins vertueux[3] et souvent lointains. Là-bas, non seulement les usines délocalisées y dégradent plus rapidement l’environnement que si elles étaient restées chez nous mais, en plus, il faut réimporter leurs produits pour qu’on puisse les acheter.

Voilà comment, en voulant soulager notre conscience écologique et sociale, en voulant apaiser notre trouille d’une planète qui se réchauffe, on a condamné le climat à une double peine (sans doute aurait-il fallu polluer un peu plus en France pour beaucoup moins polluer dans le monde), tout en affaiblissant notre économie et, aujourd’hui, notre système de santé qui manque de masques, de gel hydro alcoolique et de kits de dépistage, vous dis-je…

Il y a quelques mois, territoires sinistrés, Gilets Jaunes en colères et chômeurs de longue durée étaient les victimes les plus évidentes de nos manichéismes. Aujourd’hui, ce sont les personnes âgées en réanimation dans nos hôpitaux qui en sont les symboles.

Mais tout espoir n’est pas perdu, car les rares industriels qu’il nous reste se sont mobilisés.

Des PME résistent, comme Armor Lux, comme le Groupe Éminence, la société 1083 et d’autres qui se pressent pour entrer dans la résistance. Ludovic Gaudic, propriétaire des Ateliers Peyrache, va même jusqu’à reprendre une usine textile en liquidation à Limoges, en pleine crise, et y produit des masques.

Des Grands Groupes et des milliardaires accourent également pour sauver des vies. Malgré les tombereaux d’insultes que déversent sur les réseaux ceux qui trouveront toujours leur réussite suspecte, ils se démènent pour fournir aux hôpitaux ce que les services de l’Etat ne parviennent plus à trouver.

Merci à Pernod-Ricard pour avoir converti des usines d’alcool en chaine de production de gel, merci à LVMH et à Bernard Arnaud pour avoir mobilisé son outil industriel et ses contacts afin de livrer gel et masques aux soignants, merci à son éternel rival Pinault de mettre toute la force de Kering dans la bataille (certaines compétitions privées devraient être déclarées d’intérêt général). Merci à Sanofi pour avoir offert des millions de doses d’antipaludéens afin de tenter de guérir les mourants.

Et, quand tout cela sera fini, que la lecture des si nombreux commentaires orduriers ne détourne pas ces multinationales de leur mission : parrainer les PME, donner des débouchés aux entrepreneurs locaux pour rendre la France plus forte. Plus forte contre les prochains virus et contre la crise économique qui ne fait que commencer. Car demain, une fois la peur évacuée, il faudra reconstruire notre industrie. Pour cela, nous aurons besoin de beaucoup d’autres comme eux : des grands qui relocalisent leurs usines et des petits qui en créent de nouvelles.

L’Etat fait déjà beaucoup et il ne règlera pas tout.

Alors, chers compatriotes, quittons cette position de spectateurs de mauvaise humeur et préparons-nous à prendre notre part de risques, à investir et à entreprendre pour reconquérir notre souveraineté industrielle. Que ceux qui ne le pourront pas s’engagent différemment : qu’ils consomment éthique, qu’ils militent avec nous. Parce que plus personne, après cette crise, ne pourra sérieusement dire qu’il ne savait pas : Zola est mort depuis longtemps et, aujourd’hui, l’industrie, c’est la vie !

Bienvenue aux Forces Françaises de l’Industrie.

Laurent Moisson

https://www.forcesfrancaisesdelindustrie.fr

[1] protection du marché intérieur Européen, par exemple

[2] déménagées par leurs propriétaires ou rachetée et démembrées par de grands investisseurs étrangers

[3] l’énergie Allemande est beaucoup plus carbonée que la nôtre, quant à la Chine…

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Laurent Moisson

Entrepreneur (digital et PME traditionnelles). Auteur de “Napoléon, Hannibal… ce qu’ils auraient fait du digital” blog www.histoirebusinessetconfiture.com