Psychologue et enfants qui ne dorment pas

À PRÉSENT
3 min readMay 1, 2020

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Dorothée Caratini — 30 avril 2020

Le lundi soir, tous les quinze jours, j’ai un rendez-vous à 20 h 30. J’ouvre mon ordinateur, je ne me coiffe pas puisque j’ai tout rasé au début du confinement, mais j’essaie de garder bonne figure. C’est le rendez-vous avec mon psychologue, celui qui m’aide dans ma dépression et mon anxiété qualifiées toutes les deux, par lui, de « sévères ». Je ne dis pas ça pour la gloriole, mais parce que, avant lui, personne ne me l’avait dit comme ça. Ma dépression et mon anxiété, mes deux autres enfants, deux petites oies grasses et gavées chaque jour de ce confinement.

Dans mon foyer, il y a deux petites filles, deux vraies enfants, elles sont la prunelle de mes yeux cernés, celles qui font battre mon cœur (parfois trop vite quand je m’inquiète ou que je m’énerve), elles font ma joie (entre deux crises de larmes parce que la grande a pincé la petite, ou que la tétine a disparu, ou parce que le bain, c’est nul). La dépression et l’anxiété se nourrissent seules, grandissent bien, merci. Les deux autres enfants demandent quatre repas équilibrés par jour (qui a prétendu que le goûter n’était pas un vrai repas ?), des soins, des câlins, elles doivent être éduquées, lavées, elles doivent dormir, jouer et, si possible, apprendre à lire, à écrire, à déchiffrer Platon et les divisions à deux chiffres avant la rentrée scolaire, histoire de gagner du temps.

Le psychologue m’aide à gérer ma dépression, à respirer lentement, à écrire des listes de gratitudes.

Gratitude numéro 1 : quand je mets mes écouteurs, je n’entends pas ma fille hurler qu’elle a perdu sa quatrième tétine dans son lit, tétine qu’elle ne mettra pas dans sa bouche mais qu’elle veut seulement avoir sous la main.

Gratitude numéro 2 : elles n’aiment pas les Délichoc, je vais donc tous les manger compulsivement et pleurer après, mais avec mes écouteurs sur les oreilles.

Gratitude numéro 3 : j’ai aussi un psychiatre qui me prescrit des antidépresseurs et des anxiolytiques.

Gratitude numéro 4 : mes voisins sont majoritairement des personnes âgées qui n’entendent pas bien.

Gratitude numéro 5 : je me sens laide, devant, derrière, à l’extérieur, à l’intérieur, mais il n’y a personne pour le voir en ce moment et il n’y aura personne pour le voir après. C’est mon secret.

Gratitude numéro 6 : le psychologue se fiche que je me lève pendant notre séance parce que les filles tapent sur leur mur comme si elles étaient des détenues réclamant un bol de soupe au fond de leur cellule. Un bol que je ne dois pas remplir de ma salade dépression/anxiété. Croyez-moi, le stock de paillettes et de confettis s’épuise et j’ai déjà vidé la réserve d’arcs-en-ciel et de licornes.

Alors je vais continuer à faire comme tout le monde, à subir comme tout le monde, à pleurer comme tout le monde, en essayant de classer les émotions et de les rationnaliser (et à garder mes écouteurs sur mes oreilles, longtemps).

À PRÉSENT — recueil collectif ouvert à toutes et à tous. Vous avez envie de participer ? Envoyez vos contributions à : recueilapresent@gmail.com

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À PRÉSENT

Recueil collectif imaginé aux temps du confinement. Édité par Lilas Seewald. Tous droits réservés.