Monica Vitti

À PRÉSENT
3 min readMar 28, 2020

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Hermine Marseille — 27 mars 2020

Anouk se souvenait. Elle se souvenait de Monica Vitti, cette dose de blondeur. Ce mix de David Bowie, Dalida et Bardot. La vamp qui mettait tout le monde d’accord à table. Et ce n’était pas facile quand la plupart des convives avaient pour ADN commun celui des « Armenioch ». Du brun et du poilu, grand cube moustachu, ovale débordant, stockfisch anguleux, mais belles et beaux comme l’idée qu’on se ferait du type Caucasien. Anouk se souvenait du mantra de Mama-Takoui, son arrière-grand-mère, « manger salade jamais malade ». Dans une syntaxe qui laissait peu de place à l’interprétation. Ça, la santé, ils l’avaient, mais la forme svelte des actrices italiennes, c’était à revoir. « Vous ne pensez pas qu’elle a changé de nom ? Je suis sûre qu’elle s’appelait Vitti-an. » Chez eux, tout le monde était supposé, préposé arménien, pour peu que la personne ait une pilosité impressionnante, des pommettes saillantes ou l’œil rond, surtout le gauche mélancolique. Celui du cœur, celui qui savait. C’était sûrement ses pommettes qui avaient trahi l’actrice. Tout le monde était d’accord.

Anouk se souvenait de Dalva, sa grand-mère, qui apposait scrupuleusement les mains sur sa taille, mesurant-vérifiant sa finesse : « C’est bien, ma fille, c’est bien. » « Tu vois, tu mesures le riz pilaf dans le creux de ta main et ça, c’est la mesure pour une personne. » Mais sa main, à Dalva, pouvait nourrir quatre Jean Seberg ou peut-être une seule Marilyn Monroe, du temps de Certains l’aiment chaud. Dès l’âge de huit ans, devant son sandwich préféré, roquefort beurre tomate, Anouk matait Marilyn, Monica, Ava. Elle rêvait d’histoires d’amour passionnelles, impossibles, les femmes avaient des seins énormes, posés sur un étroit buste aux hanches monumentales. Des Barbie idéales.

Il y avait eu un avant et un après Maria Antonietta Beluzzi décapsulant son chandail bleu dans Amarcord. Presque chaque soir, elle priait pour que sa poitrine se remplisse. Pour cela, Anouk était persuadée qu’il fallait engloutir fromages, lait, yaourts, au point de faire germer une flopée de comédons sur ses fesses et son visage. « Tu sais, ma chérie, il faut que je te dise quelque chose, écoute-moi, c’est important, ne choisis jamais un homme qui boit. (Regard entendu.) Ils ne sont généralement pas de bons amants. » Anouk a douze ans, et toujours ses Polly Pockets sur le tapis persan de sa chambre.

Anouk se souvenait de ce rituel autour de la double vasque bleu canard, la chaise en rotin rapprochée, monter et tendre ses bras pour que Dalva procède au lavage, un rituel à quatre mains prodigué avec l’aide d’énormes savons Roger & Gallet. Aujourd’hui, elle se souvenait de tout ça.

À PRÉSENT — recueil collectif ouvert à toutes et à tous. Vous avez envie de participer ? Envoyez vos contributions à : recueilapresent@gmail.com

https://medium.com/@lilasseewald/la-vraie-vie-nous-avons-les-deux-pieds-dedans-13ed7bcedee9

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À PRÉSENT

Recueil collectif imaginé aux temps du confinement. Édité par Lilas Seewald. Tous droits réservés.