Sandrine Sanbela — 19 avril 2020
J’ouvre les yeux. Papa dit toujours que le soleil allume la lumière. Ben, c’est vrai. En plus, j’ai plus bobo. Grâce à maman. Enfin, grâce à son doigt sucré dans ma bouche. Tiens, mon ventre fait des glouglous. En attendant maman, faut que je mordille. Il est où, doudou ? Ah, il est là.
Je m’appelle Cécile. J’ai neuf mois. Enfin, je crois. Pour ce que ça m’importe, au fond.
J’aime bien mon prénom. Mais pourquoi papa et maman disent souvent « on » ? « On » se dépêche, « on » va faire dodo. Je ne marche pas alors comment pourrais-je « se » dépêcher ? Et puis, qui « on » ? Je ne suis pas pluriel. Enfin, je ne crois pas.
Pour les légumes aussi, faut vraiment qu’ils comprennent que tout n’est pas miam pour moi ! Et que si j’ouvre la bouche, c’est surtout pour ne pas mourir de faim. J’ai beau loucher du côté du dessert, rien à faire. Entre deux sourires, je tente de signifier mon manque total et complet et entier d’appréciation, mais ça les fait rire ! Quand je fronce le nez, ça veut dire que l’odeur est beurk ! Si ma tête pivote, c’est que le goût est pouah ! Vaut mieux qu’ils comprennent mes signaux parce qu’un de ces jours, tout ce que j’ai dans la bouche… Au passage, je précise qu’avec deux dents, j’ai du mal à mastiquer.
Quoi d’autre ? Ah, oui, le téléviseur ! Pourquoi maman l’éteint dès que j’entre dans la pièce ? Ça me fait le même effet que quand je referme le couvercle de ma boîte à musique. Une fois, une dame était en train de parler et maman lui a coupé le sifflet. Couic, terminé ! Je voudrais bien savoir ce qu’elle en a pensé, la dame ?
Tiens, maman est levée. À présent, je suis dans ses bras. D’abord, les bisous. Beaucoup. Et hop, me voilà dans son lit. Papa est là aussi. Et re-bisous. Aïe, ça pique ! Maman s’installe. Faut vite que je m’accroche à son sein parce que, si je le lâche, c’est retour direct dans ma chambre.
Et là, y a popo. Et ça, j’aime pas. Ils attendent. Et moi, je ris en dedans. Parce que quand je suis lavée et que j’ai ma nouvelle cou-couche, là je fais caca. Et j’éclate de rire. Parce qu’il faut voir la tête de maman quand elle renettoie mon… enfin, mon… mais vous savez…
Après, hop ! chez nounou.
Là, bizarre ! J’ai fini de téter, fais mon rot, mais rien… Je peux même continuer à jouer dans leur lit. Et les écouter parler. Et m’endormir. Quel bonheur !
Au fait, c’est qui confinement ?
Après avoir travaillé des années pour une société de vente par correspondance puis dans une agence d’intérim, Sandrine Sanbela est maintenant retraitée. Elle a passé l’âge de souffler les bougies, mais pas celui de s’extasier de la vie. Ni de se réjouir, après Les Aventures du concierge masqué, de prendre part à un recueil réunissant petites et grandes plumes.
À PRÉSENT — recueil collectif ouvert à toutes et à tous. Vous avez envie de participer ? Envoyez vos contributions à : recueilapresent@gmail.com