Ava Gardner

À PRÉSENT
2 min readApr 1, 2020

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Hermine Marseille — 31 mars 2020

Anouk se répétait : « En essayant continuellement, on finit par réussir. Donc plus ça rate, plus on a de chance que ça marche. » Les Shadoks étaient décidément ses maîtres à penser, et force était de constater qu’elle n’avait jamais été aussi près de réussir. Elle ne pouvait faillir, ses aïeuls n’avaient pas enduré exode et massacres pour qu’elle finisse avachie sur son canapé avec des yeux de gobi.

Elle ressassait.

Son éducation avait consisté en un savant mélange de surprotection et de menaces, prodigué de façon incohérente par quiconque était plus âgé ou plus grand qu’elle — ce dernier point ayant, au gré des pubertés, créé de fortes injustices au sein de la fratrie.

« Si tu ne travailles pas, je te gomme du livret de famille. » Anna, sa mère, avait tout arrêté pour s’occuper d’eux. Et, pour se faire entendre, avait usé de la fameuse combinaison amour et menace, dont la culpabilité faisait le sel. Pour s’assurer qu’aucune gomme ne subsisterait, le surmoi survivaliste d’Anouk était allé jusqu’à décapiter tous ses crayons. Elle devait avoir dix ans et traçait tant bien que mal des lignes sur son carnet sans spirale à petits carreaux Clairefontaine. La chaise était trop haute et elle devait prendre appui sur le premier barreau. En baissant la tête, elle pouvait apercevoir ses pieds, grecs. Un atout de plus à ajouter à la longue liste de ses qualités…

« Arrête tes bêtises, essaie d’être aussi bonne en géométrie que les Grecs, ce sera déjà pas mal. »

Est-ce qu’on avait demandé à Ava Gardner, qui incarnait Maria Vargas, l’héroïne de La Comtesse aux pieds nus, de lire Charles Perrault ? La meilleure des cendrillons espagnoles s’était contentée d’enfiler une jupe de soie et de danser pour ensorceler l’assemblée de gitans. « La vie est injuste », se disait Anouk intérieurement, le mot ayant été banni de la maison. Trois pas de flamenco langoureux et sa carrière était lancée. Certes, la fin était tragique…

« Che sera, sera, ma fille », coupa la mère d’Anouk, qui avait compris où sa rêverie l’avait emmenée.

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À PRÉSENT

Recueil collectif imaginé aux temps du confinement. Édité par Lilas Seewald. Tous droits réservés.